Du côté alémanique
En Thurgovie, chez le roi des fraisiers

Häberli est un nom bien connu dans le monde des plants de fruitiers et de petits fruits. Si elle ne crée plus de variétés, l’entreprise thurgovienne reste un des leaders dans la branche. Sa renommée est synonyme de robustesse et de fiabilité.

En Thurgovie, chez le roi des fraisiers

C’est l’histoire d’un paysan thurgovien pas comme les autres. Il s’appelle Hansjörg Häberli et, dans les années soixante, il exploite en famille à Neukirch-Egnach un petit domaine comptant quelques vaches laitières et une poignée d’arbres haute tige. C’est le hasard des rencontres qui le fait voyager jusqu’aux Pays-Bas où il découvre la culture de fraises à grande échelle. De retour sur les rives du lac de Constance, il décide de se lancer lui aussi dans la culture de petits fruits, persuadé de tenir un moyen de sortir son exploitation de l’ordinaire. Mais impossible à l’époque, de trouver des plants! Qu’à cela ne tienne, se dit Hansjörg Häberli, produisons-en nous-mêmes, pour nos propres cultures, et, tant qu’on y est, vendons-en à nos voisins. Voilà comme est née, en 1964, l’entreprise qui deviendra des années plus tard l’un des leaders dans le commerce de plants de petits fruits en Suisse.
Hansjörg Häberli se fait rapidement un nom auprès des agriculteurs de la région. «À l’époque, chaque famille paysanne cultivait des fraises dans le potager attenant au corps de ferme. Mais le choix variétal était restreint, relève Gertrud Schoop, une des collaboratrices scientifiques de la firme. Häberli a révolutionné l’offre.» La marque thurgovienne a ainsi marqué de son empreinte l’agriculture de toute la Suisse orientale. «Ce n’est pas un hasard si la Thurgovie est devenue le premier canton producteur de fraises de Suisse!»

Un riche catalogue de plants
Dans les années septante, Hansjörg Häberli construit des laboratoires et se lance dans la recherche. Objectif, produire ses propres variétés adaptées aux affres du climat suisse. En entrepreneur avisé, il va jusqu’à mettre en place un système de licences sur les variétés qui voient le jour à Egnach, s’assurant ainsi des royalties pour le restant de ses jours. Toute une série de plants sont créés, de la fraise des prés (croisement entre la fraise des bois et la fraise à gros fruit) à la fameuse thuriga, connue pour ses énormes fruits, de la très précoce thulana à la très tardive simida, également appelée la fraise de juillet.
Häberli poursuit son œuvre pionnière et fait découvrir aux professionnels comme aux particuliers de nouvelles essences, comme la baie de mai ou Maibeere, un myrtiller sauvage venu de Russie, qui supporte des températures très négatives, fleurit dès le mois de mars et n’a nul besoin de tourbe pour croître. D’année en année, son catalogue s’étoffe, l’offre s’élargit à une multitude d’arbustes, de l’argousier au goji, du kiwi-baie au framboisier arctique, en passant par les traditionnels mûriers, cassissiers, raisinets. «Depuis les débuts de l’entreprise, la stratégie n’a pas changé, assure Yvonne Hallenbarter, responsable marketing d’Häberli: nous ne commercialisons que des plants robustes et résistants tant aux maladies qu’aux rudesses du temps.»
À quelques encablures du lac de Constance, le climat est doux, les précipitations abondantes, environ 1000 mm par an, mais les sols sont particulièrement lourds. «En soi, ce ne sont pas des conditions idéales pour la culture de petits fruits. Mais ça nous a poussés à acquérir un certain savoir-faire sur les méthodes de culture et de sélection», poursuit Gertrud Schoop.

Toutes les variétés sont testées
Après s’être fait racheter par le géant – familial – de la fleur en Suisse, la firme saint-galloise Rutishauser, Häberli a recentré ses activités sur la vente de plants aux particuliers. En Suisse romande, on trouve désormais la marque dans une trentaine de garden-centres. L’entreprise ne crée désormais plus de nouvelles variétés, préférant se concentrer sur l’activité de commercialisation, en Suisse et à l’export.
Même si elle n’est plus obtentrice, elle met cependant un point d’honneur à tester toutes les variétés de son catalogue en conditions réelles dans ses jardins d’expérimentation situés sur les huit hectares du site d’Egnach. C’est à Gertrud Schoop que revient la responsabilité d’aller régulièrement dénicher des perles rares en Scandinavie, en Écosse ou en Amérique du Nord. Après les tests sanitaires de rigueur, elle les fait ensuite fait passer au banc d’essai (voir l’encadré ci-contre) dans son jardin d’expérimentation. Plusieurs centaines d’arbustes et d’arbres fruitiers, de l’amandier au kaki, de l’asiminier – ou bananier indien – aux pêchers sont ainsi évaluées pendant plusieurs saisons avant de figurer dans le catalogue.

La fraise reste l’atout principal
Si l’entreprise tente désormais d’asseoir sa réputation dans le secteur des arbres fruitiers, elle n’en oublie pas moins d’où elle tire sa réussite: plus que jamais, la fraise est au cœur des préoccupations de la maison thurgovienne. «L’intérêt pour la culture de fraises est grandissant chez les particuliers», reconnaît Yvonne Hallenbarter, qui confie «surfer sur la la vague du retour au naturel et du fait-maison». Plus de vingt-cinq sortes de fraisiers sont ainsi disponibles dans leur catalogue, dont quelques raretés, comme ces fraisiers à fleurs multicolores, rubis, rose foncé, tout aussi fructifères que des variétés standards. En plus des fraisiers décoratifs, des grimpants, des retombants, Häberli propose désormais des «fraisiers express»: «Nous sentons que les consommateurs sont toujours plus friands d’obtenir des fruits rapidement après l’achat du plant, explique Yvonne Hallenbarter. Nous avons donc développé une gamme que nous cultivons un an en avance, de façon que les fraisiers présentent de nombreux bourgeons au moment de l’achat.» Impossible n’est pas thurgovien!

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

En chiffres

L’entreprise Häberli, c’est:
120 points de vente en Suisse, dont 30 en Suisse romande.
1,5 million de fraisiers.
300 000 framboisiers.
320 000 autres petits fruitiers.
60 000 arbres fruitiers.
40% du chiffre d’affaires réalisé à l’export, en Allemagne, en Autriche et en Slovénie, où Häberli possède également ses productions.
+ D’infos www.haeberli-beeren.ch

Bon à savoir

La vague de froid qui a touché de plein fouet la Suisse en avril dernier a fait des ravages dans les cultures fruitières de Suisse orientale, et réduit considérablement le potentiel de récolte chez les producteurs. Chez Häberli, à Neukirch-Egnach, la quasi-totalité des plants destinés à être commercialisés sont par chance disposés sous d’immenses serres, ainsi protégés du gel et de la neige. Par contre, le jardin d’expérimentation a payé un lourd tribut à ces gelées tardives. Pas de quoi décourager Gertrud Schoop. Fataliste, elle admet que le gel fait partie de la phase de test. «C’est une épreuve pour les plantes que nous testons à Egnach, comme n’importe quelle maladie. Nous cherchons à connaître les capacités de résistance des jeunes arbres et arbustes qu’on s’apprête à commercialiser.» Peu d’engrais, une taille minimaliste, une protection phytosanitaire réduite au minimum, un léger éclaircissage manuel: tel est le régime imposé au jardin d’essai. «On pousse la plante dans ses retranchements pour tester ses limites et mieux la positionner dans notre catalogue.»