Terroir
À la fois cru et fumé, le jambon de Laurent Droux revisite la tradition

Le boucher d’Estavayer-le-Lac (FR) a inventé une spécialité unique en son genre, un jambon cru fumé à la borne. Délicatement épicé et affiné durant plusieurs mois, ce délice est très prisé des gourmets.

À la fois cru et fumé, le jambon de Laurent Droux revisite la tradition

On sent en premier le laurier, le clou de girofle, puis le poivre. Dans le laboratoire de Laurent Droux, les épices flattent le nez des visiteurs. Ce matin-là, son équipe s’active de bonne heure pour remplir les étals de sa boucherie aménagée avec goût au cœur de la vieille ville d’Estavayer-le-Lac (FR). Ici, l’accueil se fait en musique et chaque détail a été pensé pour mettre en valeur les produits, qui lui ont valu des médailles dans des concours nationaux. Parmi les salamis et les saucisses de veau, une préparation unique se démarque: un jambon cru fumé à la borne.
L’artisan fribourgeois a lancé cette spécialité il y a cinq ans, souhaitant rompre avec les produits un brin trop traditionnels.

Il en prépare désormais 60 kilos chaque semaine, été comme hiver. «Il y a en permanence environ 300 kilos dans le circuit, pour éviter que l’on soit en rupture de stock, ce qui est arrivé parfois, lors de la saison des asperges», note le professionnel. «Pour ce jambon, j’utilise les mêmes épices que celles enrobant traditionnellement le jambon de Parme. Elles contiennent notamment du salpêtre naturel, explique Laurent Droux, qui n’hésite pas à aller lui-même en Italie pour s’approvisionner. La viande provient de cochons élevés à Salavaux (VD) par des producteurs que je connais depuis des années.»

Fournisseurs de qualité
Amateur de voyages, le boucher se rend régulièrement à l’étranger, profitant à chaque fois de déguster des spécialités locales qui l’inspirent. Il achète également, là où ils sont produits, les ingrédients qui se prêtent le mieux à ses préparations, comme des noisettes du Piémont ou encore de la truffe blanche d’Alba. «Les bouchers doivent être fiers de leur profession. Pour moi, cela commence par le choix des fournisseurs. Les connaître, s’intéresser à leur métier nous permet d’avoir une viande de qualité», ajoute cet ardent défenseur du savoir-faire des artisans.

Traitement de faveur
Perfectionniste – il le reconnaît lui-même volontiers – et à l’écoute de ses clients, il vient de modifier la recette de son fameux jambon, pour éviter les pertes à la découpe. Désormais, il utilise des longes de porc pour le réaliser. Leur transformation en jambon prend du temps, de quatre à cinq mois. Elle commence par un peeling épicé, suivi d’un court massage pour imprégner les morceaux de saveurs prononcées. «On compte 30 grammes d’épices par kilo de viande, dont 25 de sel, poursuit le boucher, qui dit limiter au maximum les additifs, le salpêtre et le sel nitrité. C’est ce qui permet d’assécher le jambon. En quatre mois, il perdra environ 40% de son poids initial.»

Il changera aussi radicalement de couleur, passant d’un rose tendre à un brun foncé. Après avoir passé un mois à ce régime, place à l’étape clé de la métamorphose, le fumage. Cette opération cruciale affirme le caractère de ses jambons, les démarquant clairement de leurs concurrents. Elle se déroule à quelques kilomètres de là, dans la borne du boucher Blaise Pernet, installé à Corcelles-près-Payerne. Pendant un mois, ce dernier se mue en gardien des jambons, dont il prend autant soin que des premières saucisses au chou de la saison.

Un écran de fumée
«Il faut qu’il y ait de la fumée 24h sur 24 dans la borne, explique Blaise Pernet. Chaque jour, je dispose de la sciure de sapin sur le sol, en andin. On y met le feu et ça bourronne toute la journée, créant un écran de fumée dense. C’est elle qui aromatise la viande.» La vigilance est de mise, les conditions climatiques, le taux d’humidité dans l’air mais aussi la température dans la borne pouvant avoir un grand impact sur la qualité des spécialités qui y ont été stockées.

Après ce séjour en terre vaudoise, les jambons rentrent au bercail, noircis à souhait, pour rester au sec un mois supplémentaire. Mais leur repos n’est que de courte durée: ils sont ensuite pressés un à un, afin d’uniformiser leur séchage. «Si le cœur est humide, le goût n’est vraiment pas bon, poursuit le professionnel. Le pressage permet de répartir l’humidité contenue dans les jambons. Et leur donne la forme d’un pavé plus allongé. »
Ils sécheront ainsi encore un mois, avant d’être commercialisés dans de nombreuses enseignes de Suisse romande.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Thierry Porchet

Séché pour durer

Le jambon à la borne est l’une des stars des menus de la bénichon fribourgeoise. La pièce de porc, salée à sec, est cuite puis fumée dans cette grande cheminée durant plusieurs semaines. Le jambon cru, quant à lui, a gagné ses lettres de noblesse dans les cantons du Valais et des Grisons. Il s’agit de viande séchée selon une technique attestée depuis le XVIe siècle, un moyen de conserver la viande, les frigos et congélateurs n’existant pas à l’époque. Cela permettait de notamment diminuer les risques de pourrissement. Aujourd’hui, le jambon est souvent séché sans être fumé au préalable.

L’artisan: Laurent droux

Laurent Droux ne se prédestinait pas au métier de boucher. Il rêvait en réalité de faire des loopings dans les airs aux manettes d’un jet militaire. Sa licence de vol en poche, il suivra toutefois un apprentissage dans l’établissement familial, basé à Estavayer-le-Lac, épaulant ses parents pendant des années. Il brille aux examens et crée des produits, dont un «pavé» vendu par milliers à la Fête des vignerons de 1999, souhaitant redonner ses lettres de noblesse à un métier souvent dévalorisé.

En 2003, il reprend les rênes de l’entreprise, la modernisant et développant la gamme de produits crus, son point fort, n’hésitant pas à donner des conseils à ses collègues. Laurent Droux emploie aujourd’hui une dizaine de personnes et se réjouit que l’un de ses deux fils veuille perpétuer l’histoire de la boucherie Droux, en commençant prochainement son apprentissage.