Décryptage
La santé des chèvres passe par une gestion pointue des prés

La maîtrise des vers gastro-intestinaux contribue à garantir un troupeau sain et productif. Réorganiser les parcs en optimisant la surface herbagère fait diminuer la pression parasitaire.

La santé des chèvres passe par une gestion pointue des prés

Augmenter la part des herbages dans l’affouragement des chèvres laitières offre de nombreux avantages. La vision d’un troupeau au pré représente un atout non négligeable vis-à-vis du consommateur, toujours plus sensible aux conditions de détention des animaux. La mise au pâturage permet en outre de faire des économies significatives, en limitant notamment les coûts liés à la récolte du fourrage. Il favorise également la bonne santé des chèvres, tout en répondant à leurs besoins d’activités. Enfin, il augmente la teneur en acide gras insaturé du lait, les fameux oméga-3.
Cependant, faire pâturer des chèvres tout en assurant une bonne productivité est un défi permanent. «Plus sélectives que les bovins, elles ont tendance à laisser des refus, constate Nicolas Crottaz, éleveur caprin à Prévonloup (VD). En outre, comme elles sont sensibles aux intempéries, je dois les rentrer dès qu’il pleut ou qu’un orage menace.» Néanmoins, la sensibilité des chèvres aux parasites gastro-intestinaux est sans aucun doute le point qui pose le plus problème lorsqu’un troupeau pâture régulièrement. Le développement croissant de résistances aux vermifuges ajoute en outre une difficulté supplémentaire dans la gestion du parasitisme. L’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL) s’est donc penché cette année sur la question, l’objectif étant d’étudier une méthode de conduite de la pâture qui tend vers un compromis entre qualité de l’herbe et lutte contre le parasitisme.
Plusieurs éleveurs, dont Nicolas Crottaz, qui possède un troupeau de 150 chèvres laitières, ont adapté leurs pratiques en conséquence, sous suivi scientifique. Le principe de base de la méthode étudiée est simple: un séjour court de maximum 7 à 10 jours sur une parcelle, avec une pause de 70 à 80 jours avant d’y revenir avec des animaux. Ce long intervalle permet de limiter fortement les stades infectieux des parasites sur la pâture. Il diminue également la quantité de refus. Pour augmenter encore l’appétence des herbages, le Vaudois a choisi d’agrandir chaque jour la taille de la pâture. Les chèvres avaient ainsi quotidiennement de l’herbe fraîche à disposition. La surface totale a dû être adaptée, en la divisant en de plus petites parcelles. Dans l’intervalle sans bêtes, Nicolas Crottaz a pu en récolter du fourrage, grâce à une repousse suffisante cette année à cause des bonnes conditions météorologiques.

Compétences à acquérir
Gérer au mieux cette rotation rapide d’une parcelle à l’autre a cependant demandé une bonne planification. «Bien manager la surface mise à disposition en fonction du nombre de bêtes, ainsi que le rythme de passage et le timing idéal pour la coupe de foin intermédiaire nécessite en effet quelques tâtonnements et un peu d’expérience», reconnaît l’éleveur. Le travail supplémentaire requis pour poser et déplacer les clôtures n’est pas non plus à négliger. «La configuration de mes parcelles a nécessité la création de couloirs pour y accéder: plus fortement empruntés, ils ont été tassés et le rumex s’y est développé. Je vais devoir améliorer ce point.»
À l’approche de l’hiver, alors que son troupeau a quitté les prés, le bilan est cependant convaincant. «J’ai été bluffé par les résultats, reconnaît Nicolas Crottaz. Contrairement à l’année dernière, les analyses coprologiques ont montré une charge en parasites très faible à la fin de la saison de pâturage. Pourtant, le temps humide de cette fin d’été pouvait laisser imaginer un taux bien plus élevé. Je manque cependant de recul pour tirer des conclusions définitives: de nombreux paramètres peuvent influencer positivement ou négativement le parasitisme.» L’année prochaine, l’étude va se poursuivre, afin d’optimiser encore cette pratique prometteuse pour la santé des chèvres.

+ d’infos: Proconseil, le FiBL et l’Association romande des producteurs caprins organisent une journée technique “Type de pâture et gestion du parasitisme” le vendredi 6 mars 2020, à Grange-Verney (VD). https://www.prometerre.ch/formations/journee-technique-caprine-jtc-type-de-pature-et-gestion-du-parasitisme-2

Texte(s): Véronique Curchod
Photo(s): Mathieu Rod

Bon à savoir

Questions à Nathaniel Schmid, ingénieur agronome au FiBL, l’Institut de recherche de l’agriculture biologique

Pourquoi la gestion du parasitisme est-elle remise en question?
Parce qu’il est essentiel de limiter au maximum le développement de résistance. En effet, les éleveurs sont de plus en plus confrontés à des parasites multirésistants, où plusieurs matières actives se révèlent inefficaces. Dans certaines situations critiques, l’ensemble des vermifuges présents sur le marché ont une efficience inférieure à 80%. À terme, on pourrait imaginer que les pâtures soient tellement infestées que la détention de caprins n’y soit plus possible. Cette projection est loin d’être un scénario fiction: certains pays, comme la Nouvelle-Zélande, y sont déjà confrontés.

Comment agir au niveau de la pâture?
Les parasites se logent dans les sept premiers centimètres d’herbe. Même si la valeur nutritive la plus intéressante est située plus bas, il est important de sortir les chèvres de la parcelle quand l’herbe atteint cette hauteur. En outre, la présence des animaux doit être au maximum de dix à douze jours sur une même parcelle. Il faut compter un temps de repos de deux et demi à trois mois avant d’y revenir. Durant cette période, on peut alterner avec une fauche ou le passage de bovins ou de chevaux.

Bon à savoir

Maintenir dans les pâtures une population de vers non résistants aux vermifuges permet de diminuer le développement de résistances. Pour y parvenir, il est important de ne pas traiter l’ensemble du troupeau, mais au maximum 70 à 80% de son effectif. Si l’analyse coprologique est le moyen le plus sûr d’identifier les animaux atteints, elle a l’inconvénient d’être onéreuse. L’éleveur peut, avec une certaine expérience, apprendre à reconnaître les chèvres à traiter. Une étude du FiBL a pu démontrer qu’il existait ainsi une corrélation entre la couleur des conjonctives et le taux de strongles gastro-intestinaux. L’évolution de l’état corporel ou de la diarrhée sont aussi à prendre en compte. Par contre, la production laitière n’est pas un paramètre fiable.