Viticulture
La lutte s’organise contre Drosophila suzukii, ravageur secondaire du raisin

Désignée coupable de la flambée de pourriture acide de 2014, la mouche du cerisier n’est sans doute pas la seule responsable. Quoi qu’il en soit, les chercheurs d’Agroscope ont planché sur les options prophylactiques.

La lutte s’organise contre Drosophila suzukii, ravageur secondaire du raisin

Avec une perte de récolte de 10% environ malgré des heures de tri minutieux, l’attaque de pourriture acétique de 2014 a été qualifiée, à bon droit, de «catastrophe». Une catastrophe dont on a redouté la répétition fréquente, le coupable de cette explosion semblant être une nouvelle venue en Europe, la petite Drosophila suzukii, dont on constatait cette même année 2014 la présence massive dans le vignoble suisse. Et dont la femelle (au contraire des drosophiles indigènes) pond ses œufs dans des fruits sains, causant des miniblessures où entrent champignons et moisissures – dont la pourriture acide.
«L’association s’est installée dans les esprits en partie grâce au nom facile à retenir de la mouche, souligne Christian Linder, collaborateur scientifique à Agroscope Changins. Pour les chercheurs, la question de l’impact réel de suzukii sur la viticulture s’est tout de suite posée.»

Une prédilection pour le rouge

Entre 2015 et 2017, avec son collègue Patrik Kehrli et l’aide des services cantonaux, l’entomologiste a multiplié les analyses dans toute la Suisse; la Revue des œnologues publie ce mois-ci un article résumant leurs recherches. «Après les premières mesures d’urgence, notre tâche a été de déterminer les facteurs favorables ou défavorables à Drosophila suzukii de façon à élaborer des mesures prophylactiques, raconte-t-il. En identifiant les cépages les plus touchés, on a constaté de grosses différences entre variétés.»
La petite mouche d’origine asiatique s’attaque en priorité à des cépages rouges ou roses plutôt rares: mara, cabernet dorsa, dornfelder, garanoir, cornalin ou chasselas rose figurent notamment parmi ses favoris. Soit environ 800 hectares sur les 15 000 du vignoble suisse. «Mais la corrélation est à nuancer, souligne le chercheur. Un cépage sensible planté en zone sèche sera sans doute moins touché qu’un cépage peu sensible planté en bordure d’une forêt, dans une zone plus fraîche et ombragée.» Ce constat a déjà incité des propriétaires à modifier l’encépagement de parcelles sujettes à des attaques répétées. Deuxième constat: en dépit d’une présence de la mouche en Suisse à laquelle il va désormais falloir s’habituer, les trois années écoulées n’ont pas vu de forte attaque de pourriture acide – pas dans les proportions de la «catastrophe» de 2014.
Tout risque de récidive n’est pas pour autant à écarter. «Actuellement, et comme les années dernières, les vols de mouches sont très faibles, et les cultures fruitières ont été relativement épargnées. C’est bon signe pour le raisin, dont la maturité arrive en fin de chaîne. Mais c’est en août que tout se joue: une météo fraîche et pluvieuse et des baies endommagées pourraient à nouveau mettre le vignoble en situation délicate.»
De l’avis des chercheurs, les messages de prévention sont bien passés. Des effeuilles raisonnées, une régulation précoce de la charge, une hauteur d’enherbement adaptée à la conduite et, de façon générale, «une bonne protection de l’intégrité du raisin contre les blessures infligées par la grêle, les oiseaux et les insectes» se sont généralisées, démontrant leur efficacité. «La mouche peut s’attaquer à du raisin sain, mais si elle a le choix, elle opte pour les baies blessées», relève Christian Linder.

Filets efficaces

Outre la prophylaxie, les chercheurs ont évidemment évalué l’efficacité des tactiques à disposition en cas d’attaque avérée. En écartant d’emblée, ou presque, les insecticides traditionnels, en accord avec la grande majorité de la profession, note d’ailleurs Christian Linder. L’application d’argile blanche (kaolin) sur les baies semble a contrario à la fois efficace et sans conséquence sur la qualité, à part un dépôt évacué à la filtration. «La chaux pourrait aussi être indiquée pour un usage similaire, mais son efficacité doit encore faire l’objet d’investigations supplémentaires.»
Autre piste explorée, celle des filets de protection anti-insectes, à mailles serrées. Les essais menés et l’expérience sur le terrain parlent en leur faveur, «même si on manque de recul quant au comportement de la vigne sous le filet en conditions humides, relève le chercheur. Nous allons continuer à suivre ce qui s’y passe.» L’arsenal ainsi constitué permet de faire face à la pression actuelle de l’insecte, en recourant à l’argile blanche et en dernière extrémité aux insecticides en cas de forte pression. Christian Linder signale d’ailleurs que «l’application d’argile en cours de véraison s’inscrit dans une logique de traitement préventif, comme pour les champignons». En ce sens, Drosophila suzukii change bien la donne; la lutte biologique au moyen de parasitoïdes spécifiques, objet de prometteuses recherches récentes, n’a toutefois pas été testée en dehors du laboratoire. «En tout cas, on dispose de suffisamment d’atouts pour ne pas la considérer comme un ravageur majeur de la grappe, surtout que le raisin n’est pour elle qu’un hôte de fin de saison, dans lequel à peine 10% des œufs pondus parviennent à maturité, contre 80% dans la cerise», conclut l’entomologiste.

+ d’infos «Drosophila suzukii», sensibilité des cépages et lutte, Patrik Kehrli et Christian Linder, Revue des œnologues No 168, juillet 2018; «Drosophila suzukii» en viticulture: recommandations 2018, Fiche technique 77, www.agroscope.ch

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): olivier évard