Agriculture
Diminuer l’utilisation d’herbicide dans la betterave n’est plus une utopie

Une série de mesures viennent d’entrer en vigueur pour inciter les producteurs de betteraves sucrières à diminuer notamment les herbicides. Des producteurs vaudois ont déjà exploré quelques pistes.

Diminuer l’utilisation d’herbicide dans la betterave n’est plus une utopie

La betterave sucrière est dans le viseur de l’Office fédéral de l’agriculture. L’OFAG l’a en effet choisie comme culture pilote dans le cadre du programme de réduction des produits phytosanitaires. Dès ce printemps, quatre mesures entrent en vigueur, dont trois visant la réduction d’herbicides tant sur les rangs qu’entre eux (voir l’encadré ci-dessous). L’OFAG alloue désormais des contributions allant de 200 à 800 francs l’hectare afin d’inciter les producteurs à renoncer entièrement ou partiellement aux herbicides. Plusieurs essais concluants ont été menés l’an passé par des agriculteurs vaudois, permettant d’esquisser quelques pistes tout à fait reproductibles.

L’effet dynamisant du sarclage

À la suite de la reprise d’un contingent de betteraves, Éric Pavillard et ses deux enfants, Naïk et Gaël, agriculteurs à Orny (VD), ont décidé de lancer un essai sur 24 hectares, où les herbicides ont partiellement été remplacés par du sarclage. Ils ont acquis à cet effet un semoir monograine ainsi qu’une sarcleuse 12 rangs équipée de pattes d’oie. «Les parcelles sont réparties entre Senarclens, Orny et Chevilly, où les terres sont lourdes à légères.» Le semis a été effectué autour du 25 mars et deux sarclages les 15 et 30 mai. «Une des conditions à la réussite de l’opération, c’est d’être équipé avec du guidage satellitaire RTK, tant pour semer que pour sarcler. Désherber à 9 km/heure, c’est dès lors possible!»
L’effet des sarclages a été immédiat et positif, aux dires d’Éric Pavillard: «Le brassage réchauffe le sol et coupe la capillarité. L’eau est plus disponible, l’azote réactivé, bref, le sarclage devient un booster de croissance.» À la récolte, les rendements parlent d’eux-mêmes: avec 78 t/ha et une teneur en sucre de 21%, l’agriculteur est au-dessus de la moyenne vaudoise 2017. «Ça nous encourage à poursuivre, paiements directs ou pas. D’ailleurs, ces derniers sont beaucoup trop faible, eu égard à l’investissement!»

Pas de baisse de rendement

Le producteur d’Orny a réussi à diminuer de 80% ses apports d’herbicides résiduaires et de moitié les herbicides de contact, qui n’ont pas affecté la croissance de la betterave. Sa stratégie rejoint d’ailleurs celle de Pascal Rufer, qui exploite un domaine à Colombier-sur-Morges (VD) en parallèle de son activité de conseiller agricole chez Prométerre. «À la base, je souhaitais effectuer des essais comparatifs afin de mettre en évidence que l’accumulation de certains herbicides provoquait un «effet cocktail» pénalisant les rendements et les teneurs en sucre des betteraves», explique-t-il. Dans ses essais, Pascal Rufer a remplacé un traitement par un sarclage au moyen d’une bineuse à guidage caméra, équipée de dents qui travaillent également sur le rang. «On augmente le temps de travail, les coûts de mécanisation et la prise de risque, analyse-t-il. Mais il n’y a finalement pas de baisse de rendement ­notable. Au contraire, le sucre a augmenté.»
Pour les deux producteurs, plusieurs conditions doivent être réunies afin de mettre toutes les chances de son côté et d’éviter que la betterave ne souffre de la concurrence: opter pour des variétés avec un bon développement juvénile, être fin dans les réglages des machines et surtout hyperréactif dans les interventions. «Sarcler est efficace seulement dans un terrain parfaitement ressuyé.»

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): DR

En pratique

Une parcelle bien choisie

Première étape, à ne pas négliger, le choix de la parcelle: «Mieux vaut éviter les sols avec trop de cailloux, et opter si possible pour des sols légers, qui ressuient facilement et  sont suffisamment portants», conseille Basile Cornamusaz  du Centre betteravier suisse. «Il faut clairement éviter les pentes et les dévers, où la sarcleuse pourrait faire des dégâts», poursuit Pascal Rufer. «Je choisis les champs les  plus propres, avec des taux de matière organique en superficie importants», conclut Éric Pavillard.

Du temps à disposition

Changer ses pratiques en profondeur réclame un grand investissement en temps:
«La surveillance est astreignante», prévient Éric Pavillard, qui recommande un suivi poussé, tous les deux à trois jours. «L’amarante doit par exemple être détruite au stade dicotylédone, sinon, c’est fichu.» Le désherbage mécanique demande par ailleurs énormément de réactivité. «Il faut être fin dans ses interventions: un sarclage efficace doit être suivi par trois jours de beau temps, afin que les racines des adventices sèchent.»

Adapter le matériel

Sarcleuse à pattes d’oie, herse étrille, bineuse à doigts, etc.: il existe aujourd’hui une multitude d’outils de désherbage mécanique sur le marché. Le choix dépend des sols, de sa capacité d’investissement, de la possibilité d’investir à plusieurs et bien évidemment de ce que l’on veut faire: travailler l’interrang en profondeur, gratter le rang en superficie ou les deux? «Tout investissement doit être réfléchi à long terme, insiste Pascal Rufer. Dans quelles autres cultures pourrais-je encore utiliser ce matériel?»

Un sol propre à soigner

Pour Éric Pavillard, renoncer aux désherbants chimiques nécessite d’avoir des parcelles propres au préalable. «Dans mes rotations, les betteraves suivent en général des blés», explique ce dernier, qui pratique le semis simplifié depuis une vingtaine d’années. Sitôt les moissons terminées, l’agriculteur implante un couvert de trèfle et de phacélie: «Afin de maximiser l’effet des racines et de la masse végétale. Je le détruis ensuite avec une bêcheuse qui le coupe en effectuant un travail superficiel du sol. Un passage de herse rotative suffira avant de semer.»

Les mesures

Voici les nouvelles contributions concernant la betterave, valables de 2018 à 2021:

  • M1 Désherbage mécanique entre les lignes du stade quatre feuilles à la récolte – 200 fr./ha.
  • M2 Désherbage mécanique entre les lignes dès le semis. Traitement en bande sur  le rang (traitements
    de surface interdits) – 400 fr-/ha.
  • M3 Non-recours absolu aux herbicides – 800 fr./ha.
  • M4 Non-recours aux fongicides et aux insecticides – 400 fr./ha.
    + d’infos www.agridea.ch
    www.svz-fsb.ch