Agriculture
La corvée, moment de convivialité et prélude à un été à l’alpage de Rouaz

Les alpages valaisans à 2000 m et au-delà attendent les vaches d’ici à la fin du mois, même si la neige tombée cet hiver a fait craindre du retard. À Rouaz, dans le val d’Anniviers, on s’active pour que tout soit prêt à temps.

La corvée, moment de convivialité et prélude à un été à l’alpage de Rouaz

De l’herbe, des fleurs, des névés de plus en plus petits et de plus en plus rares, mais pas le moindre ruminant: à Rouaz, au-dessus de Saint-Luc (VS), le pâturage est en attente. Mais si les vaches n’ont pas encore colonisé ces 1200 hectares de talus s’étendant entre Tignousa et l’Hôtel Weisshorn, on est déjà au boulot au Chalet Blanc, où se trouvent les infrastructures de l’alpage – les écuries, la fromagerie et sa cave, ainsi que le logement pour le personnel. Car tout doit être fin prêt dans quinze jours pour accueillir les bovins et les six employés qui vont y vivre jusqu’à la mi-septembre – le gérant et son épouse fromagère, une aide-fromagère et quatre auxiliaires pour seconder le gérant à la gestion des bêtes.

Ce samedi, c’est donc corvée à Rouaz. L’une des cinq qu’a agendées Alain Storno: trois avant l’inalpe, une durant l’été et la dernière juste après la désalpe. Le chef d’exploitation du consortage de Rouaz peut compter sur le boulot fourni par les «alpants», en vertu du règlement de l’alpage (voir l’encadré ci-dessous). Aujourd’hui, ils sont cinq: Michel, propriétaire de deux vaches, est venu avec son épouse Romaine et son fils Nathan, ainsi qu’avec sa belle-sœur Sonia et son beau-frère Grégoire. Un machiniste professionnel est aussi de la partie; depuis 7 h 30, tout ce monde s’active sous la supervision d’Alain. «Il y a une conduite de purinage rompue à trouver et à refaire, la fosse à purin à bétonner, la cave à fromage à frotter, les bisses à contrôler et nettoyer, énumère le responsable. Je préfère prévoir les gros travaux avant l’inalpe. Le gérant doit pouvoir se concentrer sur les bêtes.»

Son deuxième séjour

Ce dernier, Laurent Bonnafoux, a déjà pris ses quartiers à Rouaz, avec son épouse Séverine, fromagère de son état, et leur petit Renaud (4 mois). Ce couple originaire du Var (F), qui passe tous ses étés sur les alpages valaisans depuis 2006, rempile pour sa deuxième saison à Rouaz. «On est arrivés déjà le 30 mai, confie-t-il, large sourire et accent méridional au diapason. On se met dans l’ambiance, on repère petit à petit les détails à régler… L’objectif, c’est le bien-être des vaches.»

S’il n’est pas lui-même astreint à la corvée, Laurent met volontiers la main à la pâte mi-dure, qu’il racle avec professionnalisme sur le coup de midi, alors que les corvéables s’installent pour une agape d’autant plus joyeuse que le boulot du jour a été expédié avec une efficacité record. Selon le calendrier établi par Alain Storno, la dernière corvée du printemps aura lieu le 16 juin, et les vaches débarqueront une semaine plus tard, samedi 23. La date de l’inalpe a longtemps été incertaine, comme d’ailleurs pour la plupart des alpages situés à 2000 m et au-delà: l’ahurissante quantité de neige tombée sur les hauteurs allait-elle fondre à temps? Courant mai, ils étaient nombreux à prédire une inalpe fortement retardée pour les alpages les plus hauts. La fonte rapide des derniers névés a déjoué leurs pronostics. «Avec le recul du permafrost, elle prend moins de temps, même avec un enneigement très important», observe Alain Storno. Certains consortages, toutefois, ont dû composer avec des routes fermées parce que sujettes à éboulements, et retarder leurs corvées – c’est le cas par exemple à Moiry.

La belle herbe gage de bon lait

Le problème est simple: d’une part, la pousse de l’herbe doit être assez avancée pour que les vaches s’en régalent tout l’été et que la repousse d’automne puisse se faire avant les frimas; d’autre part, plus vite les laitières sont à l’alpage après avoir vêlé, plus elles vont produire de gros volumes de lait à partir des herbages de juin, les plus savoureux – et un fromage de la meilleure qualité. À Rouaz, cela concerne essentiellement les «blanches» (holsteins, etc.). Celles-ci seront montées dès le 13 juin, par groupes, tous les deux jours. Et tant pis si les talus surplombant le Chalet Blanc sont encore un peu pelés: «Contrairement aux hérens, qui ne pensent qu’à grimper tout de suite, les blanches commencent par les pâturages du bas et ne monteront qu’après une quinzaine, explique Laurent Bonnafoux. L’herbe a le temps de bien repousser.» Après la désalpe, Alain Storno et ses troupes reprendront la corvée, avec pour gros œuvre l’arrachage des envahissants genévriers et la réfection complète de la fromagerie. D’ici là, Laurent et Séverine sont maîtres à bord. Et les vaches, bien sûr.

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Céline Ribordy

La loi de l'alpage

Un peu de droit du pâturage: Rouaz est un consortage d’environ 300 droits de fonds, répartis entre une centaine de propriétaires de vaches. Ceux-ci élisent un comité, lequel choisit un gérant, si possible pour dix ans. Membre du comité, le chef d’exploitation fixe le tarif de l’estivage, contrôle le lait, sert de courroie de transmission entre gérant et comité, règle les problèmes imprévus, etc. C’est aussi lui qui organise les corvées, obligatoires en vertu du règlement, à raison d’une corvée par trois vaches alpées. Faute de quoi une taxe de 130 francs est perçue du propriétaire. Qui, en plus, aura manqué la raclette.