Point fort
Ils recyclent l’acier du Jura pour fabriquer des montres zéro déchet

À Saignelégier (JU), le sous-traitant horloger Panatere collecte et revalorise les chutes d’acier des usines de la région. Pour les bracelets, un cuir écologique à base de pommes, de fenouils et de raisin a été élaboré.

Ils recyclent l’acier du Jura pour fabriquer des montres zéro déchet

À l’aide d’une loupe oculaire, une ouvrière assemble minutieusement de petites pièces en acier poli, puis fixe des aiguilles sur un cadran. Nous sommes chez Panatere, sous-traitant horloger installé depuis 2017 à Saignelégier (JU), qui fabrique des composants et des montres pour des marques nationales et étrangères. Cette entreprise a récemment mis sur pied la première filière d’acier inoxydable recyclé et recyclable du pays. Une initiative inédite, qui vise à diminuer l’empreinte écologique de cette industrie.

«L’acier est la matière première la plus utilisée dans l’horlogerie, mais il vient principalement d’Asie et n’est pas toujours de bonne qualité. Nous avons donc décidé de relocaliser ce marché et de fonctionner en circuit court», expose Raphaël Broye, fondateur de Panatere. Pour y parvenir, la société récupère les chutes d’acier qui résultent de l’usinage du métal dans la région, notamment dans le secteur horloger, médical et aéronautique. Ce réseau de collecte est actuellement composé de 45 firmes, dans un rayon de cinquante kilomètres. «Jusqu’à présent, ces copeaux étaient renvoyés en Chine. C’était un non-sens! Les industries suisses consomment environ 120 000 tonnes d’acier inoxydable par an, ce qui fait de notre pays l’un des plus gros consommateurs d’Europe. Nous nous devons de valoriser ces déchets!»

Nouvel or du Jura
Avant toute chose, une méthode de tri rigoureuse a dû être mise en place, afin de garantir la traçabilité et la pureté des cinq nuances d’acier utilisées dans la fabrication de montres. «Nous avons demandé à nos partenaires de séparer les copeaux dans des bennes différentes. Il a fallu du temps pour que ces nouvelles habitudes soient adoptées», raconte Liselotte Thuring, cheffe de projet. La matière est ensuite scannée à l’aide d’un pistolet spectrométrique, mise sous scellés, puis acheminée dans les hauts fourneaux de deux fonderies, situées à moins de 250 kilomètres du Jura. Près de cinquante tonnes d’acier sont coulées par nuance, pour une production finale de 250000 montres. «Il n’a pas été facile de trouver des aciéristes qui acceptent de fondre de si petites quantités, car cela ne représente que quatorze minutes de travail. Il a fallu les convaincre du bien-fondé de la démarche», explique-t-elle. Afin de réduire davantage l’empreinte écologique de ses produits, Panatere projette même d’installer un four solaire dans la région.

Si les lingots produits sont certifiés non allergènes et biocompatibles, 135 tests ont dû être effectués pour s’assurer, notamment, de la résistance de l’acier à la salinité ou à l’acidité de la peau. «Aujourd’hui, ses propriétés sont exactement les mêmes que celles de l’acier classique, avec un bilan carbone divisé par six. C’est le nouvel or du Jura!» assure Raphaël Broye. Quant à son prix, il est pour le moment équivalent, notamment grâce à des subventions fédérales en faveur de l’environnement.

Transparence et traçabilité
L’une des premières marques à avoir fait appel à Panatere est ID Genève, qui a lancé une gamme inédite en décembre dernier, à la suite d’un financement participatif. «Nous avons reçu 275 000 francs en quelques semaines, ce qui montre l’intérêt des consommateurs pour ce type de produit», se réjouit Nicolas Freudiger, son fondateur. Les autres fournisseurs ont été sélectionnés en fonction de leur proximité et de leur durabilité, dans une optique d’économie circulaire. Dans la boutique en ligne, ces derniers sont clairement mentionnés, pour plus de transparence. «Ce n’est généralement pas le cas pour les autres marques. Le marché horloger mondial est très opaque. Nous souhaitons faire évoluer ce modèle d’affaires.»

Il en est de même pour Panatere, qui s’est entouré de plusieurs start-up européennes pour étendre son concept aux autres composants horlogers. Ainsi, un bracelet fait à partir de matière organique comme le fenouil, la pomme ou le raisin a été élaboré. De nombreux tests sont actuellement menés pour évaluer la qualité de ce cuir écologique novateur. «Les fibres naturelles du raisin sont particulièrement qualitatives. En revanche, nos essais avec l’ananas ne sont pas concluants», précise l’entreprise. Dans le Jura, des points de collecte ont été mis en place, afin de collaborer avec des maraîchers. Mais la société ne s’arrête pas là: les joints d’étanchéité des montres sont conçus en canettes de PET et l’huile de coupe – issue du pressage des copeaux lors de l’usinage – est valorisée en produit détergent par une firme saint-galloise. «Il s’agit de créer un écosystème vertueux. Notre but? Que le mot «déchet» disparaisse de notre vocabulaire d’ici trente ans.»

+ D’infos www.panatere.com

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Nicolas de Neve

Economie circulaire

Panatere est l’un des premiers acteurs horlogers à s’engager auprès de Circular Economy Switzerland. Lancé en 2019, ce mouvement accompagne et met en relation des entités privées ou publiques favorables à l’économie circulaire. Les signataires de la charte s’engagent à privilégier les circuits courts et à réduire les déchets, les pertes énergétiques et la consommation de ressources, dans le but de renforcer la résilience du système et de créer des emplois en Suisse. Un label «Circular Swiss Made» a récemment été créé.

Questions à...

Jean-Daniel Pasche, président de la Fédération de l’industrie horlogère suisse

La durabilité est-elle prise en compte dans votre secteur?
Oui, de nombreuses législations en ce sens entrent en vigueur en Suisse et dans le monde. Certaines substances toxiques utilisées lors de la fabrication, telles que le plomb ou le cadmium, sont désormais limitées. Nos entreprises doivent s’y conformer, car elles exportent 95% de leur production. Notre rôle est de les informer de l’évolution de ces normes.

Selon vous, la filière mise sur pied par Panatere a-t-elle de l’avenir?
Bien sûr! Il y a un mouvement général en faveur des circuits courts. En outre, les consommateurs, notamment les jeunes, ont de plus en plus envie de connaître la provenance de ce qu’ils achètent, autant pour les produits alimentaires que pour les montres. Certaines marques horlogères font des efforts de transparence, mais d’autres restent plus discrètes.

Sans compter que cette industrie ne peut se passer des importations…
Effectivement, les matières premières comme le fer ou l’or proviennent de mines étrangères. En revanche, les pièces peuvent être fabriquées ici, mais les coûts sont souvent plus élevés. Bien que nous soutenions la production locale, il est nécessaire de trouver un équilibre.