Terroir
La caille pondeuse prend son envol

La chair et les œufs du plus petit des gallinacés sont un délice apprécié en gastronomie. Un éleveur fribourgeois s’est lancé, avec passion.

La caille pondeuse prend son envol

Certains passent des heures à observer des poissons évoluant dans leur aquarium; Marc Plancherel préfère les phasianidés, fasciné depuis toujours par ces petits oiseaux tachetés. «Mon oncle détenait quelques cailles et des lapins. Je devais avoir 6 ans et j’étais scotché au grillage: croyant me faire plaisir, mes parents m’ont offert un lapin, mais ce n’était pas du tout mon truc.» Depuis cette première rencontre, le Fribourgeois voue une tendresse particulière à ce petit emplumé farouche. Il s’est lancé dans l’élevage des cailles en 2011, essentiellement pour les œufs, en louant un hangar de la campagne fribourgeoise; dans l’entrée, des poussins duveteux de quelques jours vous accueillent en pépiant, plus craquants encore que les rejetons des poules, certains déjà tachetés, d’autres jaune tendre. Plus loin, une série de longues volières bricolées par l’éleveur pour que ses bébêtes tachetées y aient leurs aises…

Nourries aux céréales du coin
Elles sont nourries de céréales locales: «Le moulin de Romont produit des cubes à base de blé et de maïs produits dans un rayon de 50 kilomètres. Les cailles sont regroupées par clans, selon leur origine, on compte un mâle pour six femelles, et tous les œufs sont fécondés.» Marc Plancherel achète une partie des œufs dans des élevages français, afin d’éviter les problèmes de consanguinité. Il faut compter seize jours d’incubation autour de 37 degrés, après quoi les œufs prêts à éclore sont déposés dans le panier du bas de la couveuse et là, «ils éclatent les uns après les autres comme du pop-corn»… Par la suite, ces oiseaux restent plutôt frileux: «Impossible de les élever en extérieur, sous nos climats. Il leur faut une température comprise entre 15 et 30 degrés, des locaux chauffés en hiver et bien ventilés.»
Les couvées sont réparties de manière à éviter la consanguinité: «On peut les mélanger à d’autres oiseaux durant leurs dix premières semaines de vie, après quoi ça ne passe plus, ils se battent et les femelles peuvent être très féroces, piquant la tête et les yeux des mâles jusqu’à les massacrer.» Sinon, ces charmants petits emplumés ont un caractère plutôt doux et sociable: certains groupes sont particulièrement câlins. «Les cailles ont besoin d’une zone calme, comme dans la nature, où elles se sentent en sécurité et se cachent pour pondre.» En plus des mangeoires et des abreuvoirs automatiques à pipettes, ces minigallinacés ont donc des abris à disposition, ainsi que des bacs à sable où ils peuvent gratter le sol à loisir.

Un œuf par jour
Le premier jour, les cailleteaux ne reçoivent d’ailleurs que du sable, dont ils vont tapisser leur gésier, ce qui leur permettra de digérer les aliments par la suite. Le sol des volières est recouvert de paille compressée, renouvelée chaque semaine, qui absorbe et isole. Relativement rustique, la caille est moins sensible aux maladies qu’aux parasites, coccidiose ou pou rouge: Marc Plancherel mêle régulièrement de la diatomée, terre blanche qui en préserve de manière naturelle, à leur sable. En prenant leur bain de poussière, les cailles se pulvérisent ainsi leur propre antipou.
Les mâles et les pondeuses âgées sont vendus à un volailler. «Normalement, vers 2 ans, elles pondent moins bien, mais je n’arrive pas à me défaire de celles-ci, qui pondent encore comme des jeunettes…» La caille pond un œuf par jour, à l’exception d’une courte pause, de deux semaines à un mois. Les œufs sont vendus frais ou cuits et écalés en conserve. Et là, Marc Plancherel est catégorique: «Dépourvus de cholestérol, bien plus riches en fer, phosphore, vitamines B1 et B2 que ceux de poule, les œufs de caille sont un formidable aliment!»

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): Thierry Porchet

Le producteur: Marc Plancherel

À l’origine, Marc Plancherel est chauffeur de poids lourd, mais des ennuis de santé l’ont incité à amorcer ce virage professionnel. Commencé comme un hobby, son élevage de cailles se professionnalise dès 2011: il loue alors un hangar dans une ferme de la région pour installer ses petites protégées. À ce jour, il continue toutefois d’exercer une activité accessoire de chauffeur pour compléter les revenus de l’élevage. D’ailleurs – et c’est une question digne de Trivial Pursuit: comment appelle-t-on un éleveur de cailles? Un coturniculteur. Et sachez encore que la caille carcaille, courcaille, margote ou cacabe – ainsi nomme-t-on son langage… Installé entre Glâne et Broye, notre coturniculteur livre ses œufs à trois grandes surfaces proches, ainsi qu’à de petits commerçants, la Ferme vaudoise à Lausanne et la Halle de Rive à Genève. Enfin, et ce n’est pas rien, son premier fan est le HC Gottéron, dont les joueurs dévorent un millier d’œufs de caille par semaine. Enfin, plusieurs chefs réputés, de Pierrot Ayer à Serge Chenaux, comptent parmi ses clients.

De la Bible aux potions magiques…

Qui ne se souvient pas des sublimes cailles truffées en sarcophage du Festin de Babette, couronnant un repas en forme de chef-d’œuvre? Ce petit oiseau réputé grassouillet entre dans de multiples apprêts classiques; Escoffier en donne 38 recettes dans son Guide culinaire: farcies, Richelieu, aux raisins, aux cerises, etc. Dans l’Ancien Testament, Dieu fait pleuvoir des cailles et de la manne sur son peuple en proie au doute. Symbole biblique, la caille – ou plutôt ses œufs – se retrouve aussi mêlée à de nombreuses histoires de sorcellerie et de potions magiques (oublier cet ingrédient se révèle catastrophique pour les héros des Visiteurs…). Plus près de nous, l’homme a domestiqué depuis six cents ans la caille sauvage, ce gibier recherché de la famille des phasianidés. Et l’élève pour sa chair et ses œufs. La caille des blés (Coturnix coturnix) qui se cache dans nos champs et clairières, migrateur qui passe l’hiver en Afrique, est une cousine de la caille japonaise (Coturnix japonica) de nos élevages. Si leurs mœurs restent assez semblables, la sélection a créé des coloris différents: crème, isabelle…