De saison
La boîte en épicéa cache un trésor, le vacherin Mont-d’Or

Le délice vaudois est de retour dans les rayons. Qu’on le déguste à la cuillère dans sa boîte en bois ou chaud dans sa papillote d’aluminium, ce fromage typique de la vallée de Joux a su se distinguer sur le marché.

La boîte en épicéa cache un trésor, le vacherin Mont-d’Or

Quand on soulève son couvercle – ou que l’on ouvre la porte de son frigo –, on se retrouve immédiatement plongés dans la forêt du Risoud. L’effluve de fromage suit cette odeur boisée de près, ne laissant aucun doute sur l’identité de son occupant: dans cet écrin en épicéa se trouve un vacherin Mont-d’Or, l’un des trésors de la vallée de Joux. Les amateurs de ce mets unique en son genre ont dû patienter jusqu’au 22 septembre pour profiter de son coulant, de son onctuosité que l’on peut déguster jusqu’à la fin mars seulement.

Un décaillage en douceur
Ce délice saisonnier se mérite. Il demande également un énorme travail: «Avant de se retrouver dans sa boîte, un vacherin est manipulé pas moins de vingt-deux fois», explique l’un de ses meilleurs ambassadeurs, le fromager Serge André, de Romanel-sur-Morges (VD). Tout commence à la livraison du lait, provenant de douze exploitations de la région. Serge André, sacré deux fois d’affilée aux Swiss Cheese Awards pour son vacherin, l’observe couler dans la cuve. L’ambiance est tropicale dans la fromagerie, 30 degrés, avec beaucoup d’humidité. «Les vacherins suisses sont fabriqués avec du lait thermisé à 68 degrés contrairement aux français, au lait cru», explique-t-il.Le décaillage est plus grossier, il se fait lentement, dans une sorte de chorégraphie apaisante. Puis les pépites de lait, de la taille d’une pièce de 20 centimes, sont versées dans des moules. «Elles sont plus volumineuses que celles du gruyère, par exemple, car on essaie de conserver un maximum d’eau à l’intérieur de la pâte, note l’artisan. Cela nous permet d’apporter du fondant aux vacherins.»
Après que les bactéries ont fait leur travail et que les petites meules ont été égouttées pendant près de deux heures, les vacherins changent d’ambiance. Direction le spa aux effluves d’épicéa pour un bain de sel. Une fois les portes de l’espace de production refermées s’ouvre celle de la section affinage. D’un geste sûr, le fromage est encerclé par une sangle stérilisée, délicatement prélevée des mois plus tôt sur un épicéa combier. Le fromage ne s’en séparera plus. Plus de 400 vacherins sont ainsi ceints par heure, à la main. Ils se bonifieront ensuite sur une planche d’épicéa venue du Risoud pendant vingt et un jours. Puis ils sont lavés, en suivant des règles d’hygiène strictes afin d’éviter une contamination bactériologique. Une trentaine d’années après une crise due à la salmonelle, le traumatisme est encore vif dans la profession. «Nous suivons chaque fromage à la trace, des analyses ont lieu sur tous les lots, détaille Serge André. Les vacherins sont fragiles, on ne peut pas se permettre la moindre erreur.»

Un serrage de ceinture salutaire
Stérilisation, désinfection, hygiène impeccable: les employés se plient aux règles afin que les vacherins, délicatement frottés, mûrissent dans les meilleures conditions. Au fil des jours leur croûte jaunit, se dore, pour devenir finalement couleur brique. Vient alors le moment fatidique de la mise en boîte. C’est là que l’on apprête le fromage, le rendant encore plus gourmand et tentant aux yeux des consommateurs.
Si pour les humains, s’enserrer dans un pantalon trop petit est disgracieux, un bourrelet est au contraire flatteur pour le voluptueux fromage. À l’étroit dans une boîte un chouïa trop petite pour lui, de 110 mm au lieu de 120 mm par exemple, serré dans sa sangle en épicéa, il prend du volume. Et c’est le résultat escompté. Sa croûte se plisse alors, une petite vague seyante apparaît sur le dessus. «Le choix du diamètre de la boîte est important, confirme Serge André. Quand elle est trop grande, le vacherin est plat, ce qui séduit moins les clients.» Lavés une dernière fois, les fromages sont ensuite emballés et étiquetés avant d’être acheminés dans la plupart des grandes surfaces du canton, mais aussi de Suisse. La fromagerie de Romanel-sur-Morges fournit à elle seule près de 28% de la production totale de vacherins Mont-d’Or du pays. D’ici mars 2019, date de la fin officielle de la vente, plus de 560 tonnes de cette spécialité, fabriquée par une dizaine de producteurs vaudois seulement, auront été écoulées.

+ D’infos www.vacherin-montdor.ch

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): François Wavre

Le producteur

En 2016, c’est la consécration: Serge André reçoit un Swiss Cheese Award pour son vacherin aux Charbonnières (VD), dans le fief de la spécialité combière. Rebelote en septembre 2018 à Lucerne. Et pourtant, Serge André ne confectionne pas ses fromages sur les rives du lac de Joux comme le veut la tradition, mais bel et bien à Romanel-sur-Morges, un secteur toutefois compris dans les critères de l’AOP du vacherin Mont-d’Or. Une belle récompense pour la fromagerie vaudoise, qui célèbre ses 40 ans cette année. La recette des vacherins est transmise de génération en génération. Le grand-père de Serge en coulait déjà en 1930. Aujourd’hui, 170 tonnes de cette spécialité sortent chaque saison de sa fromagerie, experte en fabrication de pâtes molles. Serge André dirige 28 employés, avec lesquels il déjeune chaque matin. Sa fille aînée travaille actuellement dans la fromagerie et son fils a lui aussi choisi de se lancer dans ce métier.
+ D’infos www.fromagerieandresa.jimdo.com

Un délice binational

Les premières mentions d’un fromage suisse cerclé d’épicéa remontent aux débuts du XIXe siècle. Son homologue français, mais au lait cru et à la croûte fleurie, aurait vu le jour quelques décennies plus tôt. L’apparition du vacherin tel que nous le connaissons date de 1825 selon le Patrimoine culinaire suisse. Il faut cependant attendre quarante ans de plus pour que ce fromage gagne ses lettres de noblesse avec la fondation de la Société de laiterie des Charbonnières. Ce village, dans lequel se trouve aujourd’hui le musée consacré à cette spécialité, devient en 1865 l’épicentre de la production. Ce n’est qu’en 2003 que le vacherin Mont-d’Or conquiert son AOP. Puis, en 2017, la filière décide de numériser sa traçabilité afin qu’il soit totalement transparent auprès des consommateurs.