Du Côté alémanique
Poissons et légumes font bon ménage

L’aquaponie a pris racine en Suisse orientale! À Bad Ragaz (SG), un commerçant en fruits et légumes s’est lancé dans la production maraîchère... et aquacole! Sa serre située sur les toits est alimentée en fertilisants par les déjections d’un élevage de tilapias.

Poissons et légumes font bon ménage

Des maraîchers qui se lancent dans le commerce de légumes, c’est désormais monnaie courante en Suisse. Mais la démarche inverse, un revendeur décidant de produire lui-même salades et choux, est nettement plus rare. A fortiori en aquaponie! Le projet de la firme saint-galloise Ecco-Jäger est donc doublement osé. Il y a trois ans, la société, spécialisée dans le commerce de produits frais et active dans les cantons de Saint-Gall et des Grisons, installe sur le toit de son bâtiment une serre à légumes où poussent désormais herbes aromatiques et salades asiatiques. Les cultures sont fertilisées avec de l’eau enrichie en azote car provenant des bassins où nagent des milliers de tilapias. Avec ce système de symbiose entre élevage de poissons et culture maraîchère, Ecco-Jäger a ainsi construit l’une des rares installations aquaponiques de Suisse.

Motivation commerciale
Philipp Gschwend, le jeune directeur de la société saint-galloise, ne s’est pas lancé dans l’aventure par souci d’écologie ou par goût de l’aventure. Il revendique une démarche avant tout commerciale. «J’ai soixante salaires à verser à la fin de chaque mois. Je peux vous dire que l’aquaponie, au même titre que les autres secteurs de l’entreprise, a intérêt à être rentable! C’est un investissement comme un autre pour nous.»
Le bâtiment situé le long de la voie de chemin de fer qui relie Zurich à Coire (GR) datait des années nonante et méritait un sérieux lifting. «En 2010, il nous fallait notamment refaire le toit, qui commençait à montrer des signes de faiblesse. Nous envisagions d’y construire des appartements pour nos employés, mais nous n’avons pas pu pour des raisons d’aménagement du territoire.»
Un beau jour, Philipp et son père, également actif dans le commerce, tombent sur un même article de presse évoquant l’aquaponie et la production combinée de poissons et de légumes. Le déclic est immédiat. «Notre cœur de métier, c’est de vendre des produits frais et congelés à 1600 restaurateurs de la région. Leur proposer des poissons élevés localement et durablement m’a semblé une piste de développement intéressante pour l’entreprise.» Après deux ans de recherches techniques et de démarches administratives, Philipp ­Gschwend commence par installer des récupérateurs de chaleur dans chacun des congélateurs et des chambres froides de l’entrepôt. De quoi maintenir à près de 30°C les bassins d’aquaculture presque toute l’année: «L’hiver, nous complétons avec un chauffage à pellets. Mais le reste de l’année, nous sommes autosuffisants.» Au dernier étage du bâtiment, une salle à l’ambiance tropicale est consacrée à l’élevage de tilapias. Olaf Weinreich, un aquaculteur allemand, a été embauché spécialement pour prendre en charge cette nouvelle activité.

55 francs le kilo
«Nous importons des Pays-Bas des alevins âgés de 3 à 4 semaines et nous les engraissons pendant près de sept mois», explique le professionnel. Les traitements antibiotiques sont proscrits et l’aliment est constitué de farines végétales contenant du soja garanti non-OGM. À raison de 500 g par tilapia en fin de cycle de croissance, ce sont près de 14 tonnes de poissons qui sont produits chaque année dans les bassins de Bad Ragaz. «On compte environ 80 kg de poissons par mètre cube d’eau», précise Olaf Weinreich. Les poissons sont ensuite tués et directement apprêtés sur place, dans un local dédié, avant d’être mis sous vide et congelés. La productivité de l’atelier réjouit Philipp Gschwend: «Dans le Walensee, à quelques encablures, ils pêchent en un an la moitié de ce qu’on produit ici sur 200 m2.» Le filet de tilapia d’Ecco-Jäger est vendu 55 francs le kilo et assure ainsi la rentabilité de l’installation. «Quand on fournit un hôpital, ce sont 400 filets qui partent en une journée!» 3 à 5% de l’eau des bassins de production est renouvelée quotidiennement, tandis que les eaux sales sont filtrées puis pompées à l’étage supérieur.
C’est là, sur le toit du bâtiment et sous une immense verrière de 1000 m2, que des plants de salade prospèrent sans ajout aucun d’engrais de synthèse sur les tables de culture mobiles. Plusieurs fois par jour ou par semaine, en fonction de la saison et de la culture, la solution fertilisante inonde les bacs de production légumière. «On a volontairement opté pour un système de culture en mottes pressées, pour des raisons pratiques. On gaspille beaucoup moins d’eau de cette manière.»

Des salades chinoises
L’hiver, les tables de culture mobiles sont avant tout consacrées au rampon, très demandé, mais aussi à une multitude de salades aux feuilles étrangement découpées. Il s’agit de variétés asiatiques, croquantes et piquantes – roquette sauvage agano, frizzy lizzy, moutarde de chine, mizuna… – dont raffolent les cuisiniers pour agrémenter leurs assiettes. «L’été, les salades laissent place aux herbes aromatiques, également très intéressantes financièrement, confie Philipp Gschwend. J’ai l’avantage de connaître exactement les besoins des restaurateurs. Je peux donc m’aventurer dans de nouvelles cultures sans trop de risques commerciaux!»

+ d’infos www.ecco-jaeger.ch

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Bon à savoir

Riches en azote, les déjections des poissons doivent, avant d’être valorisables par les plantes, subir une dégradation. C’est là qu’interviennent des bactéries aérobies qui transforment les matières organiques – ammoniaque et urée – en nitrites, puis en nitrates. Ces derniers seront assimilables par les racines des plantes sous forme minérale. Les microorganismes contenus dans les bassins d’élevage piscicole jouent également le rôle de filtre biologique, puisque les excrétions s’avèrent toxiques pour les poissons eux-mêmes à des concentrations trop élevées.

En chiffres

  • 1600 clients dans l’hôtellerie-restauration dans les cantons de Zurich, Saint-Gall, et Thurgovie, ainsi qu’au Liechtenstein.
  • 14 tonnes de filets de tilapia produits par année
  • 1000 m2 de production de salade sous serre.