Reportage
Herbes folles et haies vives, écrin sauvage pour une villa patricienne

En juillet, Terre&Nature vous ouvre les portes des parcs, vergers ou espaces verts de résidences privées en Suisse romande dont l’accès est d’ordinaire fermé ou réservé à un public très restreint.

Herbes folles et haies vives, écrin sauvage pour une villa patricienne

Le portail de fer forgé s’ouvre sans un bruit, dévoilant une allée gravillonnée qui serpente sous les branches des grands marronniers. Il faut faire quelques pas pour voir la maison, dont la haute silhouette apparaît entre des massifs d’hortensias et d’épais buissons martelés par la pluie. Volumes simples, escalier à double rampe, fronton cintré et symétrie parfaite, la villa de Genthod (GE) incarne le luxe bourgeois de la fin du XVIIIe siècle, une sobriété toute protestante en prime. Elle a été édifiée en 1781… aux Eaux-Vives. «La maison a été démontée et reconstruite pierre par pierre en 1907, raconte Jean Keller, maître des lieux, en descendant les marches du perron. C’est à ce moment qu’on l’a rebaptisée les Grands-Châtillons, sans doute en l’honneur des deux grands hêtres qui s’élevaient alors du côté lac.» De ces deux sentinelles plus que centenaires, il n’en reste qu’une aujourd’hui, l’autre ayant été arrachée par une tempête. Jean Keller a replanté un jeune hêtre à proximité pour remplacer son vénérable prédécesseur.

Entretenir les vieux arbres, conserver ceux qui peuvent l’être et remplacer ceux qui disparaissent de leur belle mort: c’est ainsi que le propriétaire de cette demeure envisage la gestion du domaine qui nous entoure. «Mon but n’a jamais été d’avoir le plus beau jardin de Genève, explique Jean Keller. Je n’aurais pas la prétention de me considérer comme un jardinier. Je le suis devenu par affection pour ce jardin, qui a une riche histoire et dans lequel je passe du temps depuis que je suis enfant.»

Le fief d’une artiste
Il y a la grande allée de tilleuls, élément indispensable de la panoplie d’une villa d’apparat, qui porte les stigmates du temps: un tronc foudroyé est traversé par une longue fissure, un autre a été colonisé par un pic vert. Mais aussi le chêne tortueux qui contribue à cacher la maison de la route. Les hortensias paniculés «vanille-fraise», réputés plus tolérants en matière de sol que leurs cousins blancs. Les pommiers sans âge dont les branches encore fermes croulent sous les fruits. Les massifs de buis taillés en topiaires juste assez irréguliers pour adoucir la sévérité du jardin à la française, et juste assez vieux pour être boudés par la pyrale.

Dans les yeux de Jean Keller, chaque arbre, chaque bosquet et chaque massif floral est chargé de souvenirs. Le financier genevois se remémore des parties de cache-cache, des grandes fêtes et des premières leçons de conduite dans le champ en contrebas. Mais il se souvient surtout de celle qui a donné à ce jardin son âme et son caractère délicatement sauvage: sa grand-mère, Andrienne de Senarclens, Andry de son nom d’artiste, peintre postimpressionniste et amoureuse de nature. «Elle aimait laisser le jardin croître de manière un peu désordonnée, relève Jean Keller. Le gazon, par exemple, n’a jamais été celui d’un green de golf, mais plutôt une prairie où l’on découvrait parfois une orchidée ou un tapis de minuscules fleurs. Ma grand-mère a donné à ce jardin, qu’elle a par ailleurs beaucoup peint, une part de magie que nous tenons à faire perdurer.»

Côté pile et côté face
Lorsque Jean Keller et son épouse reprennent la maison familiale, pas question de domestiquer ce jardin pour revenir au faste d’antan, mais bien de conserver sa part de folie douce. L’organisation du domaine reste toutefois largement dictée par les plans de l’architecte genevois Edmond Fatio, qui supervisa le déplacement de la maison il y a cent quinze ans: un jardin formel à la française, avec allées rectilignes convergeant vers l’entrée de la villa à laquelle on ajoute deux pavillons reliés par un mur en pierre de taille, massifs de roses tirés au cordeau et buis taillés en boules. Côté nord, le jardin aux fleurs, destiné à la seule cueillette de bouquets qui embaumaient la maison.

Plus loin en direction du Léman, une zone à l’ambiance campagnarde faite d’une prairie, d’un verger et d’un bosquet. Un siècle après la conception du jardin, le bosquet a pris de l’ampleur au point de masquer le lac, mais aussi les maisons qui ont poussé en contrebas. Le jardin aux fleurs a disparu, trop gourmand en temps et en efforts. Les arbres ont continué de pousser, de vieillir, de tomber parfois. D’autres les ont remplacés au gré des envies des propriétaires.

D’ici et d’ailleurs
Une seule règle: «Les essences exotiques, comme ce cèdre de l’Himalaya ou le jasmin qui grimpe sur l’escalier, sont cantonnées au jardin formel. La partie sauvage est, elle, quasi exclusivement plantée de variétés locales.» Ici, c’est un châtaignier reçu à l’occasion d’un anniversaire. Là, trois bouleaux plantés en clin d’œil aux trois enfants du couple. Là encore, un chêne déjà impressionnant a poussé d’un simple gland mis en terre. À la limite du terrain, deux haies vives récemment créées jouent un double rôle d’occultation et de refuge pour la petite faune.

Jardin d’agrément, nourricier et naturel, le domaine de Genthod est un peu de tout cela, et même plus. Le grain de fantaisie que lui octroya l’artiste de la famille lui donne un quelque chose d’attachant, l’atmosphère d’un lieu dans lequel on aimerait flâner durant des heures. Cela tombe bien: la pluie s’arrête enfin de tomber.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

En chiffres

Le jardin, c’est…

2,1 hectares de superficie.

1,4 hectare consacré au jardin à la française.

0,7 hectare de prairie et de bosquets.

2 haies vives.

250 mètres de roses.

Environ 15 arbres centenaires: marronniers, hêtres, chênes…

1 allée de tilleuls.

2 vergers à hautes tiges.

Le propriétaire

Jean Keller n’est pas jardinier. C’est en tout cas ce qu’il s’empresse de préciser lorsqu’il fait visiter son jardin. Toujours est-il que ce Genevois actif dans la finance et passionné par les vieilles pierres prend très à cœur sa mission d’entretien du domaine familial des Grands-Châtillons. S’il fait ponctuellement appel à un professionnel, il se charge personnellement de la plupart des travaux d’extérieur. Mais attention: la passion de cet amoureux des arbres et de ses hortensias est communicative!