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LA FRONTIÈRE


Cachée par les épicéas, cette ligne de démarcation est discrète, à l’image des habitants qui vivent de chaque côté.

La frontière borde deux des trois communes de la vallée de Joux: Le Chenit et Le Lieu. Elle est à la fois omniprésente et invisible. Comme pour les Combiers, il faut, pour l’approcher, faire le premier pas, feutré. On y découvre alors un mur de pierres sèches, suffisamment solide pour traverser les siècles, suffisamment bas pour être cambé.

Lorsque la frontière fut enfin dessinée, en 1649, elle marquait les confins de Berne et de l’Espagne. Vous en doutez? Sur le Crêt-Charbonnet, la borne No 103 en témoigne pourtant. On y devine gravé d’un côté le lion de Philippe IV, roi des Espagnes et des Indes, dont les possessions s’étendaient jusqu’à la Franche-Comté, et de l’autre l’ours de Leurs Excellences de Berne dont la patte était posée sur le Pays de Vaud. Aujourd’hui, elle sépare les départements du Doubs et du Jura et le canton de Vaud. Et même si on a depuis longtemps rangé les fusils, son tracé a des relents de partage colonial de l’Afrique, tant le dessin intrigue avec ses angles droits tirés au cordeau.

La frontière sépare, mais divise-t-elle vraiment? Si ce n’est par l’accent, traînant chez les Vaudois et plus chantant chez les Francs-Comtois, c’est peut-être par l’orthographe du nom de la forêt qu’elle traverse, le Risoud? Il prend un d côté suisse, mais un x côté français. Topographiquement, en tout cas, cette frontière n’a pas lieu d’être. Des Rousses (F) au Pont (VD), l’Orbe s’écoule nonchalamment sans se soucier des contraintes administratives. Le train s’arrête net. Les lignes de bus butent contre l’invisible. La rivière elle, passe.

LE RISOUD, TRAIT D’UNION

Entre Le Solliat (VD) et Chapelle-des-Bois (F), Le Lieu (VD) et Mouthe (F), la délimitation se perd dans le sous-bois sombre du mythique Risoud. Tout en creux et en bosses, ce massif forestier semble être dessiné pour que l’on s’y perde. Il est parsemé de pièges naturels: grottes, gouffres, entonnoirs et baumes.

Bien avant l’érection du mur délimitant qui est à qui, ce «bois d’avenue» servait de ligne de défense naturelle en rendant la marche quasi impraticable en dehors des chemins. Sommets et points de repère y sont inexistants. D’ailleurs, les innombrables cabanes qui s’y nichent portent le nom de refuges. Un mot qui prend ici tout son sens. La Belle étoile, la Sauvageonne, la Gare du Nord ou la Marocaine: ces abris portent des noms évocateurs. Dans la nuit profonde et le silence oppressant, dans la crainte d’un craquement suspect, le cœur battant la chamade et la peur au ventre, on s’y est terré, on s’y est rencontré, en douce, pour échanger denrées et renseignements.

Cette forêt frontière a toujours brui des allées et venues des contrebandiers. Elle a vu passer le bétail, le bois, la dentelle, le tabac, les pièces d’horlogerie, mais aussi les Bourbaki de 1870 défaits. Et lorsque la guerre a éclaté en 1939, ce sont des hommes, des femmes et des enfants qu’elle a vu fuir. Sous le couvert de la contrebande, des Combiers et des Francs-Comtois, frères dans la lutte contre l’ennemi, ont risqué leur vie dans des activités de contre-espionnage et de résistance. Ils ont guidé vers la Suisse des fuyards menacés en empruntant notamment le passage du Gy-de-l’Échelle près de la Roche-Champion. Longtemps le poids du secret a pesé sur leurs épaules avant que ne vienne la réhabilitation de ces Justes parmi les Nations, qui ont mis leur vie en danger pour sauver des Juifs.

Que représente la frontière, que vaut le zèle des douaniers, face à tant de solidarité? De part et d’autre de cette ligne invisible, à la bise comme au vent, la vie a la même valeur, le paysage a la même couleur, le fromage, quasi la même saveur.

 

BOUC ÉMISSAIRE?

Bien sûr, on en veut un peu aux 4000 frontaliers français d’embouteiller les routes suisses, mais ces maux ne sont-ils pas les mêmes loin des régions limitrophes: entre vallées et plaines, centres urbains et périphéries? À se demander si une frontière invisible ne s’étire pas plutôt du col du Marchairuz au Mont-Tendre, entre les Combiers et les Pégans de la plaine? Qu’on se rassure, du côté des Rousses, c’est pareil: on est du coin ou on ne l’est pas…

Finalement, la frontière qui sépare nos deux pays n’a eu de cesse d’être gommée. Les douanes ont fermé, l’économie s’échine à la supprimer, la mondialisation lui rit au nez, mais plus que cela, c’est l’amitié entre les hommes qui la fait voler en éclats. Car à saute-mouton sur la frontière, Combiers et Francs-Comtois sont liés par un état d’esprit qui leur est propre, une solidarité partagée, renforcée par l’isolement et la rudesse de l’hiver.

 

MARJORIE BORN