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Elle cultive des jeunes pousses bios dans sa ferme verticale

Depuis deux mois, Jessica Weymann sème des graines de tournesol, de basilic et de rucola sous éclairage ­artificiel. Peu produites en Romandie, ces micropousses vitaminées sont soumises à des règles d’hygiène strictes.

Elle cultive des jeunes pousses bios dans sa ferme verticale

Dans le hangar de Jessica Weymann, la grisaille automnale n’est plus qu’un lointain souvenir. Plafond chauffant, humidificateur d’air et éclairage led: depuis deux mois, une véritable ferme d’intérieur a vu le jour dans la zone industrielle de Semsales (FR). «Ici, la température oscille entre 18 et 24 degrés et le taux d’humidité entre 50 et 70%. C’est la belle saison toute l’année!» s’exclame la quinquagénaire, qui réserve son local à la production de micropousses, des plantes récoltées au bout de dix à vingt jours, sur lesquelles apparaissent les premières feuilles.
Inspirée par l’agriculture verticale pratiquée dans certaines villes comme Dubaï ou New York pour gagner de la place, cette Guatémaltèque produit une dizaine de variétés de jeunes pousses, telles que le basilic, la rucola, le tournesol, la moutarde rouge ou le petit pois. Goûtues et esthétiques, celles-ci sont beaucoup plus riches en nutriments, minéraux et vitamines qu’à l’âge adulte, particulièrement le brocoli. «Aux États-Unis, on en met dans la soupe, la salade ou les sandwichs. C’est un aliment frais et sain. Moi, j’en mange tous les jours!» signale cette mère de quatre ­enfants.

Écologique et économique
Pour mettre au point sa culture hors sol, cette artiste peintre fait venir des graines bios d’Allemagne. Une fois livrées, elle les sème sur des tapis de fibres de coco biodégradables, importés d’Inde. «À terme, j’espère pouvoir trouver une alternative en Suisse», précise-t-elle. Munie d’un pulvérisateur, la productrice humidifie deux fois par jour ses jeunes protégées. Parfois, elle utilise de l’eau oxygénée pour empêcher la présence de salmonelle, une bactérie pouvant causer diverses infections. «À Semsales, nous avons de la chance, car l’eau de source a un pH idéal», explique-t-elle.
Ces tapis de verdure sont ensuite mis à l’abri de la lumière, pour permettre aux graines de germer. Ce n’est que quatre jours plus tard qu’elles sont placées sous des éclairages led de 6 h à 22 h. Au bout de quelques jours, les pousses peuvent atteindre entre 5 et 7 cm de haut. «C’est rapide, sans pesticide et peu gourmand en énergie!» se félicite Jessica Weymann, qui ajoute que ce type d’installation consomme 90% de moins d’eau qu’une culture extérieure. Une fois retirées de la table de germination et conservées au frais, croquantes, ces délices peuvent être dégustées durant une semaine.

Un aliment sensible
Outre-Sarine, plusieurs exploitations, telles qu’Egli’s AG, à Riedbach (BE), et les start-up Fresh Food Family et Umami, dans le canton de Zurich, se sont lancées sur ce marché. En Suisse romande, seuls quelques producteurs existent, dont René Jungo, à Perly (GE), qui produit des haricots mungo que l’on retrouve en grande surface depuis plus de cinquante ans. Le maraîcher Urs Gfeller, à Sédeilles (VD), a quant à lui arrêté sa production de quatorze variétés l’été dernier, qu’il écoulait depuis huit ans en vente directe et sur les marchés. En cause: des normes sanitaires strictes et coûteuses introduites en 2011, année marquée par la fulgurante épidémie causée par la bactérie Escherichia coli (voir l’encadré ci-dessus).
Rare et hautement toxique, cette souche avait été retrouvée en Allemagne dans des graines germées, soit des très jeunes pousses qui n’avaient pas encore développé leurs premières feuilles. En quelques semaines, des milliers de consommateurs avaient été contaminés en Europe, aux États-Unis et au Canada, ce qui avait eu des répercussions sur le marché suisse. «Dès lors, mes ventes ont chuté de moitié et n’ont plus jamais retrouvé le même niveau. Cette publicité négative a rendu les gens réticents, témoigne l’agriculteur vaudois. À cause des mesures d’hygiène drastiques imposées suite à ce drame, plusieurs petites exploitations ont dû abandonner. C’est dommage, car cela tue la diversité de cet aliment prometteur.»
Consciente de la fragilité de ce secteur, Jessica Weymann a confiance en sa petite entreprise. Pour se prémunir de tout risque sanitaire, elle a entamé des démarches de certification auprès d’un organe de contrôle suisse. Elle précise également que «les fibres de coco sont plus hygiéniques que la terre, qui peut contenir différents parasites, insectes ou champignons». Dès le mois de décembre, la Fribourgeoise d’adoption espère pouvoir livrer différents restaurants de la région. Pour garantir la fraîcheur de ses micropousses, celles-ci seront vendues à même le tapis, au prix de 6 francs la parcelle de quatorze centimètres sur neuf. «Pour l’instant, je vise les établissements gastronomiques, qui sont davantage intéressés par ce type d’aliment. C’est encore un produit de niche en Suisse, observe-t-elle. Dans le futur, j’espère que l’agriculture d’intérieur se développera. C’est une alternative intéressante pour consommer local et diversifié tout au long de l’année.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Mathieu Rod

Bactérie tueuse

En juin 2011, ce que certains appellent la première crise de l’agriculture biologique a secoué l’Europe, causant la mort de plus de 40 personnes en Allemagne. Si les concombres espagnols sont d’abord accusés d’être les porteurs de la bactérie E. coli, des graines germées sont finalement mises en cause, en raison d’un «manque d’hygiène». Bien que la Suisse n’ait pas été touchée par l’épidémie, les ventes ont baissé, parfois de moitié, chez des producteurs et en grande surface. Aujourd’hui, elles se sont stabilisées, notamment chez Migros et Coop, qui vendent tous deux des pousses d’oignons, de radis et de haricots mungo.

Un potager d’intérieur à la maison

Consommées depuis plus de deux mille ans en Asie, les micropousses sont de plus en plus produites sous nos latitudes. Si on en trouve dans le commerce, de nombreux amateurs préfèrent les cultiver à domicile. Pour Sylvie Ramel, qui donne des cours de cuisine végétale à Chexbres (VD), cela favorise la consommation zéro déchet et limite les transports de nourriture. «Ces aliments sont simples et rapides à produire en intérieur. On peut les faire pousser dans du terreau, ce qui développe leurs qualités nutritives, ou dans une miniserre», explique-t-elle. Pour éviter tout développement de moisissures et de bactéries, elle conseille d’espacer les graines et de vaporiser plutôt que d’arroser. «Si les règles d’hygiène de base sont respectées, il n’y a aucun risque de contamination», assure-t-elle. Non loin de là, à l’espace UniverCité, à Renens (VD), la start-up Caulys développe des petites serres d’intérieur intelligentes destinées à la culture, entre autres, de micropousses. Actuellement, plusieurs prototypes équipés de led ont été installées sur le campus de l’ÉPFL. Dès l’année prochaine, les premiers modèles seront vendus à des restaurants et, à terme, au grand public. «Idéalement, ces serres pourraient être utilisées en complément à l’agriculture traditionnelle», avance Grégoire Gentile, étudiant à l’ÉPFL et cofondateur de la start-up.
+ D’infos www.cuisinevegetale.ch, www.caulys.com