Agriculture
Il est vital d’oser parler du suicide

Le canton de Vaud a mis sur pied une série de cours destinés à la prévention du suicide chez les paysans. Objectif: former des ­sentinelles dont le rôle est d’établir un lien avec les ­personnes en détresse.

Il est vital d’oser parler du suicide

«Je comprends ta souffrance. Je t’écoute. Tu n’es pas seul.» Voilà les quelques mots qui peuvent sauver une vie. C’est ce que retiendront sans doute les «sentinelles», participants volontaires au réseau d’aide autour des agriculteurs en détresse, à l’issue d’un après-midi de formation. «Le but n’est pas de faire des participants des psychiatres, mais de les préparer au mieux à être capables de détecter des signes de détresse psychiatrique et à réagir rapidement», affirme Stéphane Saillant, médecin-chef au Centre neuchâtelois de psychiatrie, un des intervenants de la ­formation. Ils étaient une trentaine à prendre part à la première rencontre organisée dernièrement à Marcelin (VD), sous la houlette de l’aumônier du monde agricole Pierre-André Schütz, en collaboration avec le canton de Vaud et le Groupe romand de prévention du suicide (GRPS). Parmi les participants, des vétérinaires, des contrôleurs laitiers, des vendeurs d’aliments, des comptables, des inspecteurs PER, etc. Hommes et femmes qui, par leur fonction, leur mandat de contrôle, sont amenés à rencontrer des exploitants au quotidien et peuvent donc agir concrètement dans la prévention du suicide. «Car, oui, on peut prévenir le suicide, certifie le professeur Besson, chef de service au département de psychiatrie du CHUV de Lausanne Et tout commence par un simple: «Comment ça va?»

Détecter les signes
Face à une personne en détresse psychique, le quidam n’a pas forcément les compétences pour comprendre la complexité de la situation. «Mais un minimum de bon sens et d’empathie suffit pour déceler un souci.» Faire preuve d’empathie et de compassion, c’est bien, mais après il faut agir, oser parler et sortir la personne de son isolement psychique. «Engager la parole est la première étape, et elle est efficace», poursuit le professeur Besson.  Lors de la formation, les participants ont dans un premier temps été sensibilisés à détecter les signes avant-coureurs. «Je n’en peux plus.» «J’ai envie de tout balancer.» Quelques mots sont parfois lâchés, mais il peut s’agir aussi d’une attitude. «Tristesse, abattement, etc. sont des messages indirects qui peuvent nous alerter. Il faut saisir ces perches!»
Il ne faut ensuite pas hésiter à mettre des mots clairs sur ce que l’on suspecte, affirment les spécialistes. Et là, pas besoin d’y aller par quatre chemins. «Vous êtes en train de me dire que vous pensez à vous suicider, c’est bien ça?» «Attends, là, tu m’inquiètes. Tu veux me dire que tu as déjà imaginé en finir?» Selon les spécialistes, il n’y a aucun risque à mettre des mots sur son ressenti. «Ce ne sera jamais mal pris, si vous le dites avec bienveillance. Et ça ne risque pas non plus de déclencher l’acte, c’est une idée reçue!» affirme Yves Dorogi, infirmier psychiatrique au CHUV.

Entendre la détresse
Il est en effet essentiel de valider la souffrance de la personne. «Vous lui faites comprendre que vous l’avez entendue. Vous ne lui apportez pas encore de solutions, c’est trop tôt, mais en l’écoutant, vous diminuez le risque de suicide.» Un inspecteur PER a-t-il concrètement assez de temps lors d’un contrôle pour entendre une telle détresse? «Suffisamment pour percevoir la détresse psychologique de quelqu’un et évaluer le degré d’urgence de la situation», assure Pierre-André Schütz. La réaction suivante doit être de sortir la personne de son isolement. «Ne reste pas seul. Il y a des gens pour t’aider à trouver des solutions.» Ne risque-t-on pas de la blesser, en pénétrant son intimité? s’interroge-t-on légitimement. «Avec du respect et de la bienveillance, vous ne risquez pas de blesser la personne en souffrance, rassure Stéphane Saillant. Et tant pis pour sa fierté. Mieux vaut poser une question de trop et éviter un drame!»
Une fois le lien établi, il faut évaluer l’état d’avancement du projet de suicide. «Une telle démarche n’est pas un geste impulsif. C’est un acte prémédité, réfléchi.» D’où l’importance de mettre une notion temporelle à la situation: «Depuis quand y penses-tu?» Évaluer le degré d’urgence de la situation fait partie de l’aide et s’avère nécessaire pour adopter l’attitude à avoir pour la suite.
Car enfin, il s’agit de passer le relais. Les acteurs vers qui se tourner sont nombreux. À commencer par l’aumônerie agricole œcuménique, créée il y a un an dans le canton de Vaud par le pasteur Pierre-André Schütz et son équipe. Les médecins de famille sont également des personnes clés qui disposent de moyens d’action immédiats et efficaces. En cas d’urgence, les associations d’aide et d’écoute comme la Main tendue s’avèrent d’excellents recours. «Si, malgré les encouragements, la personne en souffrance ne souhaite pas appeler elle-même, alors il faut le faire à sa place, sans hésiter. Elle est en danger!»
La sentinelle a donc avant tout un rôle d’écoute. «Les proches sont les moins bien placés pour détecter et décoder ces signaux de détresse. Car dans le processus suicidaire, il y a un isolement progressif. D’où l’intérêt de créer des réseaux, de croiser les ressentis de différentes personnes. On peut relier ces indices et agir, affirme Pierre-­André Schütz, animé par la volonté de créer un véritable filet de sécurité pour les paysans. Une sorte de communauté de promotion de la vie!»

+ D’infos Il reste des places pour la formation «Sentinelle» à Bex le 6 avril 2017. Les personnes souhaitant contacter l’aumônier peuvent le faire en lui écrivant à pierre-andre.schutz@eerv.ch ou en appelant le 079 614 66 13.

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Matthieu Rod/ François Wavre

Questions à

Pierre-Andre SchutzPierre-André Schütz
Pasteur et aumônier dans le monde agricole «Les gens veulent que ça change»

Il y a un an, vous lanciez une initiative pour soutenir les exploitants dans la détresse. Avez-vous été depuis beaucoup sollicité?
J’ai été contacté à une cinquantaine de reprises depuis l’ouverture de la ligne: médiations lors de clashes relationnels, conflits entre générations, déblocages de situations administratives compliquées, mais aussi des cas plus complexes. À chaque fois, les prix bas des matières premières rajoutent une pression supplémentaire sur les épaules du paysan. A mes yeux, il y a une corrélation entre les situations économiques difficiles et l’état psychologique des paysans.

Vous faites appel à Dieu et à la spiritualité. Quel accueil vous réserve-t-on?
Toujours très bon. Jamais on ne m’a fermé la porte au nez. À l’issue de chaque entretien, je propose de prier. Dans les campagnes, on est bienveillant à l’égard de la foi.

Quelles sont les prochaines étapes pour votre initiative?
Je cherche à créer des binômes qui sillonneraient la campagne et assureraient un suivi régulier des personnes en difficulté. Les formations «sentinelles» sont un vrai succès et se poursuivront en 2017. Enfin, il faut absolument élargir cette démarche vaudoise au niveau romand, voire fédéral. Il faut donner de l’ampleur à ce mouvement, animé par l’amour de son prochain, et maintenir l’espérance que paysan est un beau métier.