Portrait
Un facteur d’instruments charmé par le serpent

Dans son atelier de cuir aux Prailats (JU), Stephan Berger fabrique des serpents, un instrument de musique apparu au XVIe siècle. Cet artisan originaire de Bâle-Campagne est connu pour son ingéniosité et son travail de qualité.

Un facteur d’instruments charmé par le serpent

Chaque jour, au petit matin, Stephan Berger se lève pour jouer du serpent. Dans sa ferme isolée aux Franches-Montagnes, le cadre champêtre se prête bien à ce rituel original qu’il considère comme une forme de méditation. Voilà bientôt 15 ans que cet artisan du cuir conçoit, restaure et entretien l’ancêtre du tuba. C’est au Café du Soleil à Saignelégier, qu’il l’aperçoit pour la première fois entre les mains du célèbre jazzman Michel Godard. Il est aussitôt hypnotisé par les sonorités «graves et touchantes» de cet instrument à vent qui accompagnait autrefois les chants grégoriens et animait les parades napoléoniennes. Sans parler de sa forme singulière en double S.

Ce soir-là, Stephan Berger n’est pas au bout de ses surprises. A la fin du concert, le virtuose serpentiste français lui confie qu’il cherche à dupliquer un modèle historique issu de la collection du Musée de la musique à Paris. L’atelier qu’il a mandaté n’a pas réussi à recouvrir l’instrument de cuir. «Pour une raison qui m’échappe, je lui ai spontanément répondu que je pouvais le faire, raconte l’artisan dont l’accent suisse-allemand trahit ses origines bâloises. Je me disais que si nos prédécesseurs en ont été capables, je le serais aussi». C’est par cette rencontre fortuite que Stephan Berger devient, petit à petit, facteur d’instruments. Une vocation qu’il portait en lui depuis plusieurs années. «A chaque fois que je terminais un étui en cuir pour un instrument de musique, j’avais comme un pincement au cœur. J’avais envie de créer l’objet qu’il contenait », se souvient-il.

Remonter le temps

Stephan Berger ne redoute aucune matière : il a aussi bien travaillé le cuir que le métal, le bois ou la pierre. Ce savoir-faire manuel, il l’a acquis lors de son apprentissage de forgeron et mécanicien en machines agricoles. Mais pour mener à bien la tâche que Michel Godard lui a confiée, il comprend rapidement que sa maîtrise technique ne suffit pas. «Il fallait que je réfléchisse comme mes ancêtres. Que je me mette mentalement à leur place, dans les conditions du 16ème siècle où le rythme de travail, le temps investi et l’accès aux matières étaient différents», explique-t-il. Car en plus d’être habile de ses mains, Stephan Berger est également réfléchi et savant. Il a consulté de nombreux écrits anciens et ausculté plusieurs serpents d’époque, afin d’identifier les processus de fabrication. On trouve même, affiché au mur de son atelier de cuir, la radiographie d’un serpent. Au bout de deux années de dur labeur, ce travailleur minutieux réussit à relever le défi et livrer au Musée de la Musique à Paris par Michel Godard, devenu son ami, la réplique commandée.

Génie de l’invention

Stephan Berger ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Afin d’appréhender au mieux les subtilités du serpent, il décide d’apprendre à en jouer. A force de perfectionnement et persévérance, il parvient à proposer de nouvelles embouchures et mettre au point une version plus légère du serpent en fibre de carbone. «Je cherche avant tout à l’affiner et le rendre plus précis au niveau sonore tout en veillant à préserver son âme», remarque-t-il. Il faut dire que Stephan Berger est un inventeur-né. Un grand nombre de ses créations figurent dans un album qu’il sort de l’un de ses nombreux tiroirs. Pouf de méditation en cuir tanné végétal, table à rallonge, produit d’entretien du cuir à base d’ingrédients naturels «miracolo» ou encore ce fauteuil au design particulier invitant à l’introspection… l’imagination de cet artisan semble inépuisable! Et il est également réputé pour l’invention d’une attache spéciale pour harnais de chien d’aveugles. Un système novateur vendu dans plusieurs pays du monde, de l’Europe à l’Australie. «C’est comme un don, conclut cet esprit curieux sans cesse en quête de nouveaux défis. Quand on me présente un problème, je m’applique à trouver une solution.»

Texte(s): Marisol Hofmann
Photo(s): Matthieu Spohn

Le serpent

Bien qu’il soit en bois et recouvert de cuir, cet instrument à vent de forme serpentine fait partie de la famille des cuivres. Il aurait été inventé à la fin du XVIème siècle par un chanoine d’Auxerre, en France, pour accompagner les chants grégoriens. Après la révolution française, le serpent reste présent dans différents ensembles instrumentaux, notamment ceux des parades militaires. Il décline progressivement au XIXème siècle avec l’avènement de l’ère industrielle en faveur de son successeur, l’ophicléide, puis refait apparition dans les années 1970, sous l’impulsion, entre autres, de Michel Godard.

En dates

1956 : Stephan Berger naît à Läufelfingen

1987 : Il s’installe avec sa compagne Erna dans les Franches-Montagnes, aux Prailats. Ensemble, ils ouvrent leur atelier d’artisanat de cuir tannage végétal. Il se lancent notamment dans la création de meubles.

2005 : Il rencontre Michel Godard au Café du Soleil à Saignelégier et découvre, par la même occasion, le serpent.

2012 : Lancement d’un stage autour du serpent en collaboration avec Michel Godard. Intitulé The serpent journey, il a lieu tous les deux ans dans le Jura.