TERROIR
La culture de la rhubarbe revisitée sur un mode pétillant

Elle nous promet le printemps et de beaux desserts. Plus original, une maraîchère genevoise la cuisine en légume et en tire des vins, moelleux ou effervescents.

La culture de la rhubarbe revisitée sur un mode pétillant

Le champ est un peu hirsute, bordé d’églantiers en fleur, piqueté de longs bouquets efflanqués d’alliaire et de touffes grasses et bicolores de rhubarbe, un vrai jardin à l’anglaise. Une résistante, cette rhubarbe. Une sauvage, une barbare, si l’on en croit son étymologie (voir l’encadré ci-contre). Jusqu’aux taupes et autres rongeurs qui ne lui résistent pas, creusant des galeries souterraines dignes de catacombes pour arriver à ses pieds. «Voilà quelques années, cette parcelle était tellement envahie de taupinières qu’on peinait à la récolter, se souvient Claire-Lise Boujon. J’ai hésité à commander un dispositif pour gazer les galeries et puis j’ai renoncé, en songeant que j’allais tuer toute vie dans le sol, se souvient la maraîchère bio. J’ai eu de la chance: l’année suivante, les hermines sont revenues et elles ont littéralement décimé la colonie de rongeurs!»

Une dure à cuire
À Meinier (GE), au domaine bio de la Renardière, la rhubarbe voisine avec l’herbe folle et les asperges, cassis, pommiers et mirabelliers. C’est une culture pérenne ou presque qui disparaît du paysage avec l’hiver. «Elle est en dormance, ne sortant de son hibernation qu’en avril, souligne la productrice, sous forme de petites pousses bicolores toutes chiffonnées, pied rouge, feuille verte fripée.» Elle promet le printemps et sa récolte, qui vient de débuter, durera jusqu’au 20 juin au plus tard, «après quoi elle devient acide». La feuille géante, déployée tel un élégant parasol, est néanmoins toxique en raison de sa teneur en acide oxalique. Toxique, mais pas moins intéressante, puisque, en macération ou en décoction, on en tire un insecticide naturel.

Les tiges sont arrachées d’un geste vif, puis la feuille détachée au couteau et laissée sur le champ. «Rustique, la rhubarbe n’est pas très exigeante, même par des sécheresses comme celle qu’on subit ces jours: elle va chercher l’eau en profondeur avec sa racine puissante, note la maraîchère. Tout au plus un peu de désherbage et un peu de fumier ou de compost, à l’automne. On peut soit la semer à cette saison, soit la cultiver par division des racines.» Au bout d’une dizaine d’années, elle fatigue quand même: «Elle continue certes à produire, mais on va en replanter 3000 à 4000 plants sur une autre parcelle, relève Claire Lise Boujon. Ce renouvellement devrait suffire et me permettre de lancer de nouveaux produits.»  De nombreuses familles suisses culti-
vèrent longtemps leur propre variété. ProSpecieRara en propose une vingtaine de variétés, dont plusieurs créations indigènes. Claire-Lise Boujon a choisi la sienne pour sa douceur et sa robustesse, parmi près de 200 variétés disponibles.

Un vin à associer au foie gras
Elle en tire des créations singulières, moins classique que les confitures et autres desserts glacés. Elle adore travailler la rhubarbe en légume. Par exemple? Une quiche associant feuilles d’orties, dés de rhubarbe et lardons. Ou un confit aigre-doux avec des oignons. Ou encore un vin de rhubarbe et un pétillant naturel tirés de la même polygonacée.

«Une année où j’en avais récolté des quantités invraisemblables, un ami m’a parlé de la tradition alsacienne du vin de rhubarbe, raconte Claire-Lise Boujon. J’ai exhumé des recettes de grand-mère et finalement j’en ai donné à vinifier à un vigneron de la région. La rhubarbe est pressée comme un moût de raisin, vinifié selon les méthodes traditionnelles, effervescent ou non, avec un peu de sucre ajouté.» Étonnant au dessert, avec un fromage ou une volaille, le vin de rhubarbe est génial sur un foie gras.

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): Nicolas Righetti/Lundi 13

Délice de barbarie

Elle serait venue de Chine, de Mongolie, de Sibérie, contrées réputées barbares. Cette origine lui vaudra son nom latin de racine barbare Rheum rabarbarum. Barbare peut-être, mais aussi un peu magique, son usage premier étant médicinal. Au Moyen Âge, on tire de cette simple une liqueur réputée dépurative: les sources du XVIe-XVIIe siècle indiquent que sa racine, qui vous «purge doucement la bile», est «un des piliers de la médecine». On l’adoucira pour en faire des pastilles, des tablettes sucrées fortifiantes. Elle devient une plante ornementale. Les Anglais seront les premiers à lui trouver du génie en cuisine. À force de sélectionner les meilleures variétés, douces, aromatiques, pigmentées de rose et de rouge, ils en tireront mille expressions délicates. Elle nous arrive ainsi par le nord, suscitant au passage, de Flandre en Alsace, d’autres créations intéressantes: vins effervescents ou moelleux, bières et cocktails. Quoi d’autre? Elle est bourrée de vitamine C, A, riche en fibres et en potassium.

La productrice: Claire-Lise Boujon

Son domaine se nomme joliment la Renardière parce que les goupils y abondent, dit-on. Mais pas qu’eux… Succédant à sa maman maraîchère après avoir suivi les cours de Marcelin (VD) en 1998, Claire-Lise Boujon reconvertit les 8,5 hectares en culture biologique. Le résultat ne se fait pas attendre en termes de biodiversité: faune et flore sont de retour. En plus du verger et des asperges, on y trouve des céréales anciennes et des légumineuses. Brevet de cafetier-restaurateur, elle fait traiteur et vend ses spécialités chez ses collègues, tels la Touvière ou le Cercle d’agriculture de Meinier. Ses spécialités? Cassis, asperges, framboises, rhubarbe et sureau transformés en vins, sirops, vinaigres ou liqueurs, vacherins glacés, tartes ou cakes. Son projet de reconvertir un bâtiment en cuisine professionnelle et local de vente se fera, lui aussi, dès les autorisations reçues.

+ D’infos Vous pouvez prendre contact avec Claire-Lise Boujon à l’adresse mail: lboujon@bluewin.ch