Du côté alémanique
La laitue se conditionne directement au champ

À Villigen, l’entreprise maraîchère Max Schwarz AG ensache ses salades iceberg sur le lieu de récolte. Gain de main-d’œuvre, de temps et de fraîcheur, puisque c’est désormais le champ qui joue le rôle d’entrepôt.

La laitue se conditionne directement au champ

À l’aube, c’est un surprenant chantier de récolte qui s’offre aux yeux des automobilistes, entre Brugg et Baden, dans la campagne argovienne. Dans un champ de salades, une immense structure bâchée suspendue dans les airs progresse lentement. Un air de radio s’en échappe, la lumière des néons filtre à travers des vitres plastiques, et on devine des silhouettes qui s’activent sous l’épaisse bâche blanche. Ils sont en effet cinq salariés à récolter les dernières salades iceberg de la saison. Laissant les feuilles extérieures, trop dures, sur la parcelle, ils déposent les cœurs des laitues sur des supports entraînés par une chaîne. Dans un bruit de cliquetis, un élévateur les mène à 1 m 50 au-dessus des hommes. Elles y seront tour à tour pesées, puis mises en sachet dans l’une des trois stations de conditionnement automatique. Le film plastique une fois soudé autour de la salade, une étiquette autocollante y est apposée et la laitue emballée continue son cheminement sur un tapis jusqu’à finir sa course dans une caisse Ifco. Entre la cueillette de la salade iceberg et sa mise en palette, à peine quelques minutes se sont écoulées. Un conditionnement entièrement automatisé, une manutention réduite à son minimum: à Villigen, la machine a pris le relais des hommes.

Directement au magasin
8 h 45. Le chantier mobile s’arrête soudain. Les lumières s’éteignent, la radio se tait, les salariés quittent la parcelle. Les palettes sont chargées dans une camionnette qui se dirige vers les entrepôts de l’entreprise maraîchère Max Schwarz AG. Là, les salades schwarziceberg seront refroidies sous vide d’air. «Moins de trois heures après la récolte, la température au cœur de la laitue atteint les deux degrés, précise Toni Suter, chef de culture chez Schwarz. Cet après-midi, les palettes seront livrées dans les grands centres logistiques des distributeurs. Et demain matin, elles sont sur l’étalage de nos clients.» Soit vingt-quatre heures exactement après la récolte. «Avec le conditionnement au champ, on gagne la journée qu’on perdait auparavant en logistique et manutention», résume Toni Suter.

Un concept hollandais
L’entreprise maraîchère Schwarz produit de l’iceberg depuis plus de vingt ans. Les salades ont toujours été emballées à la ferme. «Un jour, notre acheteur nous a annoncé qu’il rencontrait trop de problèmes de qualité et de conservation avec nos produits, et que la marchandise espagnole risquait tôt ou tard de nous faire de l’ombre, notamment en fin de saison.» Alors pour éviter de perdre un marché essentiel à l’entreprise, Toni Suter propose de rationaliser le chantier de récolte et de conditionnement, à l’image de ce qui se pratique depuis déjà quelques années aux Pays-Bas. Max Schwarz AG, pour qui la salade iceberg constitue un pilier du chiffre d’affaires, est la première société en Suisse à avoir adopté la technologie Brimapack. Toni Suter et son équipe ont cependant modifié le concept originel néerlandais afin de limiter le tassement du sol. Ainsi le bloc de récolte est-il porté par le châssis d’un automoteur d’épandage de lisier. Équipée de pneus larges pour éviter le tassement, l’épandeuse Holmer a également été munie d’un moteur auxiliaire de 80 chevaux. «L’électricité, l’air froid et la propulsion auraient pu être générés avec le moteur de 400 chevaux du véhicule porteur, mais cela aurait engendré une consommation beaucoup plus élevée de carburant, note encore Toni Suter. L’utilisation d’une génératrice permet de ne consommer que 3,8 litres de diesel par heure.»

Des salades plus fraîches
C’est la troisième saison que l’emballeuse mobile fonctionne sur les rives de l’Aar. Elle occupe huit personnes du mois de mai à la fin octobre, dont cinq à la coupe et trois au chargement des caisses. «On compte 240 pièces par heure et par personne», précise le chef de culture. Le chantier mobile permet désormais de produire en moyenne cinq palettes par heure. Si Toni Suter se refuse à articuler des chiffres quant aux coûts de production, il affirme que l’économie en termes logistiques et de main-d’œuvre est hauteurimportante depuis l’adoption du chantier mobile de mise en sachet. «La salade n’est manipulée que par une seule personne. C’est celui qui coupe qui trie et qui a la responsabilité de choisir un produit de qualité, apprécie Toni Suter. On laisse au champ tout ce dont on ne veut pas et qui sera donc broyé ensuite.»
Autre avantage de taille: la durée de conservation du produit emballé au champ s’allonge. «On gagne une journée de fraîcheur. Tout ce que je coupe, je suis assuré de le vendre, car mon entrepôt, c’est le champ!» Le gaspillage n’a quasi plus droit de cité.

Se spécialiser, passage obligé
Un tel changement de système a cependant nécessité une profonde réorientation de la stratégie de Max Schwarz SA. «Auparavant, nous cultivions cinq ou six sortes de salades, raconte Toni Suter. Désormais, nous n’en produisons plus qu’une: l’iceberg, sur 30 hectares.» Au vu de l’investissement – plus de 500’000 francs –, l’acquisition d’une telle machine n’est rentable que pour un certain volume de production. Mais selon Toni Suter, l’évolution que suit son entreprise est à l’image de ce qui se passe dans le secteur maraîcher. «Les professionnels investissent, donc se spécialisent. C’est risqué, certes, mais a-t-on d’autres choix?» Car, finalement, il s’agit avant tout pour les maraîchers de remplir les exigences de leurs acheteurs. «En tant que producteurs, nous devons désormais être toujours à la pointe de la technologie. La rationalisation de nos récoltes nous permet de satisfaire le client, en tout cas pour l’instant!»

En vidéo sur https://www.facebook.com/terreetnature/videos/10154650745969114/

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

L’iceberg, verdure préférée des Suisses

L’iceberg a été sélectionnée il y a plus d’un siècle par les maraîchers californiens qui recherchaient une salade qui garderait durant les longs trajets tout son croquant. La laitue américaine, dont les feuilles extérieures protègent le cœur, a débarqué dans nos parcelles il y a une cinquantaine d’années. Plus ferme, plus compacte et plus résistante que la laitue pommée grâce à ses couches, l’iceberg est en bonne place dans le cœur des consommateurs et des maraîchers. On en cultive approximativement 73,6 hectares en Suisse, ce qui correspond à une production annuelle de 17’266 tonnes. Pour comparaison, on en a importé 18’289 tonnes en 2015.
+ D’infos www.legumes.ch

En chiffres

Max Schwarz AG, c’est:
120 hectares de cultures maraîchères dont 30 hectares de salades iceberg en production intégrée, 30 d’oignons bottes et 30 de poireaux. La moitié des surfaces sont exploitées en agriculture biologique.
Une activité de primeurs en gros, destinées aux collectivités, restaurants, etc.
Une production de plantons certifiés IP et bios.
Une société fille implantée dans l’ouest de la France.
+ D’infos www.schwarz.ch