TERROIR
La polenta des Vulliamy donne des airs d’Italie au Gros-de-Vaud

Depuis cinq ans, Laurent Vulliamy prépare une semoule de maïs bio dans son moulin, au rythme des commandes. Un travail de longue haleine pour ce paysan novateur, qui tient à conserver une production artisanale.

La polenta des Vulliamy donne des airs d’Italie au Gros-de-Vaud

Ce matin, le ciel est gris et une légère brise berce les épis de maïs du domaine de la famille Vulliamy. L’automne est là, annonçant le début de la récolte. «Cet été, je me suis peu occupé de mes champs, le maïs ne demandant pas d’arrosage, ni de traitement particulier. Le vrai travail commence maintenant», lance Laurent Vulliamy, en retroussant ses manches. Si la majorité de sa cueillette sera apprêtée en nourriture pour le bétail, l’agriculteur a dédié un demi-hectare de sa plantation à la confection d’un produit original: la polenta, dont le nom italien rappelle au paysan le début de cette aventure.
C’est lors d’un voyage dans le nord du pays, chez la famille de son épouse, que le Vaudois a découvert ce plat traditionnel. «Là-bas, les champs de maïs s’étendent à perte de vue. La polenta est une belle manière de les valoriser», raconte-t-il. De retour chez lui, à Goumoens-la-Ville, ce grand perfectionniste passe plusieurs années à chercher la variété de maïs bio idéale. «Ce n’était pas facile car c’est une plante tropicale qui a été adaptée à notre climat, observe-t-il. Je devais aussi trouver une variété précoce qui puisse sécher avant l’arrivée de l’automne et de l’humidité.» Aujourd’hui, Laurent Vulliamy est fier de son produit, qu’il commercialise depuis cinq ans. Mais il n’est pas prêt de révéler tous ses secrets… «J’ai mis du temps à trouver la semence parfaite, je ne vais pas faciliter la tâche de ceux qui aimeraient se lancer!» lâche-t-il en souriant.

Authenticité avant tout
En revanche, quand il s’agit de raconter les heures de dur labeur permettant d’obtenir une polenta parfumée, l’ancien policier n’est pas avare de détails. Une fois les épis récoltés, ils sont acheminés au centre collecteur Granabio, à Étagnières (VD), qui se charge de trier et de sécher les grains. Ces derniers sont ensuite stockés sur le domaine et moulus au rythme des commandes. «Malheureusement, il y a souvent des pertes à cause de la mite de la farine, notamment en été», regrette le producteur. Si la polenta italienne est généralement obtenue par mouture complète, Laurent Vulliamy lui préfère une semi-complète, qui élimine une partie du son. «J’essaie de retirer au maximum cette enveloppe située autour du grain, car elle rend la polenta acide», note-t-il. Pour ce faire, le quarantenaire a acheté un petit moulin en bois, originaire d’Autriche, peu commun chez nous et permettant de concasser 60 kg par heure.
Après que les grains ont été insérés à la main dans un entonnoir situé sur la machine, une meule composée de deux pierres se charge de les moudre. «Il faut toutefois l’ajuster régulièrement car le maïs peut être plus ou moins dur suivant les années», explique l’artisan. Les résidus passent alors au travers de plusieurs filtres, séparant la farine de la polenta. «J’utilise ensuite un moulin encore plus petit pour affiner le tout. Parfois même, je positionne le tamis dans un courant d’air pour faire s’envoler le son», raconte le paysan aux mille idées, qui concède volontiers travailler au «pifomètre». «Le calibrage est imparfait, mais c’est cette authenticité qui plaît.»

De la récolte à l’étiquetage
Chaque année, Laurent Vulliamy produit, emballe, étiquette et met en vente une tonne et demie de sa polenta jaune éclatante. Deux types de mouture sont proposées: la fine et la traditionnelle (bramata, en italien), aux grains plus grossiers, semblable au plat typique de la péninsule. «J’aimerais aussi en faire une avec des tomates séchées, mais j’ai déjà beaucoup de travail», soupire le propriétaire de 36 hectares, qui assure à lui seul sa production. Toute l’année, la polenta du Gros-de-Vaud est disponible sur les étals de magasins tels que Obio à Échallens, ainsi que dans des épiceries en vrac. Depuis deux ans, la famille Vulliamy a repris la supérette du village, proposant également la fameuse semoule à ses clients. «Elle se vend mieux à la saison froide et est délicieuse avec du gorgonzola, souligne ce père de deux enfants. Mais elle nécessite près d’une heure de cuisson en remuant régulièrement, ce qui peut en décourager certains!» Si l’agriculteur aimerait investir dans un moulin plus grand, il met un point d’honneur à conserver une production familiale. «Je veux garder un lien fort avec les clients et ne pas dépendre de la grande distribution», affirme celui qui se considère comme un «petit révolutionnaire» dans son domaine. «C’est ce qui fait de moi un vrai artisan.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Thierry Porchet

Le producteur Laurent Vulliamy

Fils de paysans, le Vaudois étudie l’agriculture avant de devenir gardien de prison, puis policier. «En parallèle, j’ai toujours aidé mes parents à la ferme», raconte ce fan de VTT, qui se qualifie de «grand hyperactif». Peu après la retraite de ses parents, il vend la ferme et achète un domaine non loin. Cet adepte de la diversification y produit, entre autres, lentilles, sarrasin, patates douces et fraises en autocueillette. «J’aime ce que je fais, mais mes journées sont longues», dit-il, avouant ne dormir que quatre heures par nuit. Quant à son épouse, Sara, elle tient la supérette du village, Le P’tit Marché, où sont vendus les produits de leur exploitation.
+ D’infos Le P’tit Marché, Rue du Château-Dessus 1, 1376 Goumoens-la-Ville, 021 882 10 28

Recettes variées

La polenta, ou polente, est particulièrement consommée dans le nord de l’Italie, au Tessin, en Savoie (F), en Roumanie sous le nom de mamaliga, ou encore sur l’île de la Réunion (F) en tant que maïs sosso. Dans le canton de Vaud, une dizaine d’agriculteurs se sont lancés dans la production de ce mets populaire ces dernières années. Bien connue depuis l’époque romaine, où ce terme désignait une bouillie de farine d’orge, la polenta n’est pas forcément à base de maïs. En Corse (F), par exemple, elle est traditionnellement préparée avec de la farine de châtaigne.