Terroir
Ils célèbrent le lait de chanvre dans des glaces

L’entreprise genevoise Konoï élabore des bâtonnets glacés à base de graines de Cannabis sativa. Un procédé inédit qui vise à réintroduire cette denrée protéinée ancestrale dans notre alimentation.

Ils célèbrent le lait de chanvre dans des glaces

En bouche, on retrouve la fraîcheur des desserts glacés et les arômes gourmands de l’été, que l’on déguste volontiers en flânant au bord du Léman. Pourtant, derrière cette apparente simplicité se cache bien plus que de banales glaces. Les bâtonnets de Konoï sont élaborés à base de lait de chanvre, un produit artisanal inédit que l’entreprise souhaite réintroduire dans l’alimentation des Suisses. «En plus d’être sain et protéiné (ndlr: lire l’encadré ci-contre), ce lait végétal est écologique, puisque le chanvre pousse à merveille sous nos latitudes, avec peu d’arrosage et zéro pesticide. Ainsi, sa production consomme environ dix fois moins d’eau et de CO2 que celui de vache», affirme Benoît Fanin en nous accueillant dans son atelier à Meyrin (GE).

Cet autodidacte a effectué plusieurs années de recherche et développement entre la Suisse et l’Autriche afin de mettre au point le procédé idéal, avec sa compagne Kumiko Kuwabara. Leur credo: confectionner des douceurs au chanvre pour réimplanter le chanvre en douceur. «Il s’agit d’une des premières plantes domestiquées par les humains. Dès le néolithique, on l’a utilisée pour se nourrir, se vêtir, se soigner et fabriquer des outils. Les Perses la nommaient même la graine royale!» Mais elle a été interdite au XXe siècle, notamment en raison de ses propriétés psychotropes. «Aujourd’hui, nous souhaitons la dédiaboliser afin de montrer ses incomparables vertus et ressusciter un savoir-faire perdu», raconte-t-il en enfilant son tablier.

Des variétés bios

Quelques jours avant notre rencontre, l’entrepreneur a mis à germer plusieurs kilos de graines de Cannabis sativa, afin d’augmenter leur potentiel nutritionnel. Récoltées à la fin de l’été dernier, celles-ci proviennent d’une exploitation française, en Savoie. Prochainement, la ferme La Lizerne, à Dizy (VD), fera aussi partie de la liste des fournisseurs. Ces variétés bios ont ensuite été mélangées à de l’eau, puis broyées. D’une main ferme, l’artisan dépose la mixture dans une étamine afin de la filtrer et récupérer le lait. «Malgré ce qu’on pourrait penser, c’est un processus très simple», glisse Benoît Fanin en nous tendant une tasse contenant le nectar blanc fraîchement pressé.

Verdict: une onctuosité intéressante et un goût un peu «vert», avec une subtile touche de noisette. «C’est une boisson assez neutre et discrète. Nous la commercialisons crue – soit non pasteurisée –, afin de conserver toutes ses propriétés, contrairement à ce qui se fait
généralement dans l’industrie», remarque-t-il, estimant à une dizaine le nombre de producteurs de lait de chanvre dans le monde. Une fois cette étape terminée, le liquide sera infusé durant plus de huit heures avec différents ingrédients, afin de proposer des saveurs telles que fraise balsamique, poire gingembre ou encore sésame noir. Le tout sera finalement versé dans des moules équipés d’un bâtonnet, réservé au congélateur puis emballé. Coloré et moderne, l’emballage a été imaginé par Kumiko, designer de métier.

Démocratiser son usage

Le succès est-il au rendez-vous? Oui, auprès d’un public végan et des familles sensibilisées à l’écologie. Mais de nombreux stéréotypes subsistent encore, témoigne le couple. «Certains adultes ont peur de donner du chanvre à leurs enfants. Pourtant, les graines sont loin d’être une drogue! Quand nous avons créé l’entreprise, aucune banque n’a voulu nous ouvrir un compte professionnel, il a fallu ruser. De plus, il est toujours impossible pour nous de faire des campagnes de publicité sur les réseaux sociaux. Les mentalités doivent évoluer.»

Justement, outre la légalisation du CBD, la récente levée de l’interdiction du cannabis à usage médical en Suisse contribue à relancer la filière du chanvre dans le pays. Récemment, Konoï a également été accepté dans la Swiss Food & Nutrition Valley, une initiative visant à développer l’innovation alimentaire dans le pays. «Cela nous crédibilise autant dans le milieu de l’agroalimentaire qu’auprès des clients. C’est une belle avancée.» Car Benoît et Kumiko ne comptent pas s’arrêter là. En plus de proposer des farines et tisanes au chanvre, ils commercialiseront dès cet automne des biscuits et un concentré de lait végétal, afin de devenir, ils l’espèrent, des leaders sur ce marché. «Cette plante a eu un rôle central dans le développement de nos sociétés.
Il est temps de lui rendre ses lettres de noblesse et de mettre sur pied une filière écologique, saine et locale.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Nicolas Righetti/Lundi13

Bon pour la santé

Le lait de chanvre représente l’une des meilleures sources de protéines végétales, plus nutritif que celui de soja, qui est également fabriqué en Suisse. Il renferme en effet huit acides aminés essentiels que notre organisme ne produit pas. Riche en acides gras indispensables – dont les précieux oméga 3 et 6 –, ce superaliment est aussi bourré de vitamines, de minéraux et de fibres. Dépourvue de gluten et de lactose, cette boisson participe ainsi à conserver une bonne santé cardiovasculaire, à stabiliser le taux de cholestérol
et à renforcer les défenses immunitaires. Si le chanvre appartient à la famille des cannabinacées, ses graines sont exemptes de psychotropes, comme le THC ou le CBD.

Les producteurs: Benoît Fanin et Kumiko Kuwabara

Durant ses études en sciences de l’éducation à l’université, le Genevois Benoît Fanin tenait une petite boutique spécialisée dans la consommation éthique, dans laquelle il vendait, entre autres, des graines de chanvre. «À cette époque, je confectionnais du lait pour ma consommation personnelle, puis j’ai décidé de me lancer.» Avec le soutien de sa compagne Kumiko, originaire de Tokyo, au Japon, le quadragénaire a développé ses premières glaces en 2014, avant de créer son entreprise il y a trois ans. Aujourd’hui, les produits de la marque sont disponibles dans une vingtaine de points de vente, de Genève à Vevey (VD). Les bâtonnets glacés sont vendus 4 fr. 50 pièce.