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Du biogaz dans le réservoir

Reto Grossenbacher est un adepte du biogaz agricole. À tel point que lui et sa famille ne se déplacent plus qu’en véhicule roulant au gaz naturel... produit sur son exploitation! Une première en Suisse.

Du biogaz dans le réservoir

Et si les énergies renouvelables sortaient la paysannerie suisse de la crise? Reto Grossenbacher en est convaincu. À la tête du domaine agricole Grüngut situé à Reidermoos (LU), cet agriculteur de 56 ans est le premier en Suisse à utiliser pour son véhicule privé du biogaz agricole issu de son méthaniseur. Le Lucernois est un passionné de longue date des énergies renouvelables. Il y a quarante ans, il construisait de ses propres mains son premier digesteur sur l’exploitation thurgovienne où il était salarié. «On était alors une poignée en Suisse à croire au biogaz agricole. Mais, à l’époque, on ne disposait quasiment pas de littérature technique. Il fallait se débrouiller tout seul.»
Installé avec son épouse dans le Wiggertal, entre Olten et Sursee, Reto Grossenbacher se lance dans la construction d’un digesteur pour valoriser les déchets de ferme. La production de biométhane devient petit à petit une activité centrale de l’exploitation, puisque la chaleur et l’électricité fournissent désormais la moitié des revenus de l’exploitation, le reste provenant de la production laitière et céréalière.
Pour alimenter son méthaniseur, Reto Grossenbacher a signé une convention avec la commune de Reiden. «Je récupère tous les déchets verts communaux, ce qui représente environ 800 tonnes par année.» Une dizaine d’exploitants agricoles de la région lui livrent également leur lisier et fumier de vaches, chevaux, poules et porcs, soit 3500 tonnes de matière par an.

Fermer le cycle de production
D’une puissance de 75 kW, le moteur de cogénération de son installation transforme les 500 m3 de biogaz produits par jour en chaleur et en électricité. «Nous en valorisons 25 à 30% sur l’exploitation», affirme l’agriculteur. Si la majeure partie de l’électricité est réinjectée dans le réseau, la chaleur sert à maintenir la température du digesteur, à chauffer l’écurie et la maison ainsi qu’à sécher des copeaux de bois, des céréales et du compost qui sera vendu à l’entreprise Ricoter. «La ferme est conçue pour qu’un minimum d’énergie, et notamment de chaleur, soit perdu. Mon but ultime, c’est de réussir à fermer le cycle et de consommer ce qu’on produit», souligne l’agriculteur lucernois.
Il y a quatre ans, Reto Grossenbacher décide de pousser sa démarche encore plus loin. Après s’être approché de la firme Apex, il investit dans une installation prototype qui épure, filtre et assèche le biogaz issu de son méthaniseur pour le transformer en un biométhane le plus pur possible. «Le gaz brut qui sort du digesteur est constitué pour moitié de CO2 et pour moitié de CH4. On ne pourrait pas l’injecter tel quel dans un moteur sans traitement.»

Autonomie de 400 kilomètres
Aujourd’hui, seule une fraction des 500 m3 de biogaz produits quotidiennement est déviée vers l’installation de traitement. «Cette dernière est capable de traiter 1,5 m3 de gaz brut à l’heure», précise Reto Grossenbacher. Le gaz épuré puis compressé est ensuite stocké dans un réservoir dans lequel les quatre véhicules de la maisonnée Grossenbacher viennent faire le plein. «Les réservoirs de nos voitures respectives peuvent contenir environ 30 m3 de gaz comprimé. De quoi parcourir environ 400 kilomètres avant que le moteur à essence ne prenne le relais!»
Si, en Suisse, une douzaine d’installations industrielles transforment aujourd’hui le biogaz en biométhane en grande quantité afin de l’injecter dans le réseau de gaz naturel, le Lucernois n’envisage cependant pas d’ouvrir une station-service en gaz naturel sur sa ferme, pourtant idéalement située aux carrefours des autoroutes Berne-Zurich et Bâle-Lucerne. «Il faudrait une personne à plein temps pour faire fonctionner la pompe et installer un coûteux système de décompte. Ça semble difficile pour l’instant», regrette le chef d’exploitation, qui confie que c’est plus par conviction que par intérêt économique qu’il s’est mis à rouler au gaz naturel. «Soyons clairs, il n’y a aucun avantage financier à cette opération, qui n’est pour l’instant pas rentable. Il faudrait 100 à 120 voitures pour commencer dégager un revenu.»

Redevenir énergiculteur
Et le Lucernois de regretter l’absence de volonté politique pour soutenir les énergies renouvelables. «La rétribution à prix coûtant du courant injecté dans le réseau reste malheureusement trop faible.» En attendant, Reto Grossenbacher continue à partager sa passion avec les dizaines de personnes qui le visitent à Reidenmoos chaque année. «Le paysan a toujours consommé sa propre énergie, souligne l’exploitant lucernois. Il nourrissait vaches et chevaux pour les utiliser comme force de traction, faisait du bois pour chauffer son corps de ferme. On doit aujourd’hui être capable de reproduire cette facette de notre métier.»

www.grossenbacher-gruengut.ch

 

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

En chiffres

  • 30 vaches laitières dont la production est vendue à Emmi et 20 génisses d’élevage.
  • 36 hectares de surface agricole utile en zones de collines.
  • 12 000 km parcourus par an par quatre véhicules au gaz naturel fourni par la ferme.
  • 10 à 15 m3 de déchets produisant 500 m3 de gaz par jour.
  • 1000 kWh d’électricité et 2000 kWh de chaleur produits par jour.

Bon à savoir

Gazon en été, feuilles mortes en automne, fumier de bovins, lisier de porc, compost ménager, etc.: telle est la composition de la biomasse qui fermente dans le méthaniseur de Reto Grossenbacher. Or il suffit de 20 kg de ces déchets pour fabriquer 2 m3 de biogaz brut. Une fois épuré et filtré, il reste 1 m3 de gaz, constitué à plus de 96% de méthane, un carburant capable de dégager une énergie de 10 kWh et donc de faire parcourir à une voiture de tourisme une distance de 20 kilomètres. L’épuration, qui s’effectue par une filtration à travers plusieurs membranes, est donc l’étape cruciale du processus, puisqu’elle consiste à éliminer du biogaz brut les substances indésirables et à augmenter sa teneur en méthane (par retrait du CO2 et d’autres composés gazeux) pour produire un gaz doté d’un pouvoir calorifique équivalent au gaz naturel importé.