Rencontre
Le photographe Vincent Munier, du Tibet aux Vosges

Son film sur la panthère des neiges sort ces jours dans les cinémas de Suisse. Le photographe animalier français cueille depuis 30 ans des instants de poésie en s’immergeant en pleine nature.

Le photographe Vincent Munier, du Tibet aux Vosges

Deux sonneries de téléphone et il décroche. Voix calme et ton chaleureux. «Où je me trouve? Dans ma maison, une petite ferme perdue en pleine forêt des Vosges, pas loin du coin où j’ai grandi.» Coup de chance. Car Vincent Munier est presque aussi insaisissable que la panthère des neiges à laquelle il consacre son dernier film.

Lorsqu’il arpente les steppes ou les forêts, il sait mieux que personne se soustraire au monde. Et quand il est de passage en France ou en Suisse, en général pour promouvoir un nouveau projet dans une galerie, une librairie ou un cinéma, il faut slalomer entre les attachés de presse et les assistants pour atteindre le personnage. Non pas que cela lui plaise, au contraire: «On est prompt à propulser quelqu’un au rang de star, de manière plus ou moins légitime, répond-il quand on évoque cet aspect. Mais j’en souffre: la qualité première d’un photographe animalier, c’est la discrétion!»

 

L’approche d’un peintre

Il faut dire que se fondre dans son environnement est une seconde nature pour celui qui, tout jeune, délaissait volontiers l’école pour courir les bois. Dans la famille, on est plutôt du genre lit de fougères que canapé en velours, et c’est la faune sauvage qui dicte le planning annuel: brame du cerf, rut du renard et chant du grand tétras sont autant de rendez-vous que Vincent Munier, son frère et sa sœur apprennent à apprécier. «Mon père est un naturaliste passionné, raconte le photographe. Régulièrement, il m’installait dans un affût et se rendait, lui, dans un autre coin avant de revenir me chercher quelques heures plus tard. Je n’oublierai jamais l’instant où trois chevreuils se sont approchés tandis que, tremblant, je faisais ma première photo.» C’était il y a un peu plus de 30 ans.

Aujourd’hui, Vincent Munier s’est forgé l’une des renommées les plus solides du milieu. De la grue cendrée du Japon au loup blanc de l’Arctique en passant par l’ours ou le bœuf musqué, le Français rencontre les animaux les plus fascinants de la planète. «Ma vocation de la photographie est liée à une volonté de partager ce que je vis, tout seul, en pleine nature. Conscient d’avoir une situation privilégiée, j’y vois une manière d’emmener les gens à mes côtés.»

Ses images ne sont pas seulement des trophées conquis à force de patience et de connaissances naturalistes, mais elles se distinguent par leur esthétique qui doit autant aux estampes japonaises ou à la photographie nordique qu’aux gravures de l’une des idoles de Vincent Munier, le Genevois Robert Hainard. Les animaux y partagent la vedette avec le paysage et les éléments, jouant à cache-cache avec la brume ou la neige. «On m’a parfois surnommé “le photographe des tempêtes”, concède-t-il, un sourire dans la voix. Je râle un peu, mais au fond, c’est vrai: j’aime ces instants où la nature nous ramène à notre vulnérabilité. Et puis j’aime la neige!»

Il a beau être auréolé d’une notoriété mondiale, le Français peut toujours compter sur les animaux sauvages pour le remettre à sa place. Et dans le domaine, difficile de trouver meilleure école d’humilité que la poursuite de la fantomatique panthère des neiges. Il faudra à Vincent Munier des années de recherches dans les déserts de glace et de roche du Tibet pour parvenir à apercevoir le félin. Il emmène l’écrivain Sylvain Tesson dans sa quête, qui donnera naissance à deux livres et à un film réalisé par Marie Amiguet. «On est loin de la grosse production de cinéma, précise-t-il. Nous n’étions jamais plus de quatre sur le terrain, Sylvain et moi compris, pour être aussi peu intrusifs que possible. J’étais même seul pour réaliser une bonne partie des images de la faune.»

 

Retour au bercail

Demandez à Vincent Munier quel est son prochain défi, après avoir aperçu un félin qui incarne le summum de l’insaisissable, et il répond sans même une hésitation: «Je n’ai pas de liste sur laquelle je coche les espèces. Comme toutes les autres, la panthère est un prétexte pour m’échapper. Un très beau prétexte certes, qui habite encore mes rêves. Mais j’ai autant de plaisir à voir un troglodyte dans ma forêt des Vosges.»

Justement, après avoir sillonné l’Arctique et l’Extrême-Orient pendant deux décennies, le quadragénaire a ressenti le besoin de se rapprocher de son massif natal, et de sa famille. Depuis son retour du Tibet, il y a trois ans, il n’a pas mis le pied dans un avion, «parce qu’il faut être cohérent». Il passe le plus clair de son temps à arpenter les bois des Vosges, son appareil photo en bandoulière. Comme un retour aux sources dans de vieilles forêts qui, malgré leur apparence immuable, changent au fil des ans. Le plus dur, pour Vincent Munier, c’est d’y voir fondre les effectifs du grand tétras, espèce emblématique pour laquelle son père a lutté toute sa vie. En vain. «On est en train de vivre la fin de cette espèce dans le massif. Les places de chant sont désertées. Dans certaines clairières, il arrive de voir un seul coq, ou une ou deux femelles. Et ça ne touche personne. Ça me rend extrêmement triste.» Quand certains se rêvent en justiciers de la biodiversité, Vincent Munier, lui, mène une croisade de la délicatesse. «Je ne suis pas du genre à aller au combat, à montrer les dégâts de l’homme, souffle-t-il. J’ai besoin de poésie. Ce qui me permet de garder espoir, c’est de voir ce qui reste de beau autour de moi.»

+d’infos www.vincentmunier.com

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Laurent Joffrion