Guillaume Habert dirige la chaire de construction durable de l’EPFZ. Selon lui, il faut remplacer une partie du béton par des matériaux dits régénératifs, tels le bois ou le chanvre, ainsi que rénover au lieu de détruire.

L’architecture a-t-elle un rôle à jouer dans la transition climatique?
➤ Bien sûr! La construction de bâtiments, ponts et tunnels représente près de 20% des émissions mondiales de CO2, ce qui est énorme. Quant à leur utilisation – principalement le chauffage –, il s’agit de 20% supplémentaires. À l’heure de la crise climatique et énergétique, ce secteur doit complètement se repenser. Le défi est immense. C’est pour y répondre que ce groupe de recherche a été constitué à l’École polytechnique fédérale de Zurich il y a une quinzaine d’années déjà.
La Suisse est-elle donc particulièrement en avance dans ce domaine?
➤ Oui et non. D’un côté, la Confédération a été pionnière dans la quantification des impacts environnementaux du bâti, avec des bases de données en libre accès sur les matériaux ou les transports. De l’autre, peu d’efforts ont été entrepris pour rendre la phase de construction plus durable. Ces vingt dernières années, l’accent a surtout été mis sur l’efficacité énergétique des bâtiments durant leur utilisation, notamment avec le label Minergie. Pourtant, 70% des émissions de CO2 d’un ouvrage sont émises lors de son édification. Il est essentiel d’agir à ce niveau. Des normes sont récemment entrées en vigueur en France et aux Pays-Bas pour limiter ce taux, mais ce n’est pas encore le cas chez nous.
Comment expliquer cette disparité?
➤ La question économique est centrale: bien isoler son habitat avec des matériaux comme le polystyrène – issu du pétrole – permet d’économiser dès les premiers mois sur les coûts de l’énergie. En revanche, construire avec des matériaux plus durables n’offre pas d’avantage financier immédiat, car ils sont plus chers à l’achat. Dans notre société, les intérêts personnels à court terme priment souvent sur l’intérêt général… De plus, le secteur de la construction est difficile à décarboner, car le béton est la star des chantiers.
Particulièrement dans notre pays…
➤ C’est exact. Nous avons une véritable culture architecturale du béton. C’est moins le cas en France et en Allemagne, où ce matériau est associé à la reconstruction d’après-guerre et aux zones périurbaines comme les banlieues. Sa perception est beaucoup plus négative. Ici, on le travaille comme un produit noble avec un rendu très qualitatif, comme dans les gares CFF. Il est vrai que, malgré son fort impact environnemental, il permet de réaliser des structures solides et résistantes, ce qui le rend très efficace. Sans compter qu’il existe désormais des technologies moins gourmandes en CO2, comme le béton bas carbone. Il est toutefois nécessaire de l’utiliser avec parcimonie et de l’assembler avec d’autres matériaux durables.
Lesquels par exemple?
➤ Il existe des matériaux dits régénératifs, c’est-à-dire qui stockent du carbone ou qui en ont piégé durant leur croissance, comme la paille, le chanvre et le bois. En Suisse, on retrouve ce dernier dans 10 à 15% des bâtiments, même s’il s’agit en majorité de bois importé, nos forêts servant surtout à nous chauffer. Toutefois, on assiste à une restructuration de cette filière afin d’utiliser davantage de bois local, ce qui est positif. Face à l’urgence, il n’est plus suffisant de minimiser notre empreinte environnementale. Nous devons maximiser notre impact positif, afin de réparer les dégâts causés.
Au-delà de la construction, faut-il mettre l’accent sur la rénovation?
➤ Évidemment, car nous avons déjà assez de bâtiments sur le territoire pour accueillir la population suisse ces prochaines années. Il est donc souhaitable d’adapter le parc existant aux nouvelles exigences. Malheureusement, la tendance actuelle est plutôt de détruire afin de mieux reconstruire, pour des questions de coût et de technique. Cela est désastreux en matière de gaspillage des ressources. Par ailleurs, lorsque des rénovations sont faites, les isolants et matériaux utilisés sont rarement biosourcés, c’est-à-dire issus de matière organique renouvelable.
Y a-t-il tout de même des exemples prometteurs de construction durable dans le pays?
➤ Bien sûr. Je pense notamment à certains immeubles de coopératives d’habitation, qui emploient béton, paille et terre. Au-delà des éléments structurels, ce type de logement encourage un mode de vie plus collectif avec une mutualisation des espaces, ce qui a du sens d’un point de vue écologique. Ce modèle est tout à fait reproductible.
Va-t-il se populariser selon vous?
➤ Probablement. Dans tous les cas, résider dans un environnement sain avec des matériaux peu carbonés qui régulent mieux l’hygrométrie induit plus de bien-être. Avec la multiplication des vagues de chaleur en été, cela n’est pas négligeable et pourrait inciter les propriétaires à sauter le pas. Il y a aussi un intérêt économique à long terme: si un bâtiment perd de son confort à la saison chaude, sa valeur diminuera. Finalement, les intérêts personnels rejoignent ceux de la planète.
Selon vous, y a-t-il assez de mesures politiques pour soutenir cette évolution?
➤ La Confédération et certains cantons s’engagent largement dans le domaine de l’énergie, en subventionnant l’installation de pompes à chaleur ou de panneaux solaires, ce qui est très bien. Mais il n’y a pas de «vision carbone» durant la phase de construction. Nous devons changer de paradigme afin de permettre une réelle transition écologique du secteur.
Bio express
Guillaume Habert: Après des études à l’École normale supérieure de Paris consacrées à la terre, l’atmosphère et l’océan, le Français s’est spécialisé dans la géologie structurale à Toulouse, durant son doctorat. Dès 2007, il a mené des recherches autour du développement d’un béton durable, à Paris, puis a été nommé directeur de la chaire de construction durable de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), en 2012. Ce groupe de recherche rassemble une quinzaine de spécialistes.
Des habitats modèles en Romandie
Une villa autarcique à Châtillon (FR), un hôtel en bottes de paille à Nax (VS), une maison solaire à énergie positive à Cortaillod (NE), une tiny house à Ayent (VS), une chambre d’étudiant en kit à Genève, une coopérative d’habitation solidaire à Cheiry (FR)… En Suisse romande, les exemples de constructions durables et de logements exemplaires sur le plan énergétique se multiplient. Une fois par mois depuis plus de deux ans, Terre&Nature leur consacre une page. Retrouvez tous ces articles gratuitement sur notre site.
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