Point fort
Grâce au bulletin d’avalanches, la montagne se fait moins mortelle

La Suisse peut s’enorgueillir de disposer d’un outil sécuritaire de premier ordre: depuis 1945, son bulletin d’avalanches ne cesse de se perfectionner pour limiter les dangers qui guettent les adeptes d’altitude.

Grâce au bulletin d’avalanches, la montagne se fait moins mortelle

En 1945, c’était un simple entrefilet publié dans le Tagesanzeiger. Aujourd’hui, c’est un rapport complet, accessible en ligne dans quatre langues et actualisé deux fois par jour durant tout l’hiver: le bulletin d’avalanches a fait du chemin depuis sa création, il y a trois quarts de siècle. Son  lancement répond à un besoin concret: celui d’assurer la sécurité dans l’arc alpin. Le souvenir d’une Première Guerre mondiale durant laquelle 60000 soldats en Europe avaient péri dans des avalanches n’y est pas étranger. «L’utilisation de la montagne n’était pas la même qu’aujourd’hui, rappelle Pierre Huguenin, responsable de l’antenne valaisanne de l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches (SLF). Dans les années 1930, il y avait très peu de skieurs et pas de remontées mécaniques dans les Alpes suisses. La commission chargée d’étudier les avalanches collabore donc étroitement avec l’armée pour assurer la sécurité des soldats.» En 1942, la Confédération crée le SLF, dont le centre de Davos (GR) constitue aujourd’hui un haut lieu mondial de la nivologie.

Du bilan aux prévisions
Pour produire quotidiennement son bulletin, le SLF s’appuie sur un réseau d’observateurs: «Ils sont nos yeux, dit Pierre Huguenin. Ce sont plus de 200 femmes et hommes, guides, employés de remontées mécaniques ou passionnés de montagne, qui nous donnent des informations sur l’évolution du manteau neigeux, le déclenchement spontané d’avalanches ou les dernières précipitations. Cela nous permet d’avoir une vision permanente des dangers dans chaque région du pays.» À ce travail quotidien s’ajoutent les relevés de vent et de hauteur de neige mesurés par 193 stations automatiques, ainsi que les observations qui sont signalées par tout un chacun au SLF. «La technologie ne remplacera toutefois jamais l’humain, souligne le collaborateur du SLF. Le savoir et le regard d’un fin connaisseur de la montagne ont une valeur inestimable.» Une équipe de spécialistes compile l’énorme volume de données reçues chaque jour, puis les croise avec les prévisions météorologiques pour en tirer des conclusions fiables.

Outil quotidien des montagnards
Ceux qui lisent le bulletin d’avalanches, ce sont les amateurs de sports d’hiver, mais aussi les professionnels de la montagne: responsables de la sécurité de remontées mécaniques ou de communes alpines et, bien sûr, les guides. «On le consulte religieusement avant toute sortie, confirme Frédéric Jordan, président de l’Association romande des guides de montagne (ARGM). C’est un outil de travail indispensable pour planifier une course en toute connaissance de cause.» Surtout, le bulletin d’avalanches vise à l’objectivité. Une évidence? Pas tant que cela: «On pourrait être tenté de noircir le tableau pour décourager ceux qui connaissent moins la montagne, et donc réduire le risque, reconnaît Pierre Huguenin. Or, depuis ses débuts, ce document se veut détaché de tout calcul politique.» C’est dans cette objectivité scientifique que réside toute sa valeur, si l’on en croit les professionnels de la montagne: nombre d’entre eux font moins confiance aux bulletins français, par exemple, considérés comme exagérément prudents, et dès lors peu utiles. «Nous avons besoin d’une image parfaitement réaliste, justifie Frédéric Jordan. Les guides suisses utilisent une méthode d’évaluation du risque basée sur le niveau d’alerte du bulletin d’avalanches. Si ce dernier n’est pas fidèle à la réalité du terrain, toute l’estimation est biaisée.»

Pas de risque zéro
Contrairement à un ouvrage de protection qui abriterait un village ou une route des coulées de neige, il n’est pas facile de mesurer l’efficacité du bulletin d’avalanche. Le nombre des victimes est stable – entre 22 et 23 par an – depuis le début des années 2000. «Sachant que les usagers de la montagne sont toujours plus nombreux, cela constitue toutefois une évolution positive, nuance Pierre Huguenin. Elle est aussi due à l’accent mis sur la formation à la sécurité.» Reste à poursuivre cette mission, dans un environnement qui ne cesse jamais d’évoluer. Ainsi le changement climatique, qui voit la limite de la neige monter en altitude, n’est-il pas synonyme de réduction du danger: «Les pics de hauteur de neige suivent certes une tendance à la baisse, relève le responsable de l’antenne valaisanne. Mais cela n’empêche pas des chutes de neige abondantes de temps à autre. La hausse des températures rend, quant à elle, le manteau neigeux plus humide, provoquant l’apparition de nouvelles formes d’avalanches.» Un risque inédit que les chercheurs du SLF cherchent désormais à mieux connaître, et qui rappelle que, septante-cinq ans après sa création, le bulletin n’est pas près de perdre sa raison d’être.

+ D’infos www.slf.ch/fr

Cinq degrés de danger

Le bulletin d’avalanche, c’est un résumé de toutes les données nécessaires pour planifier une sortie en montagne en toute sécurité. Il se fonde sur la classification européenne du danger d’avalanche, du degré 1 (faible) au 5 (très fort), et offre divers niveaux de lecture en fonction des utilisateurs, de l’amateur au professionnel, qui y trouveront des informations détaillées sur la structure du manteau neigeux, les pentes à éviter ou les profils de neige. Autrefois diffusé dans la presse, on le consulte désormais en ligne ou via l’application mobile WhiteRisk, tandis que les situations particulièrement dangereuses font l’objet de campagnes de communication via les services météorologiques des télévisions et radios nationales ainsi que sur le site des dangers naturels de la Confédération.