Reportage
Entre soulagement et crève-cœur, jour de remuage au Pays-d’Enhaut

Après cinq mois passés en altitude, la famille Ludi et ses soixante vaches ont quitté samedi dernier l’alpage de l’Éterpaz pour retrouver l’exploitation de Rossinière (VD). Nous avons accompagné leur désalpe.

Entre soulagement et crève-cœur, jour de remuage au Pays-d’Enhaut

Le soleil n’est pas encore levé sur le Gros-Perré, mais déjà l’effervescence règne devant le chalet d’alpage de l’Éterpaz. C’est jour de désalpe pour la famille Ludi, dont le troupeau s’apprête à quitter la montagne pour retrouver ses quartiers d’hiver dans l’exploitation située quelques kilomètres en contrebas, à Rossinière (VD). Estivant en zone de production de l’étivaz AOP, les Ludi ont pu transformer en fromage leur lait jusqu’au 10 octobre, l’herbe étant encore assez abondante cette année. «On est à la fois contents de terminer la saison et tristes de redescendre, confie Vincent, occupé à étriller ses vaches. Les dernières semaines à l’alpage sont parfois longues, surtout quand arrive le mauvais temps.» Voilà cinq mois que le jeune agriculteur de 25 ans, sa compagne Anne, sa sœur Marlène et ses parents Sonia et Toni estivent soixante laitières et presque autant de génisses sur les hauteurs de Château-d’Œx, changeant régulièrement d’altitude en fonction de la pousse de l’herbe.

La beauté pour oublier
Ce matin, pas moins d’une vingtaine de personnes sont présentes pour ce dernier «remuage» de la saison. Il y a là bien sûr les oncles, les tantes, les cousins, les garçons et filles de chalet qui ont donné un coup de main cet été mais aussi les amis fidèles. Équipés d’étrilles et de brosses, ils sont chargés, dans une joyeuse ambiance, de faire une beauté aux vaches alors que Vincent et Toni attribuent à chacune un toupin de taille différente, selon son positionnement dans le troupeau. Puis les décorations composées de fleurs fraîches et de petits sapins sont accrochées sur la tête des stars du jour. Tagètes, dahlias et marguerites proviennent du jardin familial. «Décorer nos vaches est un vrai plaisir, confie Marlène. La beauté de ces instants fait oublier nos heures de travail et le fait que le lait, qu’on livrera dès demain pour l’industrie, ne nous sera pas payé à sa juste valeur.»

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Tous quittent ensuite leurs habits d’écurie pour revêtir le costume traditionnel. Les hommes enfilent le dzebon noir, les femmes une robe bleue sur un chemisier aux manches bouffantes. Pendant qu’on avale en hâte une tartine et un dernier café dans la cuisine, les chèvres s’impatientent devant l’écurie. Les fleurs de papier dont Anne les a parées n’ont pas résisté longtemps à la curiosité des biques, ravies d’avoir quelque chose à grignoter en attendant le signal du départ. Il est 9 h 30 quand le cortège s’ébranle enfin, dans un concert de sonnailles. Tandis que Uranus et Pistache filent au pas de course, Doris et Colombine, elles, ont décidé de profiter de ce voyage pour voir si l’herbe est plus verte sur le parcours. Chaque jardin aura la faveur de leur visite, au grand dam de Gaël. Le jeune Gruérien en charge de leur surveillance termine aujourd’hui son service civil à l’alpage de la famille Ludi.
À l’approche de Château-d’Œx, la tension monte d’un cran. Il faut stopper la marche du troupeau en catastrophe, afin d’en laisser passer un autre qui emprunte le même chemin en sens inverse. «Pas question de mélanger les animaux», précise Sonia, qui vit aujourd’hui sa 18e désalpe. Puis c’est le train du MOB qui force à nouveau le cortège à l’arrêt. Dans les rues du bourg, les touristes sortent leur portable, admiratifs. C’est par la forêt que s’effectue la remontée finale en direction de la ferme des Ludi, sur les hauts de Rossinière. Le tempo s’accélère soudain malgré la pente raide. Le ruisseau de Chaudanne est vite franchi par les bêtes qui sentent que l’étable est proche. Arrivés aux Ciernes, destination finale du périple, alors que le troupeau reprend possession de son pâturage, hommes, femmes et enfants s’attablent enfin autour du ragoût qui mijote depuis l’aube. Sous la douce lumière du Pays-d’Enhaut, ils chassent la nostalgie de l’estive en trinquant à leur prochain retour à l’alpage.

 

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Mathieu Rod