Du côté alémanique
Gerberas et tulipes s’épanouissent sous les serres de Vetterli Blumen

En pleine campagne argovienne, l’entreprise de Jürg et Karin Rüttimann est l’une des rares exploitations horticoles à ne produire que des fleurs coupées. Avec un succès que la pandémie a encore accru.

Gerberas et tulipes s’épanouissent sous les serres de Vetterli Blumen

Des alignées de jaune, de rouge, de rose, de violet flottant sur une houle de verdure: dans le soleil de février diffusé par les plafonds vitrés, les gerberas offrent leurs couleurs au regard comme un cadeau hivernal inattendu. «Les clients de la boutique attenante à nos serres de production aiment bien y pénétrer pour y jeter un coup d’œil», confie Jürg Rüttimann. Un peu à l’écart de Jonen (AG), village situé à mi-chemin entre Zurich et Zoug, l’entreprise familiale que ce souriant quinquagénaire dirige avec son épouse Karin, la petite-fille du fondateur, figure parmi la dizaine d’exploitations horticoles suisses exclusivement consacrées à la production de fleurs coupées. Sept serres recouvrant au total un hectare y occupent environ dix personnes en équivalent temps plein. Suffisamment pour que Vetterli Blumen fournisse grossistes et détaillants dans toute la région.

Pour être en mesure d’offrir à sa clientèle des volumes significatifs, Jürg Rüttimann s’est spécialisé dans quatre espèces seulement: gerberas, alstroemerias, lys et surtout tulipes, dont il va écouler d’ici à la fin avril entre 30 000 et 35 000 pièces d’environ 70 variétés. «Mi-novembre, on place les premiers oignons à l’obscurité en chambre froide durant trois semaines pour qu’ils développent leurs racines, indique-t-il. Ensuite, on les plante un peu plus au large sur des caissettes munies de piques, dans une serre où les fleurs vont pousser pendant six semaines. La première récolte intervient en janvier, et à mesure que les jours s’allongent, la période de maturation raccourcit d’autant.»

 

Minutie requise

En avril, l’équipe de Vetterli Blumen effectue ainsi deux cueillettes journalières, «pour proposer à nos clients les corolles encore vertes et fermées qu’ils exigent», précise l’horticulteur. Tout en parlant, il circule entre les caissettes disposées serré, prélevant çà et là un capuchon brun recouvrant encore une tige. «Le contrôle visuel, le travail manuel et la minutie nécessaires sont considérables, remarque-t-il. La main-d’œuvre représente la part la plus importante de notre budget.»

Sur le plan technique, la climatisation et l’irrigation jouent un rôle primordial. Car en la matière, les besoins des quatre végétaux diffèrent: si les tulipes poussent à l’air libre, gerberas, lys et alstroemerias croissent dans du substrat, qui doit être tempéré à 16°C de mai à septembre pour cette dernière espèce uniquement… «Chacune de nos sept serres bénéficie donc d’un climat distinct, l’ensemble étant géré par un système informatique unique qui pilote à la fois les chaudières à bois et la distribution de l’eau, explique Jürg Rüttimann. Celle-ci provient à 90% d’un bassin de récupération extérieur et est utilisée en circuit fermé, à l’exception de nos quelques cultures de pleine terre. Après drainage, elle est purifiée par chauffage à 95°C pendant 30 secondes avant d’être réinjectée.»

La fertilisation est assurée par des solutions de nutriments; le cas échéant, il est possible d’en modifier la formule grâce à une analyse effectuée chaque mois en laboratoire. Quant aux ravageurs (mouche blanche, poux et chenilles), le savon noir et la lutte biologique permettent de les contenir et d’éviter les dégâts, note encore le patron de Vetterli Blumen. Si la saison se concentre sur la période allant de janvier à juillet, les fleurs poussent toute l’année. «Je pourrais produire et vendre beaucoup plus, remarque Jürg Rüttimann. Mais cela impliquerait de revoir totalement notre structure économique, ce que nous ne souhaitons pas.» La dynamique de la branche est pourtant à la diminution du nombre d’entreprises; la concurrence des fleurs importées produites à moindre coût est souvent pointée du doigt. «Pour moi, cette chute s’explique surtout par le fait que beaucoup de ces exploitations, vieillissantes, n’ont pas su s’adapter aux changements structurels, notamment à l’augmentation du coût des énergies fossiles, pointe le floriculteur. En réalité, la demande pour les fleurs coupées labellisées Suisse Garantie est bien là. Elle a même explosé avec la pandémie, malgré un léger fléchissement constaté depuis lors.»

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Blaise Guignard

L'entreprise, c'est:

  • 1 exploitation horticole créée en 1945 et constituée en SA en 2005.
  • 10000 m2 de serres chauffées au bois, soit sept unités climatiques différentes.
  • 2000 m2 de cultures extérieures.
  • 400000 tulipes par an en hydroponie et 50000 en pleine terre, de 70 variétés.
  • 20000 pots de gerberas par an, de 60 variétés.
  • 1700 m2 d’alstroemerias.
  • 150000 lys par an, dont 120000 en extérieur.
  • 1,6 million de francs de chiffre d’affaires annuel en moyenne.

En pot, le coco a remplacé la tourbe

«Pour nos alstroemerias et gerberas, on utilise un substrat de coco depuis 2017, à la suite du plan d’abandon de la tourbe lancé par la Confédération en 2012, indique Jürg Rüttimann. La branche et l’Office fédéral de l’environnement ont d’ailleurs signé en 2019 une déclaration d’intention afin de réduire de 50% la proportion de tourbe dans les sacs de terreau, et de 5% dans la production et l’offre de plantes d’ici à 2030.» Cet engagement n’est guère problématique pour les cultivateurs de fleurs coupées, mais sans doute plus compliqué pour les producteurs de plantes en pot, note l’horticulteur. «Le bilan carbone du coco, importé d’Asie, en particulier du Sri Lanka, n’est pas optimal, relève-t-il. Et s’il n’y a pas eu d’évaluation officielle globale des quantités de tourbe utilisées sur le marché suisse, il ne fait aucun doute que les plus gros volumes concernent les sacs de terreau vendus en grande surface.» Or, leur importation reste légale – alors que l’extraction de tourbe, dans notre pays, est interdite depuis 1987. Selon la Fédération romande des consommateurs, 524000 m3 de tourbe étrangère alimentent chaque année les garden centres helvétiques.