Sports mécaniques
La formule E propulse la mobilité électrique sur le devant de la scène

Le Championnat du monde de formule 1 électrique débute ce ­dimanche à Hongkong. Il y a quelques semaines, en France, nous avons suivi les préparatifs du champion en titre, le Vaudois Sébastien Buemi.

La formule E propulse la mobilité électrique sur le devant de la scène

Circuit de Bresse, 9 h 30. Nous patientons en bordure du serpent de bitume lisse, chauffé par le soleil, près de la ville française de Frontenaud. Un bourdonnement aigu se fait entendre du côté du dernier contour de la piste. Le bruit augmente alors qu’apparaît une forme trapue aux contours rendus flous par la vibration de l’air. En sortie d’épingle, le pilote met le pied au plancher pour lancer son bolide à pleine vitesse dans la ligne droite. Trois silhouettes accoudées à la rambarde de béton suivent du regard la flèche bleue et or qui les frôle à plus de 200 km/h dans un crissement de pneus. Si la sonorité de l’engin ne ressemble en rien au hurlement du moteur d’une formule 1, c’est parce qu’il est propulsé par une batterie électrique. Ce qui ne l’empêche pas d’abattre le 0 à 100 en moins de 4 secondes. «OK, ça nous suffit pour l’instant, lance le responsable technique dans sa radio. On se retrouve au box.»

Pièces classées «top secret»
Dans l’odeur d’huile et de caoutchouc échauffé du box numéro 14, toute l’équipe de l’écurie Renault e.Dams s’affaire autour du bolide. L’objectif de ces journées de tests, durant lesquelles l’engin enchaîne des dizaines de courtes sessions, est d’améliorer ses performances en prévision de la prochaine saison de courses. Et le pilote ne sera pas là pour faire de la figuration: ­Sébastien formule-eBuemi est le champion du monde en titre de la discipline. Le Vaudois s’extrait souplement du cockpit exigu de la monoplace, ôte son casque et déboutonne le col de sa combinaison. Une gorgée d’eau et il rejoint les ingénieurs qui, derrière leurs ordinateurs, ont suivi en direct les tours d’essai du pilote. «Elle sous-vire nettement moins, dit-il en suivant du doigt un plan du circuit. J’ai pu gagner un dixième de seconde dans les virages un et deux.»
Les mécaniciens ont déjà démonté les panneaux de carrosserie de la voiture. «Hé, vous, qu’est-ce que vous photographiez?» La remise à l’ordre est sèche: pas question de prendre des clichés de certaines pièces du bolide. La concurrence entre les dix écuries engagées dans le championnat fait rage, et les secrets sont bien gardés. Du moins en ce qui concerne la partie arrière de la voiture. «Le châssis, l’avant du véhicule et la batterie sont communs à toutes les équipes, explique Jérôme Bourgeois, ingénieur en développement au sein de l’écurie Renault e.Dams. C’est un des principes de base de ce nouveau circuit, qui a pour objectif de réduire les disparités entre les concurrents et d’encourager les constructeurs à faire preuve d’imagination.» Pour gagner en puissance et en endurance, les marques engagées en formule E développent donc de nouveaux moteurs et boîtes de vitesses, améliorent l’aérodynamisme de leurs véhicules et tentent de réduire les pertes d’énergie. Avec pour but avoué, à moyen terme, de transposer ces avancées techniques aux véhicules électriques grand public. «Cela explique pourquoi certains constructeurs se lancent dans le championnat et d’autres non, ajoute Sébastien Buemi. Seuls ceux qui proposent une gamme électrique y voient un intérêt. C’est un moyen de prouver leur savoir-faire dans ce domaine.»
La volonté de booster la mobilité électrique a aussi des conséquences sur le choix de l’emplacement des courses: laissant les circuits à sa cousine à essence, la formule E fait son show au cœur des villes. À Hongkong, Buenos Aires, Monaco ou Berlin, ces courses urbaines sont pour beaucoup dans la visibilité de la discipline. «Cette originalité, couplée à la dimension écologique de la motorisation, attire un public pas forcément intéressé par les sports mécaniques, reconnaît Sébastien Buemi. Les retombées médiatiques et financières sont moindres par rapport à la F1, mais j’ai le sentiment de participer à quelque chose d’important.»

Des courses électrisantes
Au-delà des convictions, la discipline est loin d’être inintéressante pour le pilote: «Au volant, les sensations sont presque identiques à celles d’une monoplace classique, poursuit le Vaudois. Mais les circuits urbains sont beaucoup plus délicats. Le sol est irrégulier, les passages étroits, les dépassements difficiles. À la moindre erreur, vous êtes dans le mur! Ajoutez à cela une voiture dotée de pneus à faible consommation, alourdie par une batterie de 200 kg et vous comprendrez que les passages en courbe doivent être négociés avec doigté!»
buemi-2Puisque les pilotes conduisent des voitures identiques, il est d’autant plus important de soigner les détails. C’est ce que font les mécaniciens qui s’affairent sur le véhicule de test. «Aujourd’hui, on travaille sur le différentiel, la pièce qui transmet la puissance du moteur aux roues arrière, détaille Jérôme Bourgeois. Le ressenti et les remarques du pilote sont indispensables pour optimiser nos réglages.»
Une pression du doigt sur un interrupteur et le lift dépose la formule E sur le sol. Un technicien vérifie la température de la batterie, un paramètre qui a une influence directe sur l’autonomie en course. Une fois Sébastien Buemi installé dans la coque de carbone qui lui sert de siège, le mécanicien fixe le volant. À peine le câble de recharge est-il débranché que le bolide bondit dans le soleil qui baigne le circuit.

Un titre à défendre
«Plus le pilote connaît sa voiture, plus il pourra la pousser en course», note Yannick Hubert, responsable technique, en le regardant s’éloigner. À l’aube de sa troisième saison, le circuit de formule E suscite l’intérêt des sponsors et des constructeurs automobiles, toujours plus nombreux à participer. Autant dire que Sébastien Buemi a la ferme intention de défendre son titre. «La voiture est chaude, lui dit Yannick Hubert par radio. Maintenant, tu peux lâcher les chevaux!»

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

Circuit mondial

Le Championnat du monde de formule E se court sur dix étapes urbaines, réparties entre les mois d’octobre et de juillet.
Né en 2014 sous l’impulsion de la Fédération internationale de l’automobile, il a vite attiré sponsors et grands noms du sport automobile. Si la ville de Lausanne a été sur les rangs pour accueillir une manche du prochain championnat, le projet n’a finalement pas été concrétisé. Pour voir ces bolides écolos de près, les fans devront se rendre à Paris, à Berlin
à Bruxelles… ou plus loin!
+ d’infos www.fiaformulae.com

Le pilote vaudois a du métier

À 27 ans, Sébastien Buemi s’est déjà fait un nom dans le monde du sport automobile. Outre son titre mondial en formule E, l’Aiglon occupe le poste de troisième pilote au sein de l’écurie de formule 1 Red Bull et a été sacré champion du monde d’endurance au volant d’une Toyota en 2014. Le jeune homme est convaincu du potentiel médiatique de la formule E. Mais quand on aborde la question du bruit, qui fait polémique chez les fans de F1, le pilote est plus circonspect: «Je suis un puriste, sourit-il. En électrique, le bruit du moteur et l’odeur de kérosène me manquent un peu…»
+ d’infos www.buemi.ch