Décryptage
Franc succès pour le lait équitable!

Commercialisé depuis septembre 2019, le label qui assure 1 franc par litre au producteur a largement dépassé les attentes de ses initiants. Le bilan avec Anne Chenevard, présidente de la coopérative.

Franc succès pour le lait équitable!

Une vache aux couleurs helvétiques accompagnée d’une inscription en larges caractères: «Le lait équitable». Depuis un peu plus d’une année, ce logo facilement reconnaissable identifie certains emballages de lait dans les commerces alimentaires suisses. Vendu entre 1 fr. 80 et 2 fr. 10 le litre selon les distributeurs, soit 30 à 50 centimes plus cher qu’une brique standard, ce lait promet à son producteur de toucher 1 franc par litre, au lieu des 65 centimes habituels. Lancé en septembre 2019 par la coopérative Faireswiss, ce label connaît un succès inespéré. «Nous avions tablé sur 400‘000 litres vendus en une année. Fin 2020, nous en avons écoulé plus d’un million», se réjouit Anne Chenevard, présidente de la coopérative et agricultrice à Corcelles-le-Jorat (VD).

20′000 francs de revenus en plus
Un premier bilan donc très encourageant pour les créateurs du label. «Cela montre que les consommateurs sont prêts à payer quelques dizaines de centimes supplémentaires pour assurer un revenu digne aux paysans», poursuit la Vaudoise. Car si la différence de prix est relativement anecdotique pour le consommateur, elle représente un montant substantiel à la fin de l’année pour le producteur. À la tête d’une exploitation de 38 vaches, Anne Chenevard a ainsi touché 20′000 francs supplémentaires sur sa paie du lait en 2020. «Un montant non négligeable pour effectuer exactement le même travail que les années précédentes, mais simplement rémunéré à sa juste valeur.»

Cahier des charges à respecter
Forte de son succès, la coopérative Faireswiss compte désormais 60 membres, contre 14 seulement à son lancement en septembre 2019. «Nous avons actuellement un peu plus d’une quarantaine de producteurs sur liste d’attente que nous espérons pouvoir accueillir au 1er janvier 2022 si les ventes continuent à progresser», signale Anne Chenevard. Pour pouvoir adhérer à la coopérative, les agriculteurs doivent toutefois répondre à certaines conditions. «La première, c’est de respecter les normes PER (prestations écologiques requises), ce qui est le cas de la majorité des exploitants suisses, et de suivre deux des trois grands programmes fédéraux favorisant le bien-être et l’alimentation durable du bétail (SST, SRPA, PLVH). Nous leur demandons aussi de s’engager à donner quelques journées d’animation en magasin», détaille Anne Chenevard.

À son entrée dans la coopérative, chaque membre doit également acheter des parts sociales pour une valeur minimale de 1000 francs. Pour le reste, rien ne change. Les producteurs continuent de couler leur lait auprès de leur acheteur habituel. «Cremo, notre partenaire, conditionne un certain nombre de briques sous notre label. Une fois celles-ci vendues, la différence de prix de 35 centimes est versée à la coopérative, qui la redistribue ensuite au prorata à ses différents membres. Nos adhérents sont répartis aux quatre coins de la Suisse, il serait donc impossible d’un point de vue logistique d’acheminer le lait équitable à un seul et même endroit. Il n’y a donc pas de traçabilité à proprement parler. Le lait contenu dans un emballage équitable peut provenir de n’importe quelle exploitation. Mais, en achetant une brique équitable, le consommateur sait que quelque part en Suisse un paysan de notre coopérative sera mieux rémunéré.»

Plus de 400 points de vente
Les magasins Manor Food ont été les premiers à proposer les produits Lait équitable sur leurs étals, suivis au fil des mois par d’autres points de vente. «Nous sommes désormais distribués dans 400 magasins un peu partout en Suisse romande, dont de nombreuses épiceries, mais aussi chez Aligro, Pam, Farmy.ch ainsi que dans les succursales Spar, en Suisse alémanique», relève la présidente de Faireswiss. De plus en plus de collectivités s’approvisionnent également auprès du label, comme le CHUV et l’accueil de la petite enfance de la Ville de Lausanne, de nombreux EMS et plusieurs restaurants d’entreprise.

Sur les 60 producteurs actuellement membres de la coopérative, deux tiers sont Romands, pour un tiers d’Alémaniques. «Notre but est de compter des membres sur tout le territoire, afin que chaque canton soit représenté et que nous puissions bénéficier d’une couverture nationale.» Faireswiss souhaiterait aussi pouvoir écouler ses produits sur les rayons des deux géants orange de la grande distribution. L’ambition de la coopérative à terme est de réussir à vendre un litre par habitant, soit un peu plus de 8,5 millions. «Pour un ménage de quatre personnes, cela représente environ 2 francs de plus par année par rapport à des briques conventionnelles. C’est insignifiant, constate Anne Chenevard. Mais, pour les producteurs, cela fait toute la différence.»​​​​​​

+ D’infos www.faireswiss.ch

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): François Wavre/Lundi13

Assortiment diversifié

En plus du lait entier et écrémé, disponible en briques individuelles et en outres de 10 litres pour la restauration collective, Faireswiss a élargi son offre à d’autres produits. Le label compte six fromages à pâte molle de la fromagerie Le Grand Pré, à Moudon (VD), dont un brie, un reblochon et un petit boisé à mettre au four. On peut aussi acheter des crèmes à café et un mélange à fondue moitié-moitié, fabriqué en collaboration avec la fromagerie Vacherin Fribourgeois SA, à Bulle (FR).

1 franc pour un salaire décent

Revendiqué depuis plusieurs années, notamment par le syndicat paysan Uniterre, le prix de 1franc par litre aux agriculteurs permet de couvrir leurs coûts de production, dont leur salaire, calculé sur une base de 28 francs l’heure. «À 65centimes, soit le prix qui nous est actuellement rétribué par les acheteurs pour le lait de segment A, destiné à la consommation suisse, nous perdons donc de l’argent», rappelle Anne Chenevard. Une situation qui incite toujours plus d’agriculteurs à abandonner la filière. La Suisse est ainsi passée de 44360 producteurs laitiers en 1995 à 19048 en 2019, soit une diminution de 57% en vingt-cinq ans, rappelle Uniterre dans un récent communiqué. Première coopérative d’envergure nationale, Faireswiss est chapeautée par l’European Milk Board, une association qui défend les intérêts des producteurs laitiers en Europe. Active dans seize pays, dont la France, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et l’Italie, cette faîtière représente environ 100‘000 producteurs laitiers et promeut une filière durable qui permette aux éleveurs de vivre décemment de leur travail. C’est elle qui soutient le lancement du lait équitable dans chaque pays. L’identité visuelle est la même pour toutes les coopératives et reprend le logo de la vache à l’effigie du drapeau du pays concerné ainsi que la mention «Le lait équitable» traduite dans chaque langue.

+ D’infos www.europeanmilkboard.org