Interview
«Beauté et risque, la montagne réunit tous les ingrédients de la fiction»

Le Festival du film alpin des Diablerets (FIFAD) fête sa 50e édition du 10 au 17 août. Retour avec son nouveau directeur artistique, Benoît Aymon, sur l’évolution de ce genre cinématographique à part.

«Beauté et risque, la montagne réunit tous les ingrédients de la fiction»

Le Festival du film alpin (FIFAD) fêtera ses 50 ans dans quelques jours. Que projetait-on aux Diablerets en 1969?
➤ Des films qui nous paraissent aujourd’hui terriblement vintage! Il y a cinquante ans, la montagne était encore un monde très viril, et cela se sent dans ces films qui montrent parfois de manière un peu caricaturale la relation entre hommes et femmes, ou entre le guide et son client. Le matériel était rudimentaire et très lourd, ce qui compliquait la tâche des réalisateurs. Mais cela ne les a pas empêchés de vouloir, très tôt, filmer la montagne: nous avons retrouvé un film réalisé au sommet du Cervin en 1901, soit quelques années à peine après les premières expériences des frères Lumière. C’est un document historique fascinant.

Et aujourd’hui, comment définir le cinéma de montagne?
➤ De films extrêmement techniques destinés aux seuls connaisseurs et quasiment indiffusables aujourd’hui, on est passés à de véritables blockbusters qui passionnent aussi un public de profanes. Actuellement, le cinéma de montagne est étroitement lié au fait que les sportifs doivent communiquer pour vivre. On assiste à la mise en place d’une triangulation entre l’athlète, ses sponsors et les médias. C’est un système plus ou moins sain, qui en a parfois poussé certains à prendre des risques démesurés pour se faire remarquer. Mais ce n’est pas cela qui fait un bon film.

Justement, si ce n’est pas la prouesse sportive, qu’est-ce qui fait un bon film?
➤ Un film doit susciter de l’émotion, avoir une dose de suspense, de l’humour. Il faut aller au-delà du spectaculaire pour chercher un sens. Au FIFAD, nous avons fait le choix de ne projeter que des documentaires. Mais ils contiennent en eux-mêmes tous les éléments de la fiction: la tension, la présence de la mort, la beauté, la transmission entre générations… Ce sont des thèmes universels.

Quel est le profil d’un réalisateur de documentaire de montagne en 2019?
➤ C’est une des rares choses qui ont peu changé depuis les débuts de ce genre cinématographique: un réalisateur est d’abord un montagnard lui-même. Il doit savoir tenir au bout d’une corde, sous peine d’être cantonné à un simple rôle d’observateur loin de son sujet. Ensuite viennent les qualités liées à la technique. Les meilleurs réalisateurs ne sont pas tous passés par des écoles de cinéma, mais ils ont forgé un regard qui leur est propre.

Vous parliez de blockbusters. C’est le cas de Free Solo, premier documentaire de montagne à décrocher un oscar. La preuve d’une reconnaissance de ce genre?
➤ C’est en tout cas un formidable coup de projecteur sur les sports de montagne, et un documentaire d’une intensité exceptionnelle. Mais il faut rappeler que ce film ne joue pas dans la même cour que les autres: Free Solo, c’est 36 caméras et un budget qui n’a rien à envier à celui d’un film hollywoodien!

Certains estiment que ce film valorise la prise de risque extrême. Qu’en pensez-vous?
➤ Je ne crois pas qu’il faille s’inquiéter de l’exemple que représentent ces films. Alex Honnold, dont on suit l’ascension dans Free Solo, est un Mozart de l’escalade. Une de ces icônes qui vous font rêver mais que vous n’imagineriez même pas imiter, un exemple qui tire le regard vers le haut et nous pousse à voir la vie autrement. Si ce genre de films peut donner envie à un jeune de se dépasser, c’est gagné. C’est important d’aller explorer ses propres limites, mais on n’a pas tous besoin de monter à 8000 mètres ou de grimper sans assurage pour cela.

Une autre évolution est l’apparition de la thématique environnementale…
➤ Personne n’échappe à ces questionnements, en particulier dans un environnement aussi exceptionnel que la montagne. Cinéastes et sportifs, qu’il s’agisse de grimpeurs ou de freeriders, veulent préserver ce milieu sublime. Je pense que c’est aussi le rôle du FIFAD de jouer les aiguillons: nous voulons faire rêver les spectateurs, mais aussi susciter la réflexion.

Le cinéma de montagne risque-t-il de s’essouffler?
➤ Je ne crois pas. La montagne est un décor. Un décor magnifique, certes, mais cela ne suffit pas à faire un bon film. La vraie matière première, c’est l’humain. Et la montagne attirera toujours des femmes et des hommes qui auront tous une histoire à raconter. Ce ne sera peut-être pas des aventures sur l’Everest ou des records de vitesse, mais il y en aura d’autres.

La 50e édition du FIFAD est votre première en tant que directeur artistique. Comment vous sentez-vous à quelques jours de l’événement?
➤ La pression monte! J’ai hérité d’un magnifique objet, mis en place notamment par Jean-Philippe Rapp et un comité qui a fait un beau travail de professionnalisation de la structure. Comme les jeunes alpinistes s’appuient sur ce qu’ont accompli les générations précédentes, je relève ce défi avec la volonté de préserver les acquis, et de surprendre notre public.

Texte(s): Propos recueillis par Clément Grandjean
Photo(s): RTS/Philippe Christin

Des rêves sur grand écran

Des Journées du film alpin suisse, nées en 1969, au FIFAD, la manifestation a parcouru du chemin en cinquante ans. Mais elle est restée fidèle à son objectif: rendre accessible à tous un peu de la montagne, que l’on soit alpiniste ou non. Cinquante projections sont au programme de cette édition anniversaire qui donnera aussi au public l’occasion d’entendre le mythique himalayiste Reinhold Messner, le photographe Vincent Munier ou encore le philosophe Dominique Bourg.
+ D’infos Festival international du film alpin des Diablerets, du 10 au 17 août, Maison des Congrès, www.fifad.ch

Cinq films qui ont fait l’histoire du cinéma de montagne

«Cervin 1901»
Frederick Burlingham, USA/Suisse, 1901
L’ascension du Cervin immortalisée par un alpiniste américain au moyen d’une caméra à manivelle: tout un programme pour ce film unique en son genre, plus ancien témoignage du cinéma de montagne.


«Les étoiles de midi»
Marcel Ichac, France, 1958
Considéré comme le père du cinéma de montagne, Marcel Ichac accompagne certains des plus grands alpinistes de l’époque, dont Lionel Terray, René Demaison et Michel Vaucher. Un film devenu culte, projeté en version restaurée.


«Parasol Peak»
Johannes Aitzmüller et Jeb Hardwick, Autriche, 2018
Bruit des pas sur la roche, cliquetis des mousquetons: dans ce film né de l’imagination du percussionniste Manu Delgado, tout est musique. Et l’ascension du Parasol Peak devient prétexte à une symphonie inédite.


«Free Solo»
Elizabeth Chai Vasarhelyi et Jimmy Chin, USA, 2018
Le face-à-face oscarisé entre le grimpeur Alex Honnold et le granit d’El Capitan, face mythique de Yosemite. Une escalade vertigineuse sans corde ni baudrier, et un film à vous scotcher à votre siège.


«La Grand-Messe»
Méryl Fortunat-Rossi et Valéry Rosier, 2019
La montagne, ce n’est pas que de l’alpinisme. Dans ce documentaire tendre et décalé, les deux cinéastes belges suivent la caravane des passionnés qui encouragent les coureurs du Tour de France.