Jacques Demierre, gérant d’IP Suisse Romandie
«IP Suisse veut devenir le numéro 1 d’une production agricole durable»

Âgé de bientôt 30 ans, le label IP Suisse affiche ces derniers mois une stratégie commerciale des plus offensives. Le but annoncé est clair: devenir le leader de la production agricole helvétique d’ici à 2020. Les explications du gérant d’IP Suisse Romandie, Jacques Demierre.

«IP Suisse veut devenir le numéro 1 d’une production agricole durable»

Depuis l’automne dernier, les drapeaux IP Suisse flottent devant chaque enseigne Denner. Vous avez en effet signé un accord de partenariat avec ce discounter, qui n’est pourtant pas spécialement réputé pour pratiquer des prix très rémunérateurs pour les producteurs. Vous avez donc vendu votre âme au diable?

➤ Denner est certes un discounter, mais qui cherche clairement à mieux se profiler sur le marché en répondant aux deux attentes du moment des consommateurs: la recherche de proximité et la durabilité. Or IP Suisse est un label qui garantit justement ces demandes! Par ailleurs, avec ses 800 points de vente, Denner est la ­deuxième puissance commerciale de Suisse et constitue une force de frappe des plus intéressantes. On aurait donc tort de priver les 19 000 exploitations agricoles membres d’IP Suisse d’un nouveau débouché commercial! Enfin, en ce qui concerne la politique de prix, tous nos partenaires quels qu’ils soient, discounters ou pas, paient la même prime sur nos produits. En aucun cas nous ne bradons notre label sur l’autel du business.

En parallèle, vous multipliez les «coups» commerciaux avec des acteurs majeurs de l’agroalimentaire, comme Nestlé, ou en reprenant un groupe spécialisé dans la production carnée comme Schneider. Quelle est la finalité?
➤ Nous voulons qu’IP Suisse devienne le premier producteur agricole de Suisse d’ici à 2020, et le plus durable. Élargir le champ de nos partenaires et diversifier nos modes de commercialisation nous permettra d’augmenter les volumes de produits IP Suisse et d’améliorer la présence du label sur le marché. Nous cherchons par ailleurs à compléter notre gamme de produits, jusqu’à présent axée sur les céréales et la viande. Ainsi, le sucre IP suisse fera son apparition cette année. Nous venons également d’établir un cahier des charges pour la production de fruits et légumes selon les méthodes de production intégrée, secteur pour l’instant inexploré. Enfin, nous lançons également des nouveautés, comme le quinoa. C’est certes un marché de niche, mais loin d’être négligeable: en termes de consommation, on est passé en Suisse de 25 tonnes en 2010 à 1000 tonnes en 2016!

Cet ambitieux objectif est-il en adéquation avec les réalités du marché? D’un côté, il y a en effet des producteurs en liste d’attente pour produire sous label IP et de l’autre, des consommateurs qu’on sature de marques et d’appellations…
➤ Il y a un potentiel évident à nos yeux, mais il s’agit de savoir l’exploiter. Le grand défi pour IP Suisse, c’est de davantage exister d’un point de vue marketing. Notre coccinelle doit être mieux reconnue par le grand public, elle véhicule une image sympathique et durable de l’agriculture, proche de l’environnement.

Bio Suisse reste cependant plus fort que vous d’un point de vue marketing et progresse de façon arrogante en termes de surfaces, notamment en Suisse romande. Comment comptez-vous faire pour que votre coccinelle devienne aussi forte et significative pour le consommateur que le Bourgeon?
➤ Bio Suisse et IP Suisse ne se concurrencent pas, ils se complètent. Nous sommes sur des marchés différents, nous nous adressons à des consommateurs différents. Cela dit, nous avons un avantage énorme par rapport au bio: c’est la provenance. Sur tous les aliments bios consommés chaque année dans notre pays, quelle est la proportion de produits indigènes? Pas si élevée que ça! IP Suisse garantit que tous ses produits sont fabriqués en Suisse, à base de matières premières suisses.

Votre positionnement agronomique – entre le conventionnel et le bio – ne facilite pas la communication auprès du grand public. Est-ce qu’une labellisation intégrale des exploitations, comme le fait Bio Suisse, ne vous rendrait pas plus visible et cohérent pour le consommateur?
➤ C’est effectivement un point d’achoppement. Expliquer l’agriculture au grand public reste encore une gageure. Quant à imposer un tel changement de système, ce n’est pas forcément ce que souhaitent nos membres. C’est certes plus compliqué en termes de communication, mais nos valeurs – défense de la biodiversité, préservation des ressources – constituent un socle, solide et unique en son genre.

La politique agricole 2014-17 s’est largement inspirée de votre catalogue de mesures mis en place depuis trente ans. De quoi vous inquiéter ou vous réjouir?
➤ Les deux! Tant mieux si le standard se rapproche de nous, cela prouve finalement qu’on a pris le bon chemin et nous pousse à aller de l’avant. Maintenant, c’est clair que si nous voulons pérenniser notre existence commerciale, il nous faut conserver ce temps d’avance et nous démarquer de ce qui est en train de devenir la généralité. À mon avis, au regard des attentes des consommateurs, il y a une marge de progression évidente sur la réduction de pesticides en production végétale et d’antibiotiques en élevage, par exemple.

L’étau se resserre sur les phytos pour tous les producteurs! Sur quels autres éléments pouvez-vous concrètement vous différencier?
➤ Nous avons deux chantiers en cours: l’énergie et le social. Concrètement, nous allons d’ici à 2020 proposer de nouvelles mesures dans notre catalogue, afin d’augmenter l’efficacité énergétique et de réduire les émissions de gaz à effet de serre des exploitations, d’une part, et d’améliorer la responsabilité sociale, d’autre part. Le bien-être du producteur et de la famille doit en effet être davantage considéré dans la chaîne de production. Il est par ailleurs essentiel de travailler sur l’intégration et l’acceptation de l’agriculture dans la société. Notre objectif est clair: offrir des perspectives aux jeunes générations dans le secteur agricole. Ce qui n’est aujourd’hui plus le cas en production laitière notamment.

Justement, il y a quelques années, vous aviez lancé «le lait des prés», qui a été abandonné en Romandie. Pourquoi IP suisse ne fait-il pas davantage pour trouver des solutions sur le marché laitier, qui aurait pourtant bien besoin de valeur ajoutée?
➤ Le lait des prés existe encore bel et bien. Aujourd’hui, ce sont 45 millions de litres de lait qui sont chaque année valorisés par ce canal – et procurent une plus-value de 4 centimes par litre aux producteurs – dans les Migros bernoises et de Suisse centrale. Denner en commercialise aussi, tout comme les magasins Manor et SV Group, actifs dans la restauration collective. Afin d’élargir les possibilités commerciales de ce lait des prés, nous venons de lancer une collaboration avec Nestlé Suisse, qui se concrétisera d’ici à la fin de l’année 2017. Il y a une marge de progression évidente, notamment en vue de fabriquer davantage de produits laitiers (pâtes molles, etc.), que nous allons exploiter dans les temps à venir.

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Mathieu Rod

Bio express

Âgé de 43 ans, Jacques Demierre est le gérant de la partie romande d’IP Suisse depuis 2003. Auparavant, le Fribourgeois, titulaire d’un diplôme d’agrocommerçant, a travaillé quelques années chez Optigal. Passionné de montagne et de sport, il a également géré pendant dix ans l’exploitation familiale de Montet, dans la Glâne, jusqu’en 2004.

En chiffres

IP Suisse en 2016, c’est:
19’000 exploitations.
8000 tonnes de pommes de terre.
3000 tonnes de colza.
130’000 tonnes de céréales panifiables, soit un tiers de la production indigène.
650’000 têtes de bétail (sans compter la volaille).
45 millions de kilos de lait.
45 millions de francs de valeur ajoutée dégagée par année.
9023 hectares de prairies fleuries avec une qualité botanique supérieure.
3845 hectares consacrés à la biodiversité (patch à alouettes, etc.)
+ D’infos www.ip-suisse.ch