Décryptage
La crise du Covid-19 redore le blason du pain

Cet automne, les Éditions Helvetiq publieront un livre de recettes dédié aux pains suisses. Son financement participatif a rencontré un franc succès, preuve de l’engouement pour ce produit.

La crise du Covid-19 redore le blason du pain

«Dis-moi quel pain tu manges, je te dirai de quelle région tu viens»: on se permettrait volontiers d’adapter la célèbre phrase du gastronome et auteur culinaire français Brillat-Savarin à l’univers des produits de boulangerie, tant il regorge de spécialités locales dans notre pays. Un savoir-faire régional qui se perpétue au fil des générations et qui est mis à l’honneur dans un livre à paraître cet automne.

Peut-être faites-vous partie de celles et ceux qui ont redécouvert le pain durant cette période de confinement, ont perfectionné leur technique de pétrissage voire donné naissance à leur premier levain-chef. Heddi Nieuwsma, elle, n’a pas attendu d’être coincée dans son logement pour se lancer dans l’aventure du pain maison: «Faire son pain, c’est peut-être l’activité la plus satisfaisante qui soit», sourit-elle.

Deux cents pains en Suisse
Vivant en Suisse depuis près de dix ans, cette Américaine nourrit une curiosité insatiable pour le patrimoine culinaire et pose un regard neuf sur la gastronomie helvétique. La découverte qui la marque le plus au cours de ses pérégrinations gourmandes, c’est la variété des pains que l’on trouve d’un bout à l’autre d’un pays plus réputé pour ses fromageries que pour ses fournils. Il y a le rugueux pain de seigle du Valais, le pratique pain tessinois, le classique petit pain au lait, la douce cuchaule fribourgeoise, l’extraplate sange des Ormonts ou encore le pain de Pâques neuchâtelois: sucrées ou salées, tendres ou croustillantes, à chaque recoin du pays et à chaque moment de l’année sa spécialité boulangère.

Mais pour les découvrir, il faut voyager: «Ce qui m’a frappée, c’est que les fromages passent allègrement les frontières cantonales, mais il n’en va pas de même pour les pains, souligne Heddi Nieuwsma. La plupart sont confectionnés dans un espace géographique réduit et ils sont presque inconnus ailleurs.» Pendant des années, elle parcourt le pays, pousse la porte des boulangeries, interroge chefs, meuniers et artisans qui lui confient leurs secrets. De ses recherches naît Pains suisses maison, un recueil de 40 recettes, qui atteint en quelques jours seulement l’objectif de la campagne de financement participatif lancée par l’auteure. Un succès qui prouve l’intérêt du grand public pour ce produit en général autant que pour les spécialités locales.

Symbole national
Pour Heddi Nieuwsma, ce livre est aussi l’occasion de faire la lumière sur ce qui fait d’un pain un emblème régional. Un processus souvent artificiel: la plupart des spécialités, et en particulier les fameux pains cantonaux, ne datent que des années 1950 ou 1960. Ainsi la recette du pain paysan, consommé dans tout le pays, est-elle née de l’impulsion de l’Association suisse des patrons boulangers-pâtissiers pour absorber un surplus de production laitière. «Ce phénomène de réappropriation identitaire est classique, relève Yvan Schneider, spécialiste de l’histoire de l’alimentation. On le constate aussi bien pour la fondue, propulsée au rang de symbole national par une campagne de marketing de la filière du fromage après la Seconde Guerre mondiale, que pour la paella en Espagne. Je crois tout simplement qu’on aime les clichés.»

Les modestes et les sacrés
La diversité des pains de Suisse, ce n’est toutefois pas seulement un argument touristique. «Elle vient aussi de particularités agricoles régionales: ici, on produit de l’engrain, là du maïs ou de l’épeautre, et l’on retrouve naturellement ces céréales dans les pains de chaque région du pays, explique Heddi Nieuwsma. D’autres sont liés à des traditions ou à des fêtes religieuses.» Aliment du quotidien, présent sur toutes les tables, le pain est de ces denrées qui rassemblent. C’est peut-être cela, d’ailleurs, qui lui vaut de traverser les époques sans évoluer de manière significative: la recette du pain tel qu’on le connaît aujourd’hui n’a que peu changé depuis une invention qui remonterait à la civilisation égyptienne. «Dans notre monde où tout s’accélère et tout bascule, c’est une valeur refuge, lâche Yvan Schneider. Simple, nourrissant et bon, le pain a quelque chose de sécurisant. Je ne pense pas qu’on troquera de sitôt le plaisir du pétrissage contre un pain sorti d’une imprimante 3D!» Rien de surprenant donc à ce qu’en période de pandémie, les Suisses se rabattent sur leur pétrin: l’odeur d’une tresse qui sort du four vaut toutes les psychothérapies. Mais au fait, saviez-vous que la tresse au beurre était une recette bernoise du XVIe siècle? Décidément, c’est quand l’histoire s’écrit en cuisine qu’elle est la plus savoureuse…

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Dorian Rollin

Questions à...

Stephan Scheuner, gérant de l’association Pain suisse

  • Durant le semi-confinement, les Suisses se seraient mis à faire leur pain à la maison, dit-on. Est-ce vraiment le cas?
    C’est difficile de prendre la mesure du phénomène, mais un signe ne trompe pas: les moulins ont été confrontés à une explosion de la demande pour de la farine destinée au commerce de détail. Ce segment a augmenté de près de 100%, contre une tendance inverse dans d’autres secteurs du marché. Les recherches de recettes de pain en ligne ont aussi grimpé en flèche.
  • La Suisse recèle une grande richesse en pains locaux et régionaux. Qu’est-ce qui fait la particularité de ces spécialités?
    La recette de base change peu. Ce qui fait une spécialité, c’est le savoir-faire du boulanger, la combinaison des ingrédients ou un façonnage différent.
  • Quel est le rôle des boulangers dans la sauvegarde de ce patrimoine?
    Ce sont des passionnés, héritiers d’un savoir-faire séculaire, qu’ils transmettent à travers les spécialités régionales. Ils doivent savoir préserver ces recettes tout en les faisant évoluer pour produire un pain qui soit toujours bon et digeste.

La recette des Agatha-Brötli fribourgeois

Recette extraite de Pains suisses maison

Ingrédients

  • 500 g de farine blanche
  • 75g  de beurre mou
  • 2 cc de sel
  • 20 g de levure
  • 300 ml de lait tiède
  • 1 œuf

Préparation
Mélangez la farine et le sel, ajoutez le beurre en morceaux.
Ajoutez-y le lait dans lequel vous aurez dissout la levure.
Pétrissez jusqu’à ce que la pâte devienne lisse et élastique.
Placez la pâte dans un bol, couvrez d’un linge humide et laissez lever pendant 1 à 2 heures.
Divisez la pâte en 10 portions, roulez-les en longs cylindres et donnez-leur la forme d’un bretzel.
Laissez reposer 30 minutes, appliquez une couche d’œuf battu puis enfournez pour 20 à 25 minutes dans un four préchauffé à 200°C.