Arboriculture
Fred s’apprête à partir à la conquête des vergers du pays et d’ailleurs

Dans le cadre d’Agrovina, qui se déroule à Martigny jusqu’au 26 janvier, la station de recherche Agroscope présente une nouvelle poire issue de vingt ans de sélection. Itinéraire d’un fruit né en Valais.

Fred s’apprête à partir à la conquête des vergers du pays et d’ailleurs

Elle est du genre tape-à-l’œil, la nouvelle poire créée par Agroscope. Avec son petit coup de blush sur fond vert tendre, croquante à souhait, fondante en bouche sans pour autant rendre trop de jus, la fred a de quoi convaincre le consommateur le plus réticent aux poires. A fortiori, la nouvelle venue sur nos étals se conserve longtemps et résiste bien mieux aux chocs que ses cousines comice et beurré bosc!
Lancée en grande pompe il y a deux jours, à l’occasion de la foire Agrovina à Martigny (VS), cette nouvelle variété pourrait bien révolutionner le rapport des Suisses à ce fruit, à en croire ses créateurs et promoteurs, qui ne tarissent pas d’éloges à son égard. «La fred est aussi bien une poire de dessert, à manger à table sur une assiette avec un couteau, qu’un fruit à glisser dans le sac d’école d’un enfant, comme une pomme», lance Danilo Christen, chercheur à l’origine de sa sélection.

Vingt ans de sélection
C’est à ce scientifique de la station de recherche de Conthey (VS) que la CH 201 – le nom de laboratoire de la fred – doit son destin de future star des vergers. Son créateur, Charly Rapillard, chercheur aujourd’hui retraité, procède dans les années huitante à des milliers d’hybridations entre différentes variétés de poire, dans le but d’obtenir un arbre résistant au feu bactérien (lire l’encadré ci-dessous). Quand Danilo Christen rejoint la station de recherche au début des années 2000, il poursuit l’évaluation des quelque 3000 variétés hybrides créées par son prédécesseur. Ce titanesque travail de sélection lui prendra une dizaine d’années. «De la pollinisation de la fleur à la dégustation du fruit, en passant par l’évaluation du stockage longue durée et la résistance de l’arbre aux maladies, des milliers d’arbres et de fruits ont été passés au crible.» CH 201 s’avère rapidement être la perle rare. Elle passe en effet avec succès toutes les épreuves. Elle sort même du lot dès les premières dégustations en 2007. On décide alors de l’envoyer sous d’autres cieux, pour tester son potentiel dans des terroirs autres que valaisans. À Wädenswil (ZH), en Belgique, dans l’ouest de la France, la poire valaisanne confirme les attentes d’un point de vue arboricole. Parallèlement, elle est présentée lors de plusieurs salons professionnels. Dégustée par des commerçants saoudiens, chiliens ou libanais, elle ne laisse personne indifférent. «Le goût du fruit, son aspect attrayant, la croissance de l’arbre, ses qualités agronomiques… Tout est réuni pour faire de CH 201 une poire mondialement reconnue», s’enthousiasme Danilo Christen. Le processus d’enregistrement international, étape obligée avant un lancement commercial, prendra encore trois années. Autant dire que, pour Danilo Christen, voir aboutir ce long et fastidieux processus tient presque du miracle: «C’est quelque chose qui n’arrive qu’une fois dans la vie d’un chercheur.»

«Du jamais vu pour une poire!»
En Suisse, l’intérêt de la filière fruitière pour la fred a été grandissant ces dernières années. En 2014, Olivier Comby, arboriculteur à Saxon, décide ainsi de lui consacrer 3000 m2. «C’est un arbre facile à conduire. Il n’a mis que trois ans avant de produire ses premiers fruits alors qu’un autre poirier met habituellement sept à huit ans!» Convaincu, le Valaisan lui consacrera un hectare supplémentaire dès cette année.
Le commerce non plus n’est pas resté indifférent à ses charmes. La fred affiche en effet un potentiel de garde bien supérieur à la moyenne des autres poires. «On peut la conserver six mois en frigo et jusqu’à douze mois en atmosphère contrôlée. C’est du jamais vu pour une poire», assure Danilo Christen. «De quoi lui offrir des perspectives commerciales intéressantes, se réjouit Michael Weber, gérant de la société Varicom, qui joue désormais les entremetteurs entre l’obtenteur – Agroscope – et les metteurs en marché helvétiques et internationaux. En arrivant sur les étals au printemps, elle bénéficiera d’un espace pour l’instant inoccupé par des poires suisses.»

Une nouveauté bienvenue
Se faire une place dans un marché aujourd’hui dominé par la conférence ne devrait pas poser problème à la nouvelle venue: «Les poires que nous consommons actuellement – williams, louise bonne, beurré bosc, abbé fétel, conférence – ont été sélectionnées au XIXe, voire au XVIIIe siècle pour certaines d’entre elles. Contrairement à la pomme, il n’y a eu aucune évolution majeure depuis. L’arrivée d’une nouvelle variété ne devrait donc pas passer inaperçue!»
La fred s’attaque cependant à un marché en déclin: le Suisse consomme en effet moins de 4 kg de poires par année, contre 6 kg il y a vingt ans. «Si ce marché régresse, c’est justement parce qu’on manque de nouveautés, affirme Christian Bertholet, gérant d’Union Fruits SA à Charrat (VS), l’un des cinq metteurs en marché du pays. La fred se différencie par son goût, son aspect et sa tenue. C’est une poire haut de gamme.» Ne reste plus qu’à convaincre les consommateurs: «Notre public cible, ce sont les gens qui ne mangent pas de poires parce qu’ils pensent que c’est un fruit qui n’est pas pratique à consommer, qui se gâte vite et qu’on ne peut pas transporter, lance encore Danilo Christen. Demain, en goûtant la fred, ils changeront d’avis!»

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Sedrik Nemeth

Un poirier rapidement productif

La poire fred est née du croisement entre la variété canadienne harrow sweet – particulièrement tolérante au feu bactérien, mais qui ne se conserve pas bien – et la verdi, une poire bicolore née aux Pays-Bas, elle-même descendante de la louise bonne. «En plus de synthétiser les avantages de ses deux parents, la fred a également été sélectionnée pour sa facilité de culture», explique Danilo Christen. Avec son port peu érigé, de type pommier, l’arbre, plutôt petit et trapu, simplifie le travail des arboriculteurs. Olivier Comby qui en a planté ces dernières années à Saxon, apprécie sa perte de juvénilité rapide. «On a pu effectuer une demi-récolte en troisième année déjà, explique l’arboriculteur valaisan. La fred arrive par ailleurs trois semaines plus tard que la conférence, ce qui est pratique dans l’organisation de la récolte.» Si les Français vont en planter 25 hectares et les Belges 100, il n’est prévu d’en planter qu’une trentaine en Suisse d’ici à 2020. Un lancement volontairement progressif en termes de surfaces, pour préserver producteurs et metteurs en marché d’un échec commercial. «Les prochaines années vont avant tout être consacrées à tester le marché», explique Michael Weber, qui est confiant en l’avenir de cette nouvelle poire.