Décryptage
Entre équité et solidarité, le système coopératif convainc les paysans

La démarche de s’associer en coopérative pour vendre eux-mêmes leurs produits séduit toujours plus les paysans, qui veulent échapper au contrôle des grandes enseignes. Exemple d’une réussite à Longirod (VD).

Entre équité et solidarité, le système coopératif convainc les paysans

Situé à 900 m d’altitude, Longirod compte 500 habitants, 12 exploitations agricoles, dont 6 laitières et, depuis peu, un magasin de producteurs. L’enseigne, qui se présente sous la forme d’un dépôt-vente, a ouvert il y a moins d’un an dans ce petit village du Jura vaudois déserté par les commerces traditionnels. Malgré des heures d’ouverture restreintes, le magasin DorignoL a rapidement trouvé sa vitesse de croisière. «La vingtaine de producteurs du village et environs qui se sont rassemblés autour de ce projet poursuivent un double objectif, explique ­Victor Bovy, jeune agriculteur à l’origine de cette initiative. D’une part, reprendre le contrôle de la commercialisation de leurs produits et décider d’un prix juste, sans souffrir de la pression exercée par les distributeurs. D’autre part, redynamiser la vie à Longirod, qui n’a plus de boulangerie, de poste et de petits commerces.» Le groupe a opté pour un statut social particulier, celui de la coopérative. «Je me suis inspiré des nombreux magasins de producteurs qui ont fleuri en France ces dernières années et qui sont la plupart du temps, des coopératives, créées et détenues par un groupe de paysans.»

Pas besoin de capital au départ
Depuis son apparition dans le Code des obligations helvétiques, il y a un peu plus de cent ans, le statut juridique de coopérative a été régulièrement adopté dans le cas de création de sociétés de laiterie, d’abattoirs ou encore de groupes de paysans souhaitant partager du matériel agricole (Cauma, Cuma). Peu de producteurs y ont cependant eu recours dans le cadre de la création d’un point de vente. «Pourtant, elle présente une kyrielle d’avantages, à commencer par le fait que l’apport d’un capital de départ est facultatif, à la différence d’une société anonyme (100 000 francs), ou d’une société à responsabilité limitée (20 000 francs)», souligne Victor Bovy.
Dans le cas de DorignoL (Longirod, si vous lisez dans le sens contraire), les sept producteurs de départ – qui ont été rapidement rejoint par seize autres – ont décidé qu’une contribution de 300 francs par membre au minimum permettrait de créer un petit pécule commun nécessaire à la location du bâtiment et l’achat d’une caisse enregistreuse. «Nous avons été très économes et avons opté pour la récupération afin de limiter les frais d’entrée dans la coopérative.» Pas question en effet pour Victor Bovy que des producteurs soient exclus de cette démarche collective pour des raisons financières. «De plus, chaque membre, quels que soient sa mise de départ, son chiffre d’affaires ou le nombre de références dont il dispose en magasin, compte pour une voix. Cette équité, on ne la retrouve dans aucune autre forme juridique.» Enfin, la coopérative se singularise en ne distribuant pas les bénéfices à la fin d’un exercice comptable. «Il n’y a pas de dividendes, car il n’y a pas d’actionnaires, précise Victor Bovy. Par contre, une ristourne est imaginable, au pro rata du chiffre d’affaires réalisé par chaque membre.»

Plus forts en étant unis
Ces arguments ont fait mouche auprès des agriculteurs de la région, dont Alexandre Mestral et Caroline Cuennet, un couple de Gingins (VD) qui a rejoint DorignoL à sa création pour y vendre huiles, vinaigres, farines et polentas. «Pour une fois, les petits ont autant d’importance que les gros dans la prise de décision et l’établissement des stratégies communes», se félicite le couple. On bénéficie d’une belle plate-forme de vente et d’une saine émulation parmi les producteurs. On a vraiment la sensation qu’ensemble, on est plus forts!»
En intégrant DorignoL, en signant ses statuts, sa charte et son règlement, les producteurs acceptent en outre que 20% de leur chiffre d’affaires propre soit prélevé pour payer les charges et faire fonctionner la coopérative. «Ce qui compte beaucoup, c’est la dimension collective et solidaire de notre projet», reconnaît Victor Bovy qui revendique le militantisme de sa démarche. «Adopter pour DorignoL le même modèle économique que des grandes structures comme Fenaco ou Migros, c’est un joli pied de nez, une façon de montrer que les paysans veulent détenir leur avenir entre leurs mains.»

Texte(s): claire muller
Photo(s): olivier évard

Bon à savoir

Questions à Aurélie Daiz-Racloz, consultante en commercialisation et circuits courts alimentaires chez ProConseil
Pourquoi le modèle coopératif est-il particulièrement indiqué dans le monde agricole?
Parce qu’il est simple, pragmatique et met tous les membres sur un pied d’égalité. En effet, ce ne sont pas les plus forts économiquement parlant qui font la loi dans une coopérative. Par ailleurs, la coopérative, en favorisant le groupe et non l’individu, propose une tout autre dynamique à un groupe d’exploitants agricole. Son fonctionnement démocratique permet de fédérer les parties prenantes et les oblige à s’entendre pour tirer à la même corde. Cela donne des structures très stables sur la durée, pour autant que où les rôles, les buts et la composition soient bien définis dès le départ.

Est-ce que cela conditionne le succès d’un projet?
Dans le modèle coopératif, la prise de décision n’est pas déterminée par le pouvoir économique des membres. Si la coopérative est très intéressante pour les professionnels des métiers de la terre, une structure dynamique et durable doit pouvoir compter sur le savoir-être de ses membres et leurs qualités humaines en termes de management, de leadership et d’organisation. Il importe de partir dès le départ avec un cadre clair et précis: quels sont les buts de la société, qui peut devenir membre, quelles sont les conditions d’entrée et de sortie et quelle est l’utilisation du bénéfice s’il y en a un, sont autant de questions qui méritent tout l’attention des membres fondateurs d’une telle société.

Bon à savoir

Depuis sa création statutaire en 1911, la société coopérative est définie dans le Code des obligations comme «celle qui poursuit principalement le but de favoriser ou de garantir, par une action commune, des intérêts économiques déterminés de ses membres». Voilà ce qu’il faut savoir:

  • Un membre égale une voix, quel que soit son poids par rapport aux autres.
  • La coopérative peut exister sans parts sociales.
  • La fortune de la société appartient à la coopérative et non aux membres
  • Les coopérateurs œuvrent ensemble pour le bien de la société coopérative, contrairement aux sociétés anonymes dont le but est prioritairement commercial.
  • Une coopérative doit impérativement compter au moins 7 membres.