Reportage
En Singine, ils cultivent la biodiversité et la proximité

Ann-Kathrin et Ivo Fisler exploitent un petit domaine maraîchèr bio à Rechthalten, à quelques encablures de Fribourg. Un modèle économique basé sur la vente directe et attaché à l’échelle familiale.

En Singine, ils cultivent la biodiversité et la proximité

Une caisse en plastique verte pleine de topinambours dans les mains, Ivo Fisler traverse la cour de la ferme et pénètre dans le petit magasin en libre-service aménagé devant le bâtiment. «En ce moment, la demande est très forte, dit-il en refermant derrière lui. Il nous reste quelques légumes de garde, mais on se réjouit que les premières récoltes débutent pour remplir notre étal!» Casquette vissée sur la tête, moustache au vent et chemise à carreaux, le jeune maraîcher flatte de la main un grand chien noir et blanc puis pousse la porte d’une bâtisse qui semble avoir toujours été posée sur cette colline verdoyante.

Maraîchers par conviction
C’est en octobre 2017 qu’Ann-Kathrin et Ivo Fisler s’installent sur le domaine de Rotmoos, baptisé du nom du haut-marais  que l’on aperçoit en contrebas, à demi masqué par un rideau d’arbres. Un coup de chance: «Nous ne sommes pas issus de familles d’agriculteurs, explique Ivo Fisler. Cela n’a pas été facile de trouver une exploitation à reprendre.» Elle vient d’Allemagne, lui a grandi à Saint–Martin(FR), ils se rencontrent sur les bancs de l’université. Leur bachelor en poche, ils se lancent tous deux, à un an d’intervalle, dans une seconde formation: un apprentissage de maraîcher sur une exploitation biodynamique    soleuroise.

«Notre projet, c’était vraiment de partir de zéro, raconte Ivo Fisler. De créer notre exploitation comme nous l’entendions, en accord avec nos valeurs.» Des valeurs qui font la part belle à la biodiversité, à la préservation des sols et au bien-être des animaux. «Nous voulions proposer des légumes bios et locaux dans un endroit où cette offre était encore peu développée, pour fournir une option cohérente aux habitants de la région.» Après des mois de recherches d’un côté et de l’autre de la Sarine, le couple tombe sur la ferme de Rotmoos, dont les exploitants partent en retraite.

À taille humaine
Un peu plus de deux ans plus tard, le couple est devenu une famille avec l’arrivée du petit Anton, les pâturages ont laissé la place à de grands rectangles cultivés, les brebis ont fait leur apparition autour de la ferme. «Démarrer à partir de rien, c’est à la fois grisant et un peu inquiétant, sourit Ivo Fisler. Nous sommes à 860 mètres d’altitude, donc il a fallu faire des ajustements dans l’assortiment de nos variétés. Se battre contre les campagnols, aussi, qui nous ont causé quelques cheveux blancs durant la première saison. Ils se sont régalés de nos plantons de courges, qui disparaissaient les uns après les autres!» Le choix de la vente directe, une évidence pour le couple de maraîchers, implique de cultiver une grande diversité de légumes. Le tout en bio: l’exploitation vient de terminer les deux ans de la procédure de reconversion. «Chaque vendredi, nous livrons 80 paniers dans la région fribourgeoise, explique Ann-Kathrin Fisler. Nous n’avons pas l’intention d’augmenter significativement ce nombre, parce que nous tenons à conserver une exploitation à taille humaine.» Autant dire que pour les deux agriculteurs – qui s’adjoignent les services d’un stagiaire à la haute saison –, le travail ne manque pas, entre les semis, le désherbage, les récoltes, l’entretien des pâtures, les soins aux moutons, la préparation des paniers et la gestion du magasin.
Soulevant l’un des longs filets blancs qui recouvrent une parcelle, Ivo Fisler examine les choux-fleurs en pleine croissance. «Avec le mois de sécheresse que nous avons eu, il a fallu arroser cette zone à la main pour éviter de prendre trop de retard.» Dans la serre, salades, colraves et oignons céderont bientôt la place aux tomates et aux concombres. Les semis et les plantations vont occuper Ann-Kathrin et Ivo jusqu’au mois de juin. Puis il faudra monter les brebis à l’alpage, commencer les récoltes, poursuivre les démarches pour construire la chambre froide qui facilitera la conservation des légumes de garde, entretenir les contacts avec une clientèle toujours plus demandeuse de produits locaux. Et profiter de cette vie rêvée pour la petite famille, qui s’agrandira bientôt.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

Des brebis d’Engadine en Singine

Une toison brun cuivré, de longues oreilles tombantes, un nez busqué, mais pas de cornes: pas de doute, ce sont des moutons d’Engadine. C’est parce qu’il avait déjà eu l’occasion de travailler avec cette race rustique sur l’exploitation d’un ami qu’Ivo Fisler a choisi d’en élever à son tour. «Nous avions besoin de bétail pour assurer un apport en fumure et brouter l’herbe… Et nous aimons les moutons!» La moitié environ des 25 brebis de Rotmoos sont issues de cette race originaire des Alpes orientales suisses, à la prolificité légendaire: il n’est pas rare qu’une brebis donne naissance à trois petits par an. Si le nombre réduit de bêtes ne permet pas de valoriser leur laine, les Fisler commercialisent leur viande d’agneau une fois par année. Et pour changer des collines de la Singine, le petit troupeau passe tout l’été sur les hauteurs de Zinal. Dépaysement garanti!

En chiffres

Biohof Rotmoos, c’est…

  • 6 hectares, dont…
  • 4 hectares de prairies
  • 125 ares de surface de promotion de la biodiversité
  • 75 ares de légumes en plein champ
  • 4 ares sous serre non chauffée
  • 25 brebis mères
  • 80 paniers de légumes hebdomadaires
  • 1 marché en libre-service

+ D’infos www.biohof-rotmoos.ch