Décryptage
Gagner en autonomie et en souplesse grâce au séchage en grange

Dans un contexte climatique changeant et face à des exigences de plus en plus élevées en matière d’indépendance alimentaire, sécher ses fourrages s’avère une stratégie tout à fait pertinente.

Gagner en autonomie et en souplesse grâce au séchage en grange

Ces dernières semaines extrêmement pluvieuses viennent cruellement le rappeler: la saison des foins peut se révéler infernale sitôt que la météo s’en mêle. Car des herbages fauchés trop tard, rentrés trop humides ou mêlés à de la terre entraînent automatiquement des répercussions négatives au niveau de la productivité du bétail, de sa santé et donc du porte-monnaie du producteur laitier. Bref, les précipitations de ce mois de mai peuvent véritablement mettre en péril toute une année.

Flexibilité et qualité
Permettant de s’affranchir des périodes de fortes intempéries désormais quasi inscrites au calendrier, le séchage en grange s’avère un atout évident dans la gestion des chantiers de récolte, notamment au printemps et à l’automne. «Il offre une plus grande flexibilité dans le choix des dates de fauche, souligne Nathaniel Schmid, spécialiste en production animale pour l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL). Et il permet de réduire considérablement le temps nécessaire à la récolte.»

Outre une certaine souplesse, l’amélioration qualitative des foins est le second atout du séchoir, désormais considéré comme l’allié indispensable du producteur souhaitant améliorer l’autonomie alimentaire de son troupeau. «De plus en plus de labels exigent davantage de fourrages grossiers au détriment des concentrés, poursuit Nathaniel Schmid. L’herbe est certes capable de fournir les éléments nutritifs nécessaires à une ration équilibrée, mais à condition qu’elle soit récoltée au bon stade, conditionnée et conservée dans d’excellentes conditions.» L’efficacité de cet outil précieux nécessite néanmoins un bon niveau de maîtrise technique. «J’observe régulièrement des lacunes dans le pilotage des installations, se traduisant par une péjoration du résultat, confie Pierre Aeby, spécialiste de la question à l’Institut agricole de Grangeneuve (FR). Le savoir-faire intuitif – sentir, toucher – et l’assistance de sondes et de l’automatisation ne font pas tout! Il faut absolument contrôler constamment divers paramètres.»

C’est bien au niveau du suivi de ces derniers qu’on peut encore gagner en qualité et en performance. Température, humidité relative et pression doivent être au cœur de la surveillance, insiste Pierre Aeby, qui recommande en outre l’acquisition d’une caméra thermique: celle-ci va mettre en évidence des variations de température au-dessus du tas, synonymes de problèmes de diffusion de l’air, aisément réglables en faisant varier la hauteur des claies. «La caméra repère instantanément les zones en fermentation et permet de réagir immédiatement en défaisant les paquets.»

L’hygromètre, un atout
De même, une ministation météo, ou tout du moins un hygromètre, est une précieuse aide à la décision pour savoir quand enclencher le séchoir. «Plus on avance dans le processus, plus on a besoin d’un air sec. Avec un foin quasiment sec, il faut utiliser de l’air à moins de 50% d’humidité relative pour arriver à extraire les dernières gouttes d’eau du fourrage. Sinon, c’est du gaspillage.» Enfin, Pierre Aeby recommande un baromètre à eau placé contre la paroi et vérifiant la pression du tas de foin sur les colonnes d’air: «Au-delà de 8 à 10 hectopascals, les ventilateurs ont de la peine à travailler, précise-t-il. On risque un déficit qualitatif et nutritionnel, une perte d’appétence des fourrages, voire de la fermentation et un risque d’incendie. Il faut dès lors réinvestir du temps de brassage, revoir le chantier de récolte, voire carrément acquérir une nouvelle cellule… ou un système de traitement de l’air!»

Pour l’expert, le chauffage de l’air ou sa déshumidification sont désormais des éléments à prendre sérieusement en considération: en conditions humides, une chaudière pulsant de l’air à 15°C peut diminuer par trois le temps de séchage. Reste ensuite à déterminer la source énergétique et le type de chaudière: «À l’achat, un modèle à mazout reste malheureusement la solution la moins coûteuse aujourd’hui. Le choix du bois – plaquettes ou pellets – offre un coût du kilowattheure moins élevé mais un investissement plus lourd.» Face à un investissement qui peut varier du simple au triple, Pierre Aeby se veut rassurant: «Tous les systèmes sont plus ou moins équivalents en termes de performance, dès lors que l’installation est bien dimensionnée et le pilotage maîtrisé.» Et l’expert d’insister: «Équiper son séchoir d’un traitement de l’air entraîne certes un surcoût énergétique par rapport à un système à air froid, mais il devient aujourd’hui une assurance dont on aurait tort de se passer vu les conditions climatiques changeantes et l’augmentation de la taille des chantiers de récolte.»

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Questions à...

Claude Gallay, spécialiste en construction agricole à Agridea

Les séchoirs en grange collectifs sont encore rarissimes en Suisse. Pour quelles raisons?
Il y a des craintes d’ordre financières et organisationnelles qui dissuadent les agriculteurs de se lancer dans un tel projet. La récolte et le conditionnement des fourrages sont des moments stratégiques, et la perspective de perdre en flexibilité parce qu’on partage un outil de travail en retient plus d’un. L’expérience collective amène pourtant de vraies plus-values.

Quels sont à vos yeux les avantages d’une approche collective?
Les économies d’échelle, en premier lieu. À plusieurs, on peut se permettre plus facilement d’investir dans un outil plus performant, composé de davantage de cellules de séchage autorisant un surcroît de souplesse lors des chantiers. En outre, l’intelligence collective n’est pas à sous-estimer et le fait que les décisions ne reposent plus sur une seule personne participe à diminuer d’autant le stress pour l’exploitant. Il est même possible d’envisager la prestation de service, le séchage à façon de plaquettes pendant la période hivernale !

Quelles seraient dès lors vos recommandations?
Avoir une vision commune et poser les règles de fonctionnement du groupe. Il ne faut pas hésiter à se faire accompagner par un conseiller ou un modérateur pour les premiers pas.

Cinq vidéos

Piloter son séchoir efficacement, recourir au bois comme source d’énergie, faire le choix du déshumidificateur ou celui du séchoir collectif: ces thématiques viennent de faire l’objet d’un cours extrêmement complet et pointu proposé sous forme de cinq capsules vidéo conçues par Grangeneuve, Agridea, Prométerre, la Chambre neuchâteloise d’agriculture et de viticulture et le FiBL. Elles sont désormais disponibles sur internet.

+ D’infos www.grangeneuve-conseil.ch