décryptage
Gel tardif dans les vignes et vergers: faut-il plutôt lutter ou s’assurer?

Entre une hausse de fréquence des accidents climatiques et une augmentation régulière des coûts, les producteurs sont pris en étau. Viticulteurs et arboriculteurs optent pour des stratégies diverses.

Gel tardif dans les vignes et vergers: faut-il plutôt lutter ou s’assurer?

Il y a deux ans, quasiment jour pour jour, un froid polaire s’abat sur l’Europe de l’Ouest. Plusieurs nuits durant, des gelées noires déferlent alors sur des vignes et des vergers sortis précocement de leur dormance. En Suisse comme ailleurs, la végétation est exceptionnellement en avance cette année-là. Les conséquences pour la branche viticole et arboricole, de Genève à Romanshorn (TG), de Sierre (VS) au Vully, sont dramatiques. Deux ans après ce douloureux épisode, la plupart des producteurs l’affirment: changement climatique oblige, les hivers ont tendance à être plus courts et plus doux et, par conséquent, le débourrement plus précoce. La végétation est dès lors plus exposée aux risques de gels tardifs, qui, eux, ont toujours existé. Dès lors, la question se pose: comment se préparer à ce changement? Quelle stratégie adapter? En clair, faut-il investir dans des outils de lutte contre le gel ou plutôt prendre une assurance?
Claude Ménétrey, arboriculteur à Meinier (GE), a perdu 90% de sa production de pommes en quelques heures il y a deux ans. «Si on a tenu le coup, c’est qu’on avait les reins solides et quelques réserves financières», fait-il remarquer. Au lendemain de cette douloureuse expérience, le producteur genevois n’a pas hésité une seconde à acquérir un ventilateur à gaz produisant un flux d’air chaud pour lutter contre les effets du gel dans ses vergers. «S’il se produisait à nouveau, un tel scénario pourrait bien couler notre entreprise, résume-t-il. Ce ventilateur m’a certes coûté 25 000 francs, mais je le considère comme mon assurance.» Car d’assurance à proprement parler, Claude Ménétrey ne veut pas en entendre parler. Et ce, même si la compagnie Suisse Grêle propose depuis plus d’un an une couverture spécifique pour indemniser les dégâts occasionnés par le gel (voir l’encadré ci-dessous). «Ce genre d’investissement serait trop coûteux. Et puis je préfère avoir des fruits plutôt qu’une indemnisation en argent.»

S’assurer pour survivre
Même son de cloche chez John et Cédric Kilchherr. Cette année, ces deux arboriculteurs, qui cultivent entre autres un demi-hectare d’abricots à Commugny (VD), ont déjà eu recours aux chaufferettes. «Depuis l’épisode du printemps 2017, nous sommes attentifs à toujours avoir un stock de bougies», signalent-ils. Dès la fin mars, elles sont en place dans les rangs au cas où il faudrait lutter contre le gel. Les Kilchherr l’affirment: «On préfère devoir se lever plutôt que payer une assurance sans savoir si on en aura besoin.»
Un avis que ne partage pas Pierre Sauty, vigneron et arboriculteur à Denens (VD). «En monoculture, le risque est extrêmement concentré et on ne peut guère se permettre de prendre un bouillon, estime le producteur, également expert pour Suisse Grêle. On sait que le changement climatique va occasionner des extrêmes. Dans ce contexte, l’assurance contre les accidents climatiques constitue une forme de garantie de survie.» Dans ses terrains en pente, Pierre Sauty ne peut s’équiper ni de chaufferettes ni d’aspersion. «L’assurance ne remplacera certes pas une récolte, mais peut permettre à l’entreprise de ne pas boire la tasse», résume-t-il.
Jean-Blaise Golluz, vigneron à Saillon (VS), partage la même opinion. «Quelle entreprise se passerait d’assurance responsabilité civile?», interroge-t-il, un brin provocateur. Le Valaisan cultive une trentaine d’hectares entre Martigny et Sierre pour le compte de la coopérative Provins. «Le poste assurance est devenu une charge fixe dans mon bilan comptable», affirme encore ce dernier, qui a choisi d’assurer tout le domaine. Il y a deux ans, dans ses vignes situées près du lac de Géronde, les températures sont descendues à -11°C. «Ce n’est pas avec des chaufferettes ou un canon à gaz qu’on aurait pu sauver quoi que ce soit.»
Quoi qu’il en soit, assurés ou pas, tous les producteurs rongent leur frein à l’approche des saints de glace. Et Jean-Blaise Golluz de conclure simplement: «Un entrepreneur responsable doit désormais placer la notion de risque au centre de ses réflexions.»

Texte(s): claire muller
Photo(s): Claire Muller / DR

Bon à savoir

«Ces dernières années, suite aux épisodes de sécheresse et de gel, la demande pour des couvertures contre les accidents climatiques est en ­augmentation», observe le directeur de Suisse Grêle, Pascal Forrer. Ainsi, si l’assurance gel – pour vignes, fruits et baies – concernait 150 exploitations en 2017, plus de 1100 producteurs se sont assurés cette année. «Ils sont beaucoup plus sensibles à la gestion des risques climatiques, observe Pierre Sauty, expert pour l’assurance. Comment réduire les risques, dans quels moyens de lutte investir, comment s’assurer efficacement: ce sont désormais pour eux des questions centrales.»
+ d’infos www.hagel.ch