Reportage
Il crée de précieux bijoux avec des ceps de vigne

Le bijoutier-joaillier Grégoire Maret travaille sur une collection inédite de pendentifs, en collaboration avec des hautes écoles romandes. Un procédé novateur qui permet de recycler et revaloriser le terroir local.

Il crée de précieux bijoux avec des ceps de vigne

Dans l’atelier au fond de son jardin, il caresse délicatement un petit bloc brun de quelques centimètres, en observant avec attention la surface marbrée de cette étonnante matière. «Voici un pinot noir du Haut-Valais âgé de 35 ans», annonce fièrement Grégoire Maret. Ce natif de la commune viticole de Fully (VS) n’est pourtant pas vigneron, mais bijoutier-joaillier. En témoigne la dernière collection de sa marque Pierre d’Alexis: des pendentifs à base de cep de vigne densifié et or, trait d’union entre ses origines, sa créativité et sa passion pour l’artisanat de luxe.

Technologie prometteuse
Tout commence en 2019, lors d’une exposition autour de la thématique de la vigne au Mazot-Musée de Plan-Cerisier (VS). Désireux de «créer la surprise», ce diplômé de l’École technique de la Vallée de Joux a l’idée audacieuse de transformer le cep de vigne en matière précieuse. «C’était un défi, car ces lianes tortueuses qui ont été taillées par l’homme au fil des années sont fibreuses, creuses et difficiles à travailler. Généralement, on les arrache et on les brûle lorsqu’elles ne sont plus productives. Il me tenait à cœur de recycler et

revaloriser cet élément important de notre terroir», raconte-t-il. Pour y parvenir, le Valaisan demande de l’aide à la Haute École spécialisée bernoise (BFH), à Bienne. À l’époque, une équipe travaillait sur un processus de densification du bois dans le but de fabriquer des matériaux de construction. «Je leur ai proposé d’utiliser cette même technique pour transformer les ceps. Le rendu n’était pas parfait, mais j’ai quand même pu créer mes premiers prototypes. J’ai constaté un fort intérêt pour ces bijoux, qui procuraient de l’émotion au public.»

Deux ans plus tard, le partenariat avec la BFH s’est renforcé et a permis d’optimiser la technique de fabrication pour mettre au point un matériau compact, solide et résistant à l’humidité. Concrètement, le tronc est dégrossi, imprégné d’une résine synthétique, chauffé à haute température puis compressé dans une machine spéciale. En moins d’une heure, il est transformé en petits composites d’environ trois centimètres. «Au départ, nous avions essayé avec de la cire d’abeille, mais ça ne fonctionnait pas. Trouver la formule adéquate a été un vrai challenge. À terme, nous aimerions travailler avec une résine 100% naturelle», détaille Frédéric Pichelin, responsable de l’Institut des matériaux et de la technologie du bois à la BFH.

Un plus pour le tourisme
Pour créer sa collection, Grégoire Maret a d’abord récupéré d’anciens ceps chez des vignerons de la région. «Il est important qu’ils soient traçables, afin que je puisse certifier leur origine pour mes créations», souligne-t-il. Une fois transformés en lingots, ces derniers sont travaillés à la main à l’aide de différentes limes, en s’inspirant de dessins préalablement effectués. L’artisan a choisi de façonner des pendentifs aux formes géométriques strictes pour contraster avec les sinuosités naturelles de la matière. Les bijoux sont ensuite polis et imprégnés de plusieurs couches d’huile, avant d’être sertis d’or ou de platine, parfois de pierres, comme la rose de mine du Valais. Une pièce peut nécessiter entre trente et plusieurs centaines d’heures de travail, suivant le modèle.

À la HES-SO Valais-Wallis, la projet a tapé dans l’œil de l’Institut du tourisme, qui a décidé d’accompagner le développement économique de la collection. Pour Emmanuel Fragnière, professeur spécialisé dans le design d’expérience touristique, il s’agit d’un moyen de donner de la valeur au territoire et au travail des vignerons. «C’est aussi une opportunité pour le tourisme durable et la promotion des circuits courts. Cela s’inscrit dans une logique de développement régional, voire national, grâce à la collaboration de plusieurs hautes écoles.» L’ambition de Grégoire Maret, elle, dépasse les frontières. «Imaginez que l’on puisse réaliser des bijoux pour des vignerons ou amateurs de grands crus à travers le monde. Ce serait génial!» lance-t-il, des étoiles dans les yeux. En attendant, l’artisan se remet au travail, avant de conclure, poète: «Terminer le cycle de création du vin par un bijou est un magnifique symbole.»

+ d’infos La collection sera présentée lors de l’événement TEDx, les 3 et 4 septembre, et à l’espace Eskal, le 21 octobre, à Martigny (VS). www.pierredalexis.ch

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Sedrik Nemeth

Questions à...

Catherine Devincenti, gemmologue et journaliste

La nature est-t-elle une source d’inspiration en bijouterie-joaillerie?
Oui, les formes de fleurs, arbres et animaux ont toujours été très présentes dans ce domaine, surtout au XVIIIe et XIXe siècle, notamment avec René Lalique, figure de l’Art nouveau. Au XXe siècle, le Genevois Gilbert Albert utilisait même de vrais insectes et coraux. Aujourd’hui, de jeunes créateurs s’inscrivent encore dans cette mouvance.

Visent-ils davantage de durabilité?
Oui, il y a une vraie prise de conscience écologique ces dernières années, en tout cas chez les petits créateurs. Cela s’observe dans le choix des matériaux. On utilise de plus en plus des métaux traçables, voire recyclés. À Lausanne, les frères Jobin travaillent même avec de l’or suisse. Pour les pierres, qui viennent souvent d’Asie ou d’Afrique, les fournisseurs sont davantage fiables et éthiques. Beaucoup d’efforts sont faits. Il y a aussi un effet de mode.

La collection de Grégoire Maret suit-elle cette tendance?
Évidemment! C’est très prometteur, car la population accorde de plus en plus d’importance à l’authenticité d’une pièce, la provenance des matières premières et la symbolique d’une démarche, plutôt qu’à la marque. C’est un projet complètement dans l’air du temps.

Bois et algues

Plusieurs bijoutiers ont recours à des composants naturels locaux dans leur créations. À l’image de Damien Perrin, de l’entreprise Wooper, basée au Bouveret (VS). Depuis trois ans, ce graphiste réalise des colliers, bracelets et boucles d’oreilles en bois suisse recyclé. «Je récupère les chutes de deux menuisiers que je grave à l’aide d’un laser. J’avais envie de proposer une manière de consommer plus durable», explique-t-il. Non loin de là, à Thonon-les-Bains (F), Sandrine Salmon commercialise depuis l’année passée des bijoux à base de bois flotté, végétaux, algues et verre poli glanés au bord du lac Léman et fixés dans une résine. «Je me suis inspirée de ce que mes enfants ramassaient lors de nos promenades. J’aime mettre en valeur les choses que personne ne voit», dit-elle. Ses créations sont disponibles dans huit points de vente d’Évian-les-Bains à Veigy-Foncenex (F), sous la marque «Les petits papiers de Sand».