Reportage
En Emmental, où mûrit le champion du monde des fromages

Pour la 2e fois en douze ans, un gruyère AOP fabriqué à la Fromagerie Fritzenhaus de Wasen im Emmental (BE) s’est arrogé le titre de meilleur fromage toutes catégories confondues à Madison (USA).

En Emmental, où mûrit le champion du monde des fromages

Début mars, le jury de professionnels du World Championship Cheese Contest – le plus grand concours mondial de fromages, une compétition qui se tient tous les deux ans dans le Wisconsin aux États-Unis – a rendu son verdict: le champion 2020 est le gruyère AOP de la Fromagerie Fritzenhaus qu’exploite Michael Spycher depuis 2001 à Wasen, sur la commune de Sumiswald (BE). Un petit hameau aux fermes imposantes blotties sur de grasses prairies entourées de forêts et de collines escarpées, en plein Emmental.

Trois titres depuis 2008
Seule une meule de fromage âgé d’un an, sélectionnée par ses soins parmi celles qui mûrissent dans sa cave, a fait le trajet outre-Atlantique. Le fromager, lui, est resté sur les bords du Hornbach. «Ce sont mes fournisseurs et mes collègues qui m’ont annoncé la nouvelle», raconte-t-il aujourd’hui tandis que son équipe termine la fabrication quotidienne de pâte dure AOP, sept moules fraîchement garnis, dont le petit-lait s’écoule doucement sur le carrelage impeccable. «Moi, j’étais au boulot, comme je le suis six jours sur sept.»

Il y a douze ans, le Bernois s’était déjà frotté au championnat du monde et en avait ramené un premier titre de champion du monde des fromages; lors de la dernière édition, en 2018, il est arrivé troisième de la catégorie «pâte dure». Ce triplé d’une fromagerie «satellite» de l’AOP gruyère, isolée au centre de la zone de production de l’Emmentaler AOP, a de quoi interpeller. Pour Michael Spycher, c’est bien sûr le fruit d’un travail extrêmement méticuleux, tant à la fabrication qu’à l’affinage. Mais, il le rappelle, ce succès répété tient aussi beaucoup à ses fournisseurs de lait ainsi qu’aux caractéristiques de la région. «On a beaucoup de surfaces naturelles et très peu de prairies ensemencées, explique-t-il. La qualité du lait en profite, forcément! Et Fritzenhaus est réputé depuis très longtemps pour être l’endroit idéal où affiner du fromage.» La présence d’une fromagerie et de sa cave sur ce site ombrageux, frais et humide est attestée depuis 1847. «C’est sûrement la meilleure chose à y faire», s’amuse le quadragénaire avant de franchir le seuil de la cave climatisée attenante.

Affinages prolongés
Sur les rayons, des meules prennent lentement leurs chaudes teintes cuivrées; les énormes roues d’Emmentaler y côtoient celles celles de gruyère ou de Hornbacher, encore plus petites – une spécialité locale à pâte dure, elle aussi. «Nous aimerions construire une nouvelle cave plus spacieuse, mais le projet est actuellement en stand-by faute de financement», précise Michael. Dans un local plus petit, on fait dans le hors d’âge; les croûtes foncées et ravinées abritent ici des fromages affinés durant deux ans, voire plus. «Ils sont de plus en plus demandés. Ce qui distingue notre gruyère AOP extravieux des autres, c’est qu’il reste suave malgré sa concentration en arômes», relève le fromager avec une pointe de fierté.

Évidemment, les mesures de lutte contre l’épidémie de Covid-19, mises en place à peine une semaine après sa victoire aux États-Unis, ne lui ont guère permis de fêter cette dernière avec son épouse Monika, qui gère la petite boutique richement approvisionnée nichée entre le laboratoire et la maison familiale. «Et les échos dans la presse ont été plus réduits qu’en 2008, regrette-t-il. Mais ce titre nous fait tout de même une excellente publicité, notamment au travers des réseaux sociaux. Je reçois des commandes de gourmets qui ont entendu parler du fromage «champion du monde» et souhaitent le déguster, à Zurich, à Genève, en Allemagne…»

Le coronavirus n’a d’ailleurs pas eu que des effets négatifs sur les affaires, le fromager le souligne au passage. «Évidemment, les ventes à nos détaillants ont baissé et les exportations ont subi un coup d’arrêt, admet-il. On a dû adapter notre production: moins de fromage, plus de yogourts, et la vente à l’emporter est devenue relativement compliquée dans notre petite boutique où il est désormais impossible d’accueillir plus d’un client à la fois. Mais notre situation excentrée a aussi montré des avantages; beaucoup de personnes appartenant à des groupes à risques ont choisi de venir se fournir chez nous précisément parce que nous sommes isolés.» Deux fois par an, Michael Spycher fait la route de Wasen à Flamatt (FR) pour y suivre les formations continues mises sur pied par l’Interprofession du gruyère AOP à l’intention des producteurs alémaniques; il y retrouve ses collègues des deux autres fromageries satellites de l’Emmental. «Le gruyère, c’est notre raison de vivre», conclut-il en souriant.

 

+ D’infos www.kaeserei-fritzenhaus.ch

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Blaise Guignard

Satellites alémaniques

Avec environ la moitié des quelque 30000 tonnes de Gruyère AOP produites chaque année en Suisse, le canton de Fribourg est bien le fief du roi des fromages à pâtes dures, suivi par Vaud (9000 t), puis Neuchâtel (3000 t); en queue de peloton, on trouve la zone de production englobant le Jura, le Jura bernois et six communes du canton de Berne. Mais pour des raisons essentiellement historiques, le cahier des charges de l’appellation autorise également la fabrication du Gruyère authentique dans 17 fromageries dites «satellites» en Suisse alémanique, de Berne et Soleure à Saint-Gall en passant par Lucerne, Schwytz, Zoug ou l’Argovie – avec un rayon de collecte spécifié pour chacune d’elles. Fritzenhaus est l’une des huit exploitations satellites du canton de Berne, toutes largement isolées les unes des autres, parfois en pleine zone de production d’une autre spécialité protégée par l’appellation d’origine contrôlée. La quantité de gruyère AOP fabriquée dans ces 8 satellites bernois atteint un peu moins de 3,5% du total, soit 1000 tonnes environ.

En chiffres

  • 4 personnes à plein temps et 1 employé saisonnier à 80% en hiver;
  • 2800 kg de lait transformé chaque jour en Gruyère AOP;
  • 11 fournisseurs pour le lait de Gruyère AOP + deux pour les autres spécialités;
  • 3 récompenses en 3 participations aux Championnats du monde des fromages aux États-Unis;
  • 10′000 places dans la cave d’affinage.