Nature
Envahies par les tordeuses grises, les forêts de mélèzes reverdiront en août

Depuis quelques semaines, certains arbres du Valais et de l’Engadine ont perdu leur couleur. Bien que ce phénomène soit rare, il résulte du cycle de vie bien particulier de papillons nocturnes et n’a rien d’inquiétant.

Envahies par les tordeuses grises, les forêts de mélèzes reverdiront en août

Branches dénudées, aiguilles desséchées, teint rougeâtre: depuis quelques semaines, les mélèzes de l’Engadine (GR) et de certaines régions du Valais font peine à voir. Virus dangereux, maladie ravageuse, épidémie destructrice? Promeneuses, promeneurs, pas d’inquiétude! Il s’agit d’un phénomène écologique tout à fait normal. Tous les neuf ans en moyenne, ces arbres servent de repas aux tordeuses grises (Zeiraphera griseana), de petits papillons nocturnes très répandus en Europe. «Bien que le cycle de vie de ces insectes soit régulier et connu des scientifiques, il a des conséquences particulièrement impressionnantes cette année, note Beat Forster, entomologiste pour la protection des forêts au sein de l’Institut fédéral des recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL). En effet, ils étaient en très grand nombre cet été. Cette pullulation a eu pour effet de modifier l’apparence des mélèzes à grande échelle. Cela n’était pas arrivé depuis près de quarante ans!»

En effet, les chenilles, dès le stade larvaire, ont dévoré les pointes des aiguilles des différents rameaux en se déplaçant grâce à leurs fils de soie. Ainsi, à l’apogée du cycle, elles étaient plus de 20 000 à occuper un arbre, à tel point que l’on entendait leurs déjections pleuvoir sur le sol. Au terme de cette invasion, qui a duré environ quatre semaines, les petites bêtes se sont laissées choir afin de se nymphoser dans la litière et entamer leur métamorphose.

Scénario naturel

Pour les mélèzes, cette prolifération n’a rien de dramatique puisque plus de 99% d’entre eux en ressortiront indemnes. «Au mois d’août, de nouveaux bourgeons verront le jour et ces arbres débourreront une deuxième fois, reverdissant leurs couronnes. C’est un événement assez spectaculaire qui mérite que l’on s’y intéresse de près», souligne le spécialiste.

Si les tordeuses grises colonisent régulièrement les mélèzes de toute l’Europe, le phénomène de défoliation – soit la perte de toutes ou d’une partie des feuilles d’une espèce – n’existe que dans les vallées intérieures des Alpes, de la France à l’Autriche, en passant par l’Italie et la Suisse. «Seules les zones au climat continental situées entre 1700 et 2000 mètres d’altitude sont le théâtre de ce drôle de scénario. D’après les différentes recherches sur le sujet, cela existerait depuis plus de 1200 ans», mentionne Beat Forster.

Mais pourquoi cela ne s’est-il pas produit ces quarante dernières années? «Les pullulations cycliques ont eu lieu, mais de manière beaucoup plus discrète. Il semblerait que ce soit à cause de la hausse des températures», explique le collaborateur du WSL. En effet, le réchauffement climatique intensifie l’activité respiratoire des œufs en hibernation, ce qui aurait pour impact de les faire éclore avant l’apparition des premières aiguilles, nécessaires à la survie des larves. «C’est pour cela que ce phénomène est devenu moins visible, notamment lors des trois derniers cycles survenus en 1989, 1999 et 2008. Cet été est donc une période exceptionnelle. Il est impossible de savoir si cela sera toujours le cas dans neuf ans.»

Des guêpes parasites

En attendant, les chenilles restantes vont peu à peu mourir de faim, faute de nourriture disponible. Les femelles survivantes, elles, pondront moins d’œufs. Les années suivantes, la qualité des rosettes des mélèzes sera moins bonne et le débourrement retardé, ce qui augmentera le taux de mortalité de ces insectes. «Leur disparition quasi complète pendant cette période peut également s’expliquer par l’arrivée d’une variété de guêpes parasites dites ichneumons, attirée par la prolifération de ces proies faciles à l’apogée du cycle», ajoute l’entomologiste. Puis, ces guêpes seront décimées à leur tour faute de larves hôtes, ce qui permettra aux populations de tordeuses grises de se reconstituer lentement, afin d’entamer une nouvelle boucle.

Ainsi, bien que les mélèzes infestés aient l’air malades pour les personnes non averties, ce phénomène millénaire est un processus naturel inhérent à la dynamique de ces forêts particulières. «Rien ne sert donc de vouloir le stopper, d’autant plus que ces papillons sont transportés vers les vallées voisines grâce à un vent d’ouest suite à la défoliation. En somme, le mélèze et la tordeuse grise cohabitent depuis des millénaires.»

À noter toutefois que d’autres facteurs peuvent causer des colorations d’arbres en montagne, tels que le gel tardif, la teigne minière ou les champignons des aiguilles. Des informations détaillées sur ces différents facteurs sont disponibles sur le site du WSL.

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Beat Wermelinger/WSL

Un objet d'étude centenaire

La première mention d’une «maladie» inconnue en Suisse agissant sur la coloration des mélèzes date de 1820, à Ardon (VS). Au milieu du XXe siècle, le secteur du tourisme, qui reprenait lentement son essor après la Seconde Guerre mondiale, a fait pression pour que les forêts, jugées inesthétiques, soient traitées. Cette demande fut le point de départ d’une étude qui durera plus de soixante ans. Après avoir découvert que le phénomène était inoffensif pour les arbres, la tordeuse grise est passée du statut de ravageur à celui d’objet d’étude fascinant pour les scientifiques.

Trois questions à Alexandre Aebi, professeur d’agroécologie, Université de Neuchâtel

Y a-t-il d’autres espèces invasives dans les forêts suisses?

Oui, mais contrairement à la tordeuse grise, leur présence ne dépend pas d’un cycle naturel. Je pense notamment à la pyrale du buis, une chenille importée de Chine via le commerce international, qui défolie et affaiblit de nombreux arbres autour de Neuchâtel depuis l’année dernière, ainsi que le cynips du châtaignier, qui est présent au Tessin et dans le Chablais depuis dix ans. Leur pullulation modifie considérablement les paysages forestiers.

Des mesures sont-elles mises en place pour les combattre?

Les traitements phytosanitaires sont interdits dans les forêts. Toutefois, des lâchers d’agents de lutte biologique pourraient être autorisés si les risques d’une prolifération étaient jugés trop importants. Il s’agirait d’évaluer les coûts et les bénéfices.

Quel est l’impact du réchauffement climatique sur ces invasions?

L’augmentation des températures peut provoquer un affaiblissement des arbres ainsi qu’une arrivée d’insectes exotiques dans nos régions, ce qui peut être dangereux. Bien que certains de ces ravageurs soient difficilement détectables, des contrôles phytosanitaires sont constamment effectués aux frontières afin d’empêcher l’arrivée d’espèces problématiques.