Reportage
En visite dans les coulisses de la gigantesque sucrerie d’Aarberg

Comment fabrique-t-on du sucre? Ce savoir-faire unique est souvent méconnu. Pour y remédier, des visites guidées sont désormais organisées dans la sucrerie d’Aarberg, l’une des deux dernières en activité du pays.

En visite dans les coulisses de la gigantesque sucrerie d’Aarberg

Qu’on se le dise: la visite de la sucrerie d’Aarberg (BE) n’a rien à voir avec la féerie de Charlie et la chocolaterie. Elle n’en reste pas moins impressionnante. Une fois le portique de la fabrique franchi, on se sent minuscule. La cheminée en briques rouges érigée en 1912 côtoie d’impressionnants silos en tôle ondulée et des bâtiments hauts de plusieurs dizaines de mètres. À leurs pieds, les tracteurs et les wagons remplis de betteraves sucrières défilent non-stop. De la mi-octobre à la mi-décembre, ce ballet a lieu jour et nuit. Les betteraves forment des montagnes de plusieurs mètres de haut. En quelques mois seulement, des milliers de tonnes de sucre suisses sont ainsi fabriquées ici, depuis plus d’un siècle.
Mais qui sait réellement ce qui se déroule derrière les lourdes portes de la sucrerie? Peu de monde en réalité. Pour mettre en valeur ce savoir-faire et cet univers à part, l’Office du tourisme du Seeland a imaginé, avec Sucre Suisse, des visites les mercredis après-midi pendant toute la saison. Les machines tournent alors à plein régime. «La sucrerie est tellement grande que c’est la première chose que l’on aperçoit de la gare d’Aarberg, note Sabine Gasser, de Tourisme Seeland. Mais peu de gens connaissent la fabrication de cette denrée que l’on possède pourtant tous dans notre cuisine.»

Une fabrique démesurée
En suivant un guide, on découvre le travail qui se cache derrière un sachet de sucre. Il est phénoménal. Les tracteurs, en file indienne, amènent les betteraves récoltées dans l’ensemble du pays. Elles sont pesées, contrôlées, puis déchargées au pas de charge. Le visiteur a de la peine à suivre tant le processus est rapide. Les producteurs, au volant de leur engin, semblent quant à eux un peu étonnés de croiser des curieux au cœur de la fabrique de sucre d’Aarberg, l’une des deux seules encore en activité en Suisse. «Dans notre région, l’agriculture est importante. Nous voulons la mettre en avant, souligne Oliver von Allmen, directeur de l’office du tourisme. Il y a un grand potentiel à exploiter dans le terroir local et notre patrimoine.»
La visite continue en hauteur. De notre perchoir métallique, la vue sur le stock de betteraves est imprenable. «Il peut contenir 12 000 tonnes, de quoi faire tourner la sucrerie durant tout un week-end, explique le guide Miroslaw Halaba. Elle fonctionne 24 heures sur 24, sept jours sur sept pendant la saison.» Les betteraves filent à toute vitesse sur des tapis roulants, avant de passer dans une machine à laver gigantesque, installée à plusieurs mètres du sol. Dans l’air flotte une petite odeur de pourriture. Le vacarme est assourdissant. La visite promet de nous en mettre plein les oreilles, les yeux, aussi. «Plus de 400 tonnes de betteraves sont nettoyées par heure», poursuit le guide.
Une fois propres, elles filent à une cadence infernale sur des tapis roulants en direction de la tour d’extraction. Elles seront hachées menu puis mélangées à de l’eau. La pulpe commence alors à rendre son sucre. «Ce jus vert en contient 16%, poursuit Miroslaw Halaba. Asséchée, la pulpe servira quant à elle de fourrage pour le bétail. Les producteurs repartent avec.» Tout est récupéré: la terre prélevée sur les betteraves est recyclée en terreau, le calcaire utilisé pour la transformation devient un engrais. Plus étonnant encore: on produit ici davantage d’eau que de sucre! Elle rejoint les tumultes de l’Aar, s’écoulant non loin de là.

Une cristallisation discrète
La suite de la visite se déroule au chaud et surtout à l’abri des regards. On ne voit plus le sucre en devenir, les explications du guide prennent alors tout leur sens. Le jus s’épaissit, devient sirop dans d’énormes cuves. Le processus est surveillé par ordinateur, depuis une salle de contrôle digne d’un (petit) aéroport. La concentration de sucre se monte désormais à 65% dans cette masse brune, chauffée à 80 degrés. On y a ajouté des cristaux, la force centrifuge permet de séparer le sucre cristallisé de la mélasse. Des microscopes permettent d’assister à cet étonnant spectacle. Pour prendre soin des machines, comme certains malaxeurs datant de 1947, des ateliers ont été installés dans le bâtiment. Plus de 140 personnes travaillent sur le site, aussi bien des chimistes que des mécaniciens. Le tour prend fin dans le secteur de l’emballage. En l’espace de vingt-quatre heures seulement, les betteraves se retrouvent ensachées. Ce sont ainsi 1000 tonnes de sucre qui sont fabriquées quotidiennement sur les rives de l’Aar. «La grande majorité du sucre, 80%, est livré en vrac, conclut Miroslaw Halaba. Il est acheté directement par des industriels et des professionnels de la restauration.»

+ D’infos Inscriptions auprès de fuehrung@zucker.ch. Durée 2 h. Prix 10 fr. www.zucker.ch

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Guillaume Perret

En chiffres

Le sucre suisse, c’est:
2 sucreries en activité, une à Aarberg (BE) et la seconde à Frauenfeld (TG).
212’893 tonnes de sucre produites en Suisse en 2016.
8 à 9 betteraves sont nécessaires pour fabriquer 1 kilo de sucre.
55% des betteraves indigènes sont acheminés en train aux usines, 45% par la route.
180 kilos de pulpe restent sur 1 tonne de betteraves vidées de leur jus. Elle sert de fourrage.
Près de 20’000 tonnes de terre sont récupérées sur les betteraves. Elle est utilisée pour faire du terreau.

Questions à...

Philippe Egger, du comité de la Fédération suisse des betteraviers

Faire de la sucrerie une attraction touristique, une bonne idée?
Oui car on a toujours eu un problème de communication dans le milieu de l’agriculture. C’est l’occasion de parler de la filière à moindre coût et de montrer notre travail. Si on ne le fait pas, les gens ont tendance à croire
les clichés des campagnes publicitaires, peu réalistes, créées par les grandes surfaces.

Est-ce l’occasion selon vous de parler du marché des betteraves, en difficulté ces dernières années?
Oui et mieux vaut tard que jamais! On se rend compte que le public ignore qu’il consomme du sucre suisse lorsqu’il boit un Coca ou un Red Bull. Idem quand il mange du chocolat, car le sucre entrant dans la composition de produits transformés est peu mis en valeur. Le petit sachet accompagnant le café ne représente qu’une infime partie de la production suisse.

Avez-vous vous-même visité les lieux?
Bien sûr! Je pense que la grande majorité des 5000 producteurs de betteraves du pays l’ont visitée aussi. On est toujours intéressé à voir la transformation de notre produit.