Spécial 120 ans
Henry Wuilloud, une figure incontournable de la viticulture

Chaque mois, nous partons à la rencontre d’une personnalité qui a marqué le monde agricole romand ces cent vingt dernières années. Un Valaisan a œuvré en faveur de la vigne et du vin jusqu’à l’après-guerre.

Henry Wuilloud, une figure incontournable de la viticulture

À voir le soleil qui éclaire les visages, sur cette terrasse, à Diolly (VS), ce dut être une belle journée d’automne. La photo sépia est datée du 23 octobre 1945. Henry Wuilloud porte son bleu de travail, un foulard et un chapeau mou. Assis à table, en uniforme, le général Guisan, déchargé de ses responsabilités depuis peu. Ils partagent un verre de vin rouge en toute simplicité. Ces deux fortes têtes ont su s’entendre et s’apprécier, bien que Wuilloud, ayant souffert jeune d’une maladie respiratoire, ne se soit guère distingué sous les drapeaux. Ils se sont rencontrés en 1938, alors que ce dernier participait activement à la promotion des vins valaisans au Comptoir de Lausanne. Ce n’est pas un hasard, car Henry Wuilloud s’est beaucoup investi pour faire connaître les vins du Vieux Pays au-delà des frontières cantonales. Ce fut un Valaisan ouvert sur le monde, mais fidèle à ses racines. Son fonds personnel a été déposé en 2015 aux Archives de l’État du Valais. Il représente pas moins de vingt mètres linéaires dans lesquels les historiens pourront se plonger ces prochaines années. Car Henry Wuilloud documentait toute son activité avec un soin particulier. Ses carnets, mêlant observations météorologiques et comptes rendus d’expériences viticoles, sont une mine d’or. De 1919 à 1932, il en fera abondamment profiter les lecteurs du Sillon romand dans Le vigneron romand, un supplément à parution bimensuelle.

Un homme rigoureux

Né en 1884, Henry Wuilloud se forme comme ingénieur agronome à l’École polytechnique fédérale de Zurich puis obtient un doctorat en sciences agricoles à Milan. Le voilà polyglotte et doté, déjà, d’un vaste réseau. Dès les années vingt, il occupe des postes clés en Valais: responsable du Service cantonal de la viticulture et du domaine du Grand-Brûlé à Leytron, propriété de l’État du Valais, mais aussi enseignant à la toute jeune École cantonale d’agriculture de Châteauneuf. En 1921, il épouse Léontine de Courten. Ils n’auront pas d’enfant. Sa vie privée, il faut bien l’admettre, passe au second plan. «Très vite, même s’il fut député suppléant de 1948 à 1952, il est en porte-à-faux avec le monde politique, relève Kevin Macherel, qui lui consacre son mémoire de master. Wuilloud s’oppose au conseiller d’État Maurice Troillet et lutte contre la fondation des coopératives Provins. Son franc-parler et sa plume, parfois acide, lui valent quelques inimitiés.» Entre 1930 et 1950, il est secrétaire général de l’Union des négociants en vins du Valais, qui s’opposera longtemps à la Fédération des caves coopératives du Valais (Provins). Il n’hésite pas à affirmer ses convictions lors de causeries radiophoniques ou dans les colonnes du journal Valais agricole.

Rapidement, l’homme abandonne la fonction publique pour se concentrer sur l’enseignement, ses nombreuses activités associatives et son domaine viticole de Diolly. C’est là qu’il accueillera à plusieurs reprises Henri Guisan et son épouse, pour des rencontres amicales. Sur les 5,5 hectares de son vignoble parfaitement exposé qui dominent Sion, l’ingénieur agronome collectionne les cépages et multiplie les expériences viticoles. Il voyage beaucoup pour découvrir les principaux vignobles européens et se voit même confier, par le roi Farouk d’Égypte, la responsabilité d’implanter de la vigne sur les rivages du Nil dans les années quarante. «Sur les bords du Rhône, il introduit la syrah, mais aussi le chardonnay, précise José Vouillamoz, ampélologue valaisan. Indirectement, on lui doit le diolinoir, croisement entre le rouge de Diolly qu’il planta chez lui et le pinot noir.» Le spécialiste possède dans sa cave une bouteille vinifiée par Henry Wuilloud en 1962, un an avant qu’il ne décède. Elle porte les indications «vin naturel, ni sucré, ni filtré». Une rareté, à une époque où mélanges, coupages et sucrage des moûts étaient monnaie courante. Attaché à la qualité et à l’authenticité des vins valaisans, Henry Wuilloud a cherché l’excellence avec intransigeance. «Il était extrêmement dur et exigeant avec lui-même, mais aussi avec les autres, relève Alain Dubois archiviste cantonal. C’était un homme de réseau, un leader, ce qui peut expliquer qu’il se soit aussi mis des gens à dos.» Henry Wuilloud sut aussi cultiver la convivialité puisqu’il fut le premier Procureur de l’Ordre de la Channe, une confrérie bachique qui vit le jour en 1957. On y lève toujours son verre à l’amitié et aux vins valaisans!

 

Texte(s): Marjorie Born
Photo(s): Marcel G.