RECYCLAGE
Il faut trois mois pour transformer nos déchets verts en or brun

Chaque mois jusqu’à l’été, nous partons à la découverte des principales filières de recyclage de Suisse. Ce deuxième épisode est consacré au compost, qui va permettre de nourrir les champs et les potagers.

Il faut trois mois pour transformer nos déchets verts en or brun

Un couple vaudois vide un pick-up débordant de branches de feuillus et de conifères dans une benne surmontée d’un panneau «commune de Lutry». «C’est la saison de la taille», constate Gisela Favre, en observant le binôme. La femme gère la compostière La Coulette, à Belmont-sur-Lausanne (VD), une exploitation installée ici depuis vingt-huit ans et fréquentée par les habitants des villages de Lavaux, les agriculteurs du voisinage et quelques entreprises régionales. Les déchets verts qu’ils y jettent sont récupérés pour en faire du compost, et c’est ce qui nous intéresse aujourd’hui. La propriétaire nous invite donc à la suivre, pour nous faire découvrir ce processus si particulier.

Pour la première étape, direction un abri avoisinant une entrée réservée aux camions. Quelques feuilles, épluchures et branchages, ainsi que deux sachets plastique, jonchent le sol. C’est là que se déroule le tri. «Nos plus gros ennemis sont les plastiques, admet Gisela Favre. Un employé s’occupe de les séparer du reste. C’est fou ce que l’on retrouve parfois.»

Un peu plus loin, une gigantesque benne brune accueille les substances séparées. On y distingue des bouteilles en PET, des emballages et même quelques sacs consignés. Une majeure partie des déchets inorganiques retrouvés proviennent de la collecte porte-à-porte, dévoile Gisela Favre. «On a par exemple des personnes qui se débarrassent de sacs biodégradables en pensant qu’ils sont compostables. Ce n’est pas la même chose. On aimerait que les gens fassent plus attention et jettent uniquement les végétaux crus.»

 

Une longue transformation

La biomasse est ensuite envoyée au cœur de l’exploitation. Là, une pelleteuse la transfère dans une imposante broyeuse à marteaux. En ressort un mélange brun clair déchiqueté en particules grossières, entassé en plein air et prêt à être transformé petit à petit par des bactéries et des champignons, qui s’occuperont ainsi de terminer le travail. Cette réaction de compostage permet de stabiliser les substances végétales. La matière assainie est riche en nutriments pour les sols et non nauséabonde. «Un bon compost ne dégage pas d’odeur», note Gisela Favre en pointant son nez.

La réaction se fait dans un milieu aérobie, car les micro-organismes ont besoin d’oxygène. «Une fois par semaine, nous tournons donc les monticules pour aérer, explique la propriétaire. Nous contrôlons aussi régulièrement la température, qui ne doit pas descendre en dessous de 54 degrés.» Les eaux rejetées durant la transformation sont récupérées et utilisées pour asperger régulièrement la masse, afin de maintenir son humidité. En longeant les amas, on remarque vite que sa couleur devient de plus en plus foncée au fil du temps. Le plus vieux tas date de novembre dernier. «Il faut environ trois mois de digestion pour que le compost soit prêt, continue Gisela Favre. Avant d’être distribué, il est encore passé au travers d’un tamis au maillage de 25 millimètres. Un dernier filtre pour s’assurer qu’on attrape tous les morceaux de plastique.»

L’origine de la biomasse transformée étant très variée, les compostières sont soumises chaque année à un contrôle strict pour évaluer les températures de réaction, ainsi que les concentrations de plastique et de métaux lourds, le compost pouvant être utilisé par des fermes biologiques. À La Coulette, on traite plus de 18000 tonnes de matériaux compostables par an. À cela s’ajoute du bois de démolition et des souches. Finalement, 80% de l’engrais ainsi créé est livré aux agriculteurs, le reste étant destiné aux paysagistes, horticulteurs et particuliers.

 

Du carburant renouvelable

Il existe cependant une autre voie possible pour les déchets verts: la méthanisation. Ce procédé permet la production de biogaz, utilisé ensuite comme source d’énergie pour le chauffage ou le transport. Au contraire du compostage, tout se passe cette fois-ci dans un milieu sans apport d’oxygène et hermétique, afin de pouvoir récupérer les émanations de méthane. La réaction n’est pas exothermique et doit être maintenue aux alentours des 35 degrés. Elle nécessite donc des équipements plus coûteux et complexes. Ce procédé ne digère toutefois pas la totalité de la biomasse; les restes, que l’on appelle digestat, peuvent être ajoutés au compost pour servir également d’engrais biologique.

En Suisse, un peu moins de quarante installations produisent du biométhane pour l’injecter dans le réseau de gaz naturel, mais de nombreux exploitants agricoles en fabriquent eux-mêmes pour le consommer directement sur place. Cette fermentation correspond au total à un peu moins de 30% de la valorisation des substances organiques. La Coulette ne possède pas encore de telles installations, mais elle pourrait un jour, qui sait, se doter de pareilles infrastructures, affirme sa propriétaire.

Texte(s): Mattia Pillonel
Photo(s): Mattia Pillonel

Les biodéchets, c’est:

  • 1,4 million de tonnes par année, dont plus de 85% sont valorisées en engrais.
  • 368 installations de compostage et de méthanisation en Suisse.
  • 70% des substances organiques sont compostées, le reste est utilisé pour produire du biométhane et du digestat.
  • 26% du gaz naturel de nos pompes est issu de la fermentation des substances organiques.