Jardin
Légumes et poissons vivent en symbiose dans la serre de l’écrivain

Depuis plus d’un an, Pierre Crevoisier expérimente l’aquaponie devant sa maison, à Chapelle (FR). Une technique de culture encore peu développée en Suisse romande que cet autodidacte passionné aimerait populariser.

Légumes et poissons vivent en symbiose dans la serre de l’écrivain

Tomates, céleris, fraises et brocolis s’épanouissent devant la maison de Pierre Crevoisier. Pourtant, point de terre à l’horizon, mais une serre avec un bassin accueillant plus d’une centaine de poissons. Nous sommes en compagnie d’un adepte de l’aquaponie, un système qui vise à faire pousser des végétaux grâce aux nutriments présents dans les déjections de ces animaux. «J’ai découvert cette technique il y a quelques années, lorsque je me suis intéressé à la permaculture. J’ai tout de suite été attiré par l’idée de construire un écosystème harmonieux entre ces êtres vivants. Ce type de culture est peu développé en Suisse romande. Pourtant, c’est fascinant!» assure notre hôte, en nous ouvrant les portes de son petit laboratoire d’expérimentation, à Chapelle (FR).

Un cercle vertueux fragile

Si elles ne sont pas visibles depuis l’extérieur, six carpes et une centaine de perches vivent à l’année dans un bassin de 1000 litres construit au fond de la serre. Devant, des plants de tomates et de céleris se développent dans un bac dit «à marée», soit qui se remplit et se vide régulièrement. «Cette alternance entre humidité et air permet aux racines de grandir. Si elles sont blanches, c’est qu’elles sont saines», indique le sexagénaire en examinant fièrement son installation. Cette dernière est également agrémentée de billes d’argile poreuses, permettant de fixer les nutriments pour les plantes.

À côté, un autre bac est équipé d’un tapis flottant en polystyrène alimentaire, dans lequel poussent brocolis, fraises, poivrons et piments. Une pompe redistribue l’eau dans une troisième structure verticale, garnie de plantes aromatiques. «C’est un gain de place. Mais cet élément n’est pas abouti, car il est soit trop humide, soit trop sec. Tout est dans les détails, afin d’atteindre l’équilibre parfait.»

Mais comment ce système fonctionne-t-il? «Le principe est plutôt simple, puisqu’il n’y a que trois acteurs: les poissons, les végétaux et les bactéries», relève le Jurassien. Concrètement, l’ammonium présent dans les déjections des poissons est transformé en nitrites, puis en nitrates, par des bactéries présentes dans l’eau. Cette substance chimique est ensuite directement absorbée par les végétaux, ce qui leur permet de grandir. En même temps, ce mécanisme purifie l’eau, qui peut ainsi retourner aux poissons.

«Pour atteindre ce cercle vertueux, il faut trouver un bon compromis entre le taux de nitrate nécessaire au développement des plantes et les besoins des poissons. Et surtout, on doit bien surveiller la quantité de nitrite, car ce dernier peut être mortel pour ces animaux», prévient-il.

 

Protéines animales et végétales

La serre aquaponique de Pierre Crevoisier fonctionne en circuit quasi fermé. L’un des seuls intrants est l’électricité, puisque les pompes qui alimentent les bassins fonctionnent en continu. «Pour l’instant, je suis branché sur le secteur. Un jour, j’aimerais installer des panneaux solaires. Mais cela nécessiterait l’équivalent de 18 batteries automobiles, ce qui prendrait beaucoup de place et constituerait un certain investissement.» L’autre apport extérieur est la nourriture des poissons, constituée en majorité de granulés.

«Cette farine animale est issue de la surpêche, ce qui me pose problème. Je réfléchis à installer une unité de production d’insectes sur place», expose-t-il, pensif. En attendant, le Fribourgeois d’adoption privilégie au maximum les circuits courts, en complétant l’alimentation de l’élevage avec les limaces du jardin et en utilisant les restes de déjection comme engrais pour le potager extérieur.

Méthodique, le jardinier amateur, écrivain de métier, vérifie régulièrement la qualité de l’eau à l’aide de pipettes. «Ces dernières semaines, les feuilles des piments ont jaunis. Je vais devoir rajouter du magnésium et du fer dans le système», signale-t-il en installant son matériel. «Contrôler en permanence tous les paramètres est la principale difficulté. Il faut des compétences en chimie et en physique. On a aussi une grande responsabilité, puisqu’on manipule des êtres vivants.»

Ses plus grandes erreurs? «La fois où j’ai changé de nourriture pour les poissons. Ils n’ont pas apprécié et je ne m’en suis pas aperçu tout de suite. Du coup, le taux de nitrite a explosé et plusieurs carpes ont été asphyxiées, répond-il, amer. Un jour, j’ai aussi omis de fermer le robinet, ce qui a inondé la serre. On ne m’y reprendra plus!»

Si l’aquaponie promet des récoltes généreuses sur un petit espace – et sans craindre les aléas de la météo –, les poissons constituent aussi une source de nourriture. Ainsi, une fois que les perches auront atteint leur poids idéal de 200 grammes, Pierre Crevoisier se fera une joie de les déguster en filet. «Par contre, j’ai toujours de la peine à les tuer», glisse cet ancien marin.

En hiver, les cultures d’été seront remplacées par des plantes de berge, comme le cresson de fontaine, qui s’épanouit dans une eau plus fraîche. D’ici-là, ce grand autodidacte s’applique à mettre sur pied un système fonctionnel et reproductible en zone urbaine. «Cela permettrait de produire des protéines végétales et animales sur les toits des immeubles par exemple. C’est très prometteur! J’aimerais populariser la démarche, afin que les citoyens puissent devenir acteurs de leur propre alimentation.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Pierre-Yves Massot

Sa serre aquponique, c'est:

1 serre de 30 m2.

6 m2 de surface de culture.

6 carpes et 100 perches.

1500 litres d’eau à 21 degrés.

3 bacs et 1 jardin vertical.

Des dizaines de légumes, petits fruits et plantes aromatiques.

Un système qui fonctionne 24 heures sur 24.

1 an et demi d’expérimentation.

Le jardinier

Avant de partager sa vie entre son métier d’écrivain et sa passion du jardinage, Pierre Crevoisier a d’abord été enseignant, journaliste, marin et chef de projets web. L’année dernière, il a lancé sa maison d’édition Le poisson volant, et publie actuellement une série de nouvelles illustrées, intitulées «Les déjantérotiques». Après avoir habité à Lausanne durant plusieurs années, ce Jurassien d’origine vit désormais avec sa compagne, depuis six ans, dans le canton de Fribourg.