Chauves-souris
Et si leur mauvaise réputation leur sauvait finalement la vie?

Ce week-end, la Nuit des chauves-souris donne rendez-vous aux noctambules romands. Le mélange de fascination et de crainte que suscite ce mammifère n’est pas étranger à la discrète success-story qu’il connaît.

Et si leur mauvaise réputation leur sauvait finalement la vie?

«Au village sans prétention, j’ai mauvaise réputation», chantait Georges Brassens. La chauve-souris pourrait chanter le même refrain. Depuis des siècles, elle est perçue dans l’imaginaire collectif comme un animal quasi diabolique (lire l’encadré ci-dessous). Observation difficile, aspect étrange et réputation démoniaque, il n’en faut pas plus pour donner à l’animal à un statut à part. Et pourtant, cette image sulfureuse n’est pas forcément un désavantage. Pour Pascal Moeschler, biologiste et directeur du Centre de coordination ouest pour l’étude et la protection des chauves-souris, elle a contribué au maintien d’espèces menacées en Suisse: «La conservation d’une espèce est tributaire d’un environnement culturel, explique-t-il. Le destin de la plupart des animaux dépend de ce que nous, les humains, en ferons à l’avenir. Dans ces conditions, l’image de l’espèce est très importante.»
Mais que dire d’une image négative? «Une mauvaise réputation, c’est mieux que pas de réputation du tout, sourit Pascal Moeschler. Certaines espèces sont certes affublées d’une image positive tandis que d’autres sont plutôt perçues comme menaçantes, mais l’immense majorité des animaux sont totalement inconnus.» Pour cette masse invisible du grand public, la disparition se fait souvent dans l’indifférence générale, malgré les efforts des biologistes. Pascal Moeschler en est convaincu, les légendes qui entourent les chauves-souris lui garantissent une visibilité vitale à l’heure où la biodiversité est en constante diminution.

Un physique pas facile
Paradoxalement, le principal atout de la chauve-souris est sans doute son physique inclassable: elle vole sans être un oiseau, est dotée de mains qui ressembleraient étrangement aux nôtres si elles n’étaient pas dotées d’une membrane, d’une frimousse digne d’un bestiaire médiéval et d’oreilles souvent disproportionnées… Sans oublier qu’elle ne se gênera pas pour élire domicile dans votre grenier. «Un enfant de 4 ans sait parfaitement à quoi ressemble une chauve-souris, poursuit Pascal Moeschler. À nous autres scientifiques de savoir utiliser cette fascination pour l’étrangeté dans une direction constructive.»
Parce que bien entendu, imaginer que ce mammifère aussi discret qu’inoffensif est une bête maléfique échappée de l’enfer, c’est mal le connaître. «On constate toujours un manque de culture, confirme Pascal Moeschler. La plupart des gens ignorent qu’il en existe trente espèces distinctes en Suisse. Un mammifère sauvage sur trois est une chauve-souris!» Lancée il y a plus de vingt ans, la Nuit des chauves-souris poursuit justement cet objectif d’information: l’événement veut aborder le problème sous son angle culturel, faire connaître l’animal pour mieux le faire accepter.

Baromètre environnemental
À l’heure de la 21e édition, celui qui est aussi l’initiateur de la manifestation fait preuve d’optimisme: «Plusieurs espèces étaient en voie de disparition, et la tendance s’est inversée, dit Pascal Moeschler. Si certaines d’entre elles remontent la pente peu à peu, c’est parce que l’on a accepté leur présence et leur importance sur le plan de la biodiversité. Les propriétaires de bâtiments évitent désormais les isolants ou les traitements de charpente toxiques et les autorités prêtent attention aux chiroptères pour les aménagements routiers.» Les actions de préservation ont notamment profité au grand murin: on dénombre aujourd’hui près de 120 colonies de reproduction de cette chauve-souris qui apprécie tout particulièrement les édifices construits par l’homme.
Les biologistes se réjouissent de voir la courbe repartir à la hausse, mais tout n’est pas gagné. La moitié des espèces de chauves-souris présentes sur le territoire suisse sont encore inscrites sur la liste rouge, et un quart est décrit comme «potentiellement menacé». Il faut dire que les chauves-souris sont des mammifères fragiles, extrêmement sensibles à la perte de leur habitat, mais aussi à la pollution lumineuse ou aux pesticides.
Du point de vue des scientifiques qui les étudient, les diverses espèces de chauves-souris revêtent un intérêt d’autant plus grand qu’elles occupent à elles seules une niche écologique unique: celle des chasseurs d’insectes nocturnes. Elles représentent donc un formidable baromètre pour évaluer notre impact sur l’environnement. En effet, elles sont réparties dans tout le pays, des zones densément peuplées aux régions alpines. Ajoutez à cela leur capacité de se repérer dans le noir en produisant des ultrasons et vous obtenez un animal qui, une fois les clichés oubliés, a tout pour passionner aussi bien les spécialistes que les profanes. La chauve-souris a de beaux jours, ou plutôt de belles nuits, devant elle.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Emmanuel Rey/DR

Bon à savoir

Qui n’a pas tremblé en entendant des histoires de vampires? On ne compte plus les légendes qui entourent la chauve-souris, mystérieuse et longtemps mal connue. Au Moyen Âge déjà, on la considérait comme un suppôt de Satan, et on la clouait sur la porte des granges pour éloigner le mauvais sort. Et ces croyances ne se sont pas estompées avec les siècles: il n’est pas rare d’entendre, aujourd’hui encore, la fameuse fable de la chauve-souris s’accrochant dans les cheveux d’une personne. Quant à Dracula, il peut se rhabiller: aucune des chauves-souris ne se nourrit de sang – c’est du moins valable pour les espèces européennes. Dans la réalité, les chauves-souris sont surtout utiles: un chiroptère mange plusieurs milliers d’insectes chaque nuit. Enfin, si certaines espèces peuvent être porteuses du virus de la rage, comme on l’a encore constaté récemment dans le canton de Neuchâtel, elles n’ont jamais représenté un risque pour la santé de la population. Il est intéressant de remarquer que la connotation négative qui colle à la peau des chauves-souris ne fait pas l’unanimité partout. Dans certains endroits du globe, c’est même le contraire: en Chine, par exemple, on considère qu’elle porte chance. Les Chinois l’appellent «biàn fû», le mot «fû» signifiant «bonheur».

Agenda

La Nuit des chauves-souris vous attend ce week-end
Vendredi 25 et samedi 26 août, les chiroptérologues accueillent les curieux à l’occasion de la 21e édition de la Nuit des chauves-souris. De Sion à Saint-Ursanne (JU),
en passant par le col de Jaman (VD), Nyon, Lausanne, Charmey (FR), Genève, La Heutte (BE) ou encore Champ-du-Moulin (NE), des animations destinées au grand public sont proposées à la tombée de la nuit. L’occasion de faire plus ample connaissance avec ces mammifères nocturnes en ville ou dans la nature. Tous les rendez-vous sont gratuits, mais l’inscription est obligatoire pour certains d’entre eux.
+ D’infos www.ville-ge.ch/mhng/cco