Reportage
Vignerons, chercheurs et État testent ensemble la durabilité sur le terrain 

Un réseau associant les différents acteurs de la viticulture est mis en place à Genève autour d’une série d’essais culturaux visant à la réduction des intrants. Une première, qui répond à une véritable demande.

Vignerons, chercheurs et État testent ensemble la durabilité sur le terrain 

Passer d’une viticulture traditionnelle à un travail sans produits phytosanitaires (PPS) entraîne son lot d’incertitudes. Pour aider les vignerons genevois dans cette transition, l’Office cantonal de l’agriculture et de la nature (OCAN) met actuellement en place un réseau d’essais «on farm» auprès d’un groupe de producteurs volontaires. L’Office s’est pour l’occasion adjoint l’expertise des spécialistes du FiBL, l’institut de recherche en agriculture biologique, ainsi que celle d’Agrivulg.

«L’État de Genève nous a confié un mandat général d’accompagnement de la transition vers la réduction des PPS, explique Flore Lebleu, conseillère en cultures spéciales au FiBL. Comme les producteurs du canton ont montré leur intérêt à documenter cette démarche (voir encadré ci-dessous), très délicate pour la vigne, nous avons choisi de nous concentrer sur cette culture.» Un choix d’autant plus facile que le contact entre les responsables viticoles cantonaux et le FiBL était déjà bien établi, ce dernier ayant mené en 2020 des essais d’homologation de produits alternatifs sur le domaine viticole de l’État. Huit thématiques ont été définies: la comparaison d’une protection avec ou sans PPS, la limitation du nombre de traitements, la diminution des doses de cuivre et de soufre, l’emploi de produits curatifs mouillables contre l’oïdium, les mesures préventives contre les maladies fongiques, l’optimisation des techniques d’application ainsi que l’usage de capteurs connectés et le suivi des cépages résistants.

Un protocole rigoureux
«Le protocole des essais se base sur trois zones, détaille Flore Lebleu. Un secteur témoin sans traitement, un autre conforme au mode cultural usuel du domaine et le troisième consacré au test proprement dit.» Si les vignerons inscrits au réseau ont pu choisir la problématique qui les intéressait, la mise en place pratique des parcelles de test est effectuée lors de la visite des
experts sur les 12 exploitations concernées – une phase qui vient de prendre fin.
C’est le cas chez Émilienne Hutin Zumbach, qui gère avec son fils Guillaume le Domaine des Hutins, en reconversion bio à Dardagny. «Nous allons mettre à l’épreuve le traitement par drone d’une parcelle de chardonnay très sensible à l’oïdium, non mécanisable et qui exige un traitement manuel astreignant, relate la vigneronne.»

Chez ses voisins du Domaine de la Printanière, à Avully, le programme coïncide aussi avec le passage au bio. La gestion de l’enherbement, sur certains parchets très escarpés, y est difficile; la présence dans l’équipe du FiBL de David Marchand, très familier de cette thématique, a permis de mettre en place un essai sur mesure: «L’idée est de comparer différents mélanges pour un couvert permanent ni trop haut ni trop concurrentiel, explique Frédéric Serdaly, qui gère le domaine avec sa compagne Céline Dugerdil. La technique d’application est aussi très innovante: on va recourir à des graines enrobées de compost et d’argile pour favoriser leur accroche à la pente.» De fait, le monitorage pointu du FiBL a sans doute fait beaucoup pour emporter l’adhésion des participants pratiquant déjà leurs propres essais au quotidien – certes de façon moins rigoureuse et cadrée. «C’est réjouissant qu’un conseil axé sur le bio soit enfin effectif à Genève, acquiesce Émilienne Hutin Zumbach. Et c’est une bonne raison de soutenir ce projet.»

«On crée un réseau de recherche participative, avec des interactions pouvant générer de l’apprentissage, souligne à ce sujet Flore Lebleu. Nous n’avons pas encore défini sous quelle forme exacte les résultats seront mis à la disposition de la profession, en dehors des visites et d’un rapport qu’on va bien sûr rédiger après les vendanges.»

Cet accompagnement fait sens dans le contexte d’une viticulture qui cherche à diminuer sa dépendance aux intrants de synthèse, relève-t-elle encore. «On pourrait mener un tel programme dans d’autres cantons, avec la collaboration et le soutien des services de conseil professionnel locaux.»

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Loïc Herin

Essais à l’échelle

Premier du genre à associer producteurs, État, faîtière professionnelle et institut de recherche à Genève, le réseau
«On Farm» 2021 regroupe:

4 parties: les vignerons participants, l’Office cantonal de l’agriculture et de la nature, Agrivulg et le FiBL.

12 vignerons-encaveurs sur l’ensemble du vignoble genevois.

8 thématiques liées à la réduction de l’utilisation de produits phytosanitaires et à l’optimisation de la lutte sans intrants de synthèse.

+ D’infos www.agrigeneve.ch

Questions à...

Florian Favre, œnologue, Office cantonal de l’agriculture et de la nature (OCAN, GE)

Comment est né ce programme d’essais?
L’origine est double: d’une part, des viticulteurs se sont constitués en groupe pour approfondir des questions techniques liées à la réduction des intrants; Florent Hugon, d’Agrivulg, a recueilli les thématiques les plus saillantes qui en sont issues par le biais d’une petite enquête. D’autre part, le FiBL a procédé l’an dernier à des essais sur le vignoble de l’État, une synergie qu’on a souhaité poursuivre en simplifiant la logistique et les déplacements que cela entraîne.

Quelles sont les attentes des producteurs impliqués?
Ceux qui sont en PI ou en reconversion, notamment, apprécient en particulier le coaching des spécialistes du FiBL sur des problématiques concrètes qu’ils rencontrent déjà, et aussi le fait d’y associer l’OCAN et Agrivulg pour donner de la visibilité à cette approche culturale.

Y aura-t-il une nouvelle série d’essais en 2022?
C’est tout à fait possible, car la structure mise en place est intéressante et fonctionnelle. Bien sûr, les résultats de ce round et ceux des votations de juin en détermineront le contenu. Et on pourrait tout à fait imaginer étendre les essais à une quinzaine de thématiques, à condition d’être en mesure d’en assurer le suivi.