arboriculture
«Je souhaite contribuer à l’extinction des monocultures dans les vergers»

À la fois «vergerculteur» professionnel, biologiste et architecte paysagiste, le Québécois Stefan Sobkowiak plaide en faveur du verger permacole partout dans le monde.

«Je souhaite contribuer à l’extinction des monocultures dans les vergers»

 

Stefan Sobkowiak, à quoi ressemble un verger permacole?
➤ C’est un verger qui s’inspire complètement des écosystèmes naturels. Comme dans la nature, on n’y trouve pas qu’une seule espèce, mais des dizaines d’espèces et de variétés différentes. Pas uniquement des arbres, mais aussi des petits fruits, des légumes vivaces, des plantes aromatiques et des fleurs comestibles, et aussi des lianes, comme la vigne et le kiwi. Cette diversité attire une multitude de pollinisateurs, d’oiseaux et d’auxiliaires qui participent au contrôle des ravageurs. Il y a beaucoup moins besoin d’intervenir, car la nature le fait à notre place, gratuitement.

Vous prétendez que c’est mieux que le bio, pourquoi?
➤ En 1992, j’ai acheté un verger de pommiers basse tige de 5 hectares, à 80 km à l’ouest de Montréal. Je l’ai converti en bio et j’ai obtenu la certification en 1996. Mais je n’étais pas du tout satisfait du résultat. J’avais des arbres et de la pelouse, et je devais faire encore plus de traitements qu’en conventionnel. J’ai réalisé que tuer n’est pas la solution, car on touche rarement seulement sa cible. J’ai décidé de tout changer et d’appliquer les principes de la permaculture, avec l’espoir d’avoir au final plus de plaisir, moins de travail et plus de rendement.

Et ça a marché?
➤ Oui moyennant quand même beaucoup de travail au début. J’ai commencé par créer une pépinière, afin de produire moi-même, par bouturage, greffe et division, les milliers d’arbres et de plantes dont j’avais besoin. Les mulots puis les lapins m’ont détruit deux fois les arbres de la pépinière. En 2006, j’ai enfin pu arracher mes vieux pommiers, ce qui était une erreur, car j’aurais mieux fait d’en surgreffer une partie, puis je les ai remplacés par mes propres plants en suivant les conseils de Bill Mollison, l’un des précurseurs australiens de la permaculture.

En pratique, vous plantez toujours en ligne, mais comment associez-vous toutes ces espèces?
➤ Les lignes s’imposent pour la lumière, l’entretien et la récolte. La grosse différence, c’est bien la diversité. Bill Mollison conseillait de planter un arbre fixateur d’azote entre chaque variété de fruitier, dans le but de pouvoir se passer d’engrais azoté. J’ai adopté l’idée, mais, pour mieux rentabiliser mes surfaces, je plante en trios baptisés NAP: N pour le fixateur d’azote, par exemple un févier d’Amérique ou un caraganier; A pour apple ou pommier; P pour prunier ou poirier. Et je les alterne ainsi sur des rangs de 150 mètres de longueur. Il n’y a jamais deux espèces pareilles qui se touchent, ce qui limite la transmission des ravageurs et des éventuelles maladies. Une fois que les arbres ont été mis en place à 2,5 mètres l’un de l’autre, je remplis tous les étages de végétation avec des dizaines de petits fruits (cassis, groseille, framboise…) et des centaines de plantes vivaces comestibles.

Cela semble assez paradisiaque, mais autant de diversité ne doit pas faciliter la récolte?
➤ Aucun problème, ce n’est pas moi qui cueille! Dès le concept du projet, le fameux «design» en permaculture, j’ai choisi de miser sur l’autocueillette. Le verger est conçu en «allées d’épicerie», avec trois périodes de récolte par an: en mai, les oignons, l’ail, le thym, les fleurs; en juillet les petits fruits; d’août à octobre une soixantaine de variétés de fruits, qui sont regroupés en fonction de leur période de maturation. Il y a l’allée à cueillir du 20 au 30 août, celle du 1er au 10 septembre et ainsi de suite.

Et les clients jouent le jeu?
➤ Encore mieux qu’espéré! Plus il y a de variétés, plus ils achètent. Mes clients paient un abonnement de 60 dollars canadiens par an et achètent ensuite leur récolte au poids. Je n’ai que trois prix au kilo, ce qui facilite la tâche. Les gens sont prêts à faire plus d’une heure de trajet pour venir récolter eux-mêmes. Ils mettent beaucoup de valeur dans ce contact direct avec la terre et la nature. Et moi j’échappe aux frais de stockage, de conditionnement, de transport et de certification bio, car ce sont mes clients les meilleurs juges.

Vous réussissez à vous passer totalement d’intrants?
➤ J’utilise seulement du compost à la plantation, et du petit-lait, efficace contre certaines maladies fongiques comme la tavelure. J’ai aussi des poulets qui m’aident à entretenir les parcelles. Les coûts d’exploitation annuels se résument à environ 150 dollars pour le petit lait et 300 dollars/an pour l’électricité de la pompe d’irrigation. Je puise directement l’eau dans un lac tout proche. Et enfin, comme mes plantations sont denses et bien mulchées, je ne consacre guère plus de 5 heures par année au désherbage.

C’est donc une affaire rentable qui vous permet de gagner votre vie?
➤ Je n’ai pas d’employés. La production me fait vivre six mois par an, sans subventions. Le reste de mes revenus provient de la vente de greffons et de boutures, des poulets et aussi des cours, des stages et des ateliers pratiques que j’organise au verger et dans les hautes écoles. Je ne cherche pas non plus à gagner et à travailler plus, il faut savoir profiter de la vie.

Depuis quatre ans, vous sillonnez l’Europe pour partager votre expérience. Votre modèle de verger permacole a-t-il déjà fait des émules?
➤ Je pense qu’il y a environ 150 personnes qui ont démarré un projet. Il en existe un en Suisse romande, le Biodi Verger de Marcelin (VD), mais il faudra patienter encore au moins deux ans pour qu’il ait une réelle production.

Que vous inspirent les vergers conventionnels que vous avez pu voir sur le Plateau suisse?
➤ De la tristesse. Car j’ai vu ce qu’il est possible d’obtenir dans une polyculture, avec moins d’efforts et sans poisons. Avec ses petites exploitations, la Suisse se prête bien mieux que le Québec à la création de vergers permaculturels. Idéalement, pour que ça fonctionne bien financièrement, il faudrait se trouver à trente minutes d’un bassin de population de 30 000 personnes. Il me semble que c’est partout le cas en Suisse, non?

 

Texte(s): Propos recueillis par Aino Aidriens
Photo(s): Aino Aidriens

Bio express

1987 Licence en biologie, spécialisé en ornithologie.
1990 Maîtrise en architecture du paysage.
1992 Rachat d’un verger conventionnel de 5 hectares.
1996 Certification bio du verger.
2002 Création de la pépinière.
2007 Plantation d’un premier verger permacole de 4 hectares.
2010 Première année de production, puis année record en 2013.
2014 Première tournée de conférences en Europe
+ d’infos Le site de Stefan Sobkowiak: miracle.farm. Le verger permaculturel,
au-delà du bio: un film d’Olivier Asselin  sur le verger de Stefan Sobkowiak  téléchargeable sur  www.permacultureorchard.com