arboriculture
En Valais, le roi des vergers se décline aussi en version bio

Pour la première fois, la récolte d’une dizaine d’hectares d’abricots bios s’apprête à être mise sur le marché. Une avancée agronomique notable, qu’on doit à une poignée de producteurs.

En Valais, le roi des vergers se décline aussi en version bio

Produire des abricots bios. Un vieux rêve pour les uns, une utopie pour les autres. Si les essais menés par différents arboriculteurs valaisans ces dernières années se sont soldés par des échecs, la saison 2019 pourrait bien marquer un virage au pays du prince des vergers: deux producteurs – Pitteloud Fruits et Bessard Frères – sont en effet parvenus à éviter les écueils dus à la moniliose, cette maladie d’origine cryptogamique constituant aujourd’hui le principal obstacle à la production d’abricots biologiques. Si les quantités disponibles sur le marché seront minimes cet été – soit la récolte d’une dizaine d’hectares seulement –, le pari n’en est pas moins réussi d’un point de vue technique.
À Riddes (VS), les abricots prennent des couleurs en cette fin juin. Et au dépôt, tout est prêt pour la cueillette. Elle aura cette année une saveur particulière pour Yvan Bessard, qui a cultivé une parcelle d’essai sans recours aux produits de synthèse.
Un véritable défi agronomique que l’arboriculteur valaisan relevait pour la première fois. «Voilà plusieurs années que je pense sérieusement au bio. Actuellement, une part de mon verger de pommiers et poiriers est en reconversion. Mais pour les abricotiers, je voulais d’abord faire un essai, sur une surface isolée, avant de me lancer officiellement», explique le Valaisan.

Intervenir avant la floraison
Yvan Bessard a donc opté pour une parcelle située dans l’axe de la plaine du Rhône,relativement bien ventilée et plantée avec la variété flopria. «C’est parmi les plus précoces mais surtout les plus sensibles à la bactériose. J’ai volontairement choisi de réaliser mon essai sur cette variété, afin de tester les limites du programme.» Âgés de 6 ans, les abricotiers ne présentaient aucun antécédent en termes sanitaires. En bout de parcelle, une poignées d’entre eux ont servi de témoins et n’ont subi aucun traitement. «En ce qui concerne la gestion de l’enherbement, un des principaux challenges en arboriculture biologique, j’ai investi dans un gyrobroyeur équipé de tâteurs, des têtes de débroussailleuses montées sur ressort», précise le producteur.
L’itinéraire cultural a débuté à la fin de l’hiver, quelques semaines avant la floraison. «On a eu une démarche préventive, ­explique Pascal Roduit, de la société Agribort, qui a conçu le programme de traitement et accompagné les producteurs. Les premières interventions ont eu lieu au moment du blanchiment du bourgeon.» Trois préparations à base d’huile d’origan (voir encadré ci-contre) ont été appliquées sur la fleur, avant chaque période de précipitations, dans la deuxième quinzaine de mars. «C’est là que tout se joue, poursuit Pascal Roduit. Si le virage de la floraison est bien négocié, alors on a mis toutes les chances de son côté pour que la suite de la saison se passe bien.»

Stockage difficile
Malgré le printemps froid et humide et la menace des gels tardifs qui ont contraint Yvan Bessard à lutter à huit reprises sur ses abricotiers, aucune attaque importante de moniliose ne fut relevée à l’issue de la floraison, mis à part quelques rameaux touchés. «La suite de l’itinéraire a été simple: nous avons éclairci manuellement, et avons pu constater que les fruits se développaient normalement. La charge est correcte et les abricots atteignent la même maturité que dans les vergers conventionnels.»
Reste désormais à voir comment se comporteront les fruits une fois récoltés: «Il sera impératif d’écourter la période de stockage et de refroidissement, reconnaît Yvan Bessard. Il me faudra sans doute les vendre le plus rapidement possible.» Le producteur prévoit également d’effectuer des tests de sucre et de fermeté, afin d’évaluer le comportement du fruit non traité. «Cette année, mes abricots ne seront pas certifiés. Mais je prévois d’ores et déjà d’annoncer en reconversion bio plusieurs parcelles l’an prochain. La demande est énorme et nous disposons maintenant d’un programme de traitement qui fonctionne!»
À l’antenne romande du FiBL – qui a suivi le projet «abricots bios» en collaboration avec Agroscope –, on le confirme: «Le marché est à prendre, à la différence de celui des fruits à pépins, déjà bien pourvu, indique Flore Lebleu. Mais d’un point de vue technique, tout n’est pas résolu pour l’abricot bio. Il faut encore valider les nouvelles connaissances en matière de stratégies phytosanitaires et de choix variétaux. Nous espérons pouvoir nous y atteler dès l’an prochain, en montant un ou plusieurs vergers pilotes pour accompagner les producteurs bio. Mais ce qui a été réalisé cette année est de très bon augure pour développer une filière abricots bios en Suisse ces prochaines années!»

+ d’infos Le 4 juillet, dès 14 h, lors de la dégustation destinée aux producteurs, organisée au centre de recherche des Fougères à Conthey en collaboration avec l’Office cantonal d’arboriculture, Agroscope et le FiBL présenteront de façon détaillée l’itinéraire technique des abricots bios.

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

questions à

Danilo Christen, chercheur à la station Agroscope de Conthey (VS)

  • En parallèle des essais réalisés par les producteurs, vous vous attachez à comprendre le fonctionnement de la moniliose. Où en sont vos recherches actuellement?
    À bout touchant! Dans le cadre de notre projet cofinancé par l’Office fédéral de l’agriculture, et en collaboration avec l’Inra d’Avignon, nous sommes sur le point d’obtenir la combinaison génétique responsable de la tolérance à la moniliose. Nous avons aussi identifié un marqueur chimique lié à ce phénomène: il s’agit d’un phénol qui n’est pas dégradé dans les variétés peu sensibles. En parallèle, notre réseau de six vergers entre la Suisse et la France nous permettra de mieux comprendre les influences des terroirs, des climats et des variétés sur cette maladie.
  • Dans quel délai une production bio de plus grande ampleur est-elle envisageable?
    Grâce au travail effectué ces dernières années par des producteurs innovants et pionniers, un grand pas a été franchi et on a désormais de bonnes bases pour développer la filière. Mais pour obtenir une production d’abricots bios régulière d’ici cinq à six ans, il faut encore affiner l’itinéraire technique en fonction des situations (variétés, climat, emplacement en plaine ou sur les coteaux, etc).

Bon à savoir

Voilà six ans que l’agronome Pascal Roduit explore de nombreuses pistes pour lutter naturellement, sans fongicide de synthèse, ni cuivre, ni soufre, contre les maladies de l’abricotier – moniliose, oïdium, maladie criblée. Au menu de ce programme de traitement qu’il a mis au point, des extraits d’origan. «Cette herbe aromatique contient du carvacrol, un phénol à l’action antifongique qui s’attaque au monilia en phase de germination.» Pascal Roduit a également intégré des algues (vacciplant) et de l’argile dynamisée qui stimulent les défenses naturelles de l’arbre. «J’utilise enfin de l’essence d’orange, qui a un effet desséchant sur les hyphes de l’oïdium.» Le programme s’applique préventivement pour éviter toute contamination, notamment sur les fleurs.