Reportage
Visite au cœur d’une ferme futuriste

Complémentaire au maraîchage traditionnel, l’agriculture verticale maximise l’utilisation de l’espace et se libère des aléas du climat. Au nord de Zurich, des pionniers se sont lancés dans ce nouveau concept.

Visite au cœur d’une ferme futuriste

La halle industrielle bordant la gare de Niederhasli, au nord de Zurich, n’évoque guère une production maraîchère. Pourtant, à l’intérieur, le contraste est saisissant. La chaleur et l’humidité créent une ambiance quasi tropicale, alors que la senteur d’une plante aromatique rappelant le sud embaume l’air. Nous sommes à Yasai, la plus grande ferme verticale de Suisse. Depuis le début de l’année, celle-ci commercialise du basilic. Mais ici, pas de serre traditionnelle ni de terre propice au maraîchage. Dans ce bâtiment destiné à l’origine à la transformation du bois, plusieurs plateformes métalliques se superposent,  tandis qu’un éclairage artificiel diffuse une lumière crue. «La spécificité de ce mode de production réside en effet dans une meilleure efficience de la surface à disposition, grâce à un système qui permet de cultiver sur plusieurs étages», confie Eldrid Funck, directrice du marketing.

Variété de plantes aromatiques
À la base de ce projet, on trouve un architecte, un ingénieur en environnement et un spécialiste de la finance. Lumière, température, nutriments, eau: le milieu fonctionne en système fermé, dans un climat sous contrôle permanent, complètement automatisé. Des algorithmes aident à optimiser divers paramètres, comme l’intensité de la lumière et la durée d’éclairage, en fonction de la croissance des plantes. «Ce concept comporte deux avantages majeurs par rapport à l’agriculture traditionnelle, souligne la Zurichoise. D’une part, il n’utilise aucun pesticide. De l’autre, il assure un approvisionnement 365 jours par an, indépendamment de la météo.» Actuellement, Yasai – qui signifie légume en japonais – met sur le marché uniquement du basilic. On le trouve en emballages de 20 grammes dans les filiales Coop de Zurich, Bâle et Lucerne. La menthe devrait rejoindre l’assortiment début mai, alors que le persil, la ciboulette et la coriandre sont encore en phase de test. «Dans un premier temps, nous concentrons nos efforts sur les cinq plantes aromatiques les plus en vogue, explique Eldrid Funck. À terme, la production de légumes feuilles, comme la salade, ainsi que de baies, devrait être possible.»

Potentiel à perfectionner
Cette méthode étant novatrice dans le pays, le département des sciences appliquées de l’Université de Zurich, le centre de recherche d’Agroscope et Fenaco se sont associés en février à Yasai pour poursuivre cette expérience en tant que projet Innosuisse. Près d’un million de francs a été débloqué, afin d’améliorer le rendement, la qualité, la durabilité et la rentabilité d’une telle installation. «Le but n’est pas de concurrencer les maraîchers traditionnels, mais d’offrir, notamment en hiver, une alternative locale aux denrées importées du Maroc, d’Israël ou d’Afrique du Sud, observe Eldrid Funck. En rapprochant les lieux de production et de consommation, les fermes verticales luttent contre le CO2 émis lors de l’acheminement de la marchandise et contre les pertes inhérentes au transport sur des milliers de kilomètres. De plus, notre basilic est plus frais, car moins de 24h s’écoulent entre la récolte et la mise en rayonnage au magasin.» L’objectif à court terme est de doubler la surface à Niederhasli, avant la construction de nouvelles structures, en Suisse et à l’étranger.

Lors du processus entièrement géré par ordinateur, les graines sont semées dans un substrat 100% biodégradable, puis placées en chambre de germination durant dix jours. Les supports sont ensuite installés sur la structure définitive, les racines des plantes baignant dans une eau enrichie en nutriments. Il faut compter un mois en moyenne entre le semis et la première récolte, plusieurs coupes étant possibles. «On utilise 95% d’eau en moins qu’en pleine terre, tout en limitant le recours aux fertilisants.» La méthode a cependant ses points négatifs. En comparaison avec le maraîchage traditionnel, la quantité d’énergie nécessaire est nettement supérieure. «Nous recourons notamment à un éclairage artificiel aux LED et à de l’électricité produite avec des énergies renouvelables. Et nous utilisons la chaleur des LED pour chauffer nos bureaux.»

Quant aux consommateurs, une inconnue demeure. «Auront-ils une certaine retenue par rapport aux herbes aromatiques cultivées de cette manière? Seront-ils prêts à payer plus cher que pour du basilic importé? Les premiers retours semblent positifs, mais il est trop tôt pour tirer un bilan.»

Texte(s): Véronique Curchod
Photo(s): DR

Une méthode qui peine à s’imposer

Si des projets d’envergure ont vu le jour depuis plusieurs années à l’étranger – aux États-Unis notamment –, cette technique éprouve de la difficulté à se développer pour l’heure en Suisse. Certaines start-up qui s’étaient lancées ont d’ailleurs mis fin à leurs activités, sans explication. Car maîtriser le processus de A à Z est complexe. En agriculture verticale, trois systèmes principaux existent: l’hydroponie, l’aquaponie et l’aéroponie. En aéroponie, les végétaux poussent sur des substrats, racines à l’air, et sont aspergés de vapeur d’eau. En aquaponie, les déjections de poissons servent d’engrais pour les plantes. Yasai utilise pour sa part la culture en eau profonde, une variation de l’hydroponie, où les racines baignent dans une eau enrichie en nutriments.

En chiffres

Yasai, c’est…

2020, l’année de création de cette ferme verticale, par Mark E. Zahran, Stefano Augstburger, et Philipp Bosshard.

100 m2 de surface de base, 600 m2 au sol de plantation sur 6 étages.

25,5°, la température dans la halle.

4 à 5 semaines, du semis à la récolte.

1 produit commercialisé par Coop dans 80 filiales, 3 autres en phase de test.

40 kg de basilic par semaine.

13 collaborateurs au sein de la ferme.

+ D’infos www.yasai.earth