Tradition
Digne des rois, ce gâteau doré fait le bonheur des gourmands

Le boulanger-pâtissier genevois François Wolfisberg nous dévoile les secrets de la recette phare de l’Épiphanie, dont la fabrication débute déjà fin décembre dans sa boulangerie de Carouge.

Digne des rois, ce gâteau doré fait le bonheur des gourmands

En certains lieux, le tournant de l’année n’est pas vraiment synonyme de trêve. Fin décembre, ça ne chôme pas dans le labo de François Wolfisberg, artisan boulanger, pâtissier, confiseur et chocolatier à Carouge (GE). «On commence à nous demander le 20 décembre quand nous ferons nos premiers gâteaux des Rois; en général, on démarre la fabrication juste après Noël, et on en vend jusqu’à fin janvier.» Mais au fait, couronne ou galette? C’est que deux traditions se télescopent à la veille de l’Épiphanie, et deux spécialités pâtissières radicalement différentes. «Les enfants préfèrent les couronnes, surtout quand on ajoute plein de sucre sur le dessus.» Si son papa proposait déjà des couronnes à base de pâte briochée – ou plutôt une variante de la cuchaule, sans safran –, c’est François Wolfisberg qui a commencé à confectionner des galettes, dès les années nonante. Un brin plus complexes, nécessitant plusieurs étapes et autant de temps de repos, à commencer par le feuilletage, aérien et néanmoins formidablement beurré, comme il se doit. «Ces dernières années, on vend en principe une galette pour deux couronnes; il faut dire que le travail est plus important et le prix logiquement plus élevé.»

Feuilletage et frangipane
Tout commence dès lors par la confection du feuilletage: «Une vraie pâte feuilletée, c’est plus de 50% de beurre introduit dans la masse, avant de plier, replier, glisser au laminoir à plusieurs reprises; on passe et on repasse, et à chaque tour succède un temps de repos.» Du coup, le feuilletage utilisé pour notre galette du jour a été préparé la veille. On va l’abaisser à 1,5 millimètre d’épaisseur, puis y découper deux disques à l’emporte-pièce. Les deux abaisses vont à nouveau reposer au frais, après quoi on pourra les garnir et les assembler. Là-dessus, le pourtour du premier disque est badigeonné au jaune d’œuf à l’aide d’un pinceau.
Vient ensuite la farce: «Il y a autant de recettes de frangipane que d’artisans. Ma recette est un mélange de crème d’amandes et de crème pâtissière: moins riche que la crème d’amandes seule, elle se dessèche moins.» On va compter 250 grammes de cette masse épaisse pour une galette moyenne, répartie à l’aide de la poche à douille, en partant du centre du disque et en dessinant une spirale dense. Tout le disque de pâte feuilletée est ainsi couvert de frangipane, hormis son pourtour.

Et n’oublions pas la fève…
Oups! on allait justement l’oublier… C’est évidemment le moment de glisser la figurine de son choix au cœur de la galette, d’appuyer doucement et de refermer le couvercle. Ou plutôt de déposer précautionneusement le deuxième disque sur le premier; on assemble les bords, du bout des doigts, pour bien coller tout le pourtour et on marque le gâteau à l’aide d’un cercle, afin d’éviter que la masse déborde. On va enfin dorer notre galette au jaune d’œuf et y dessiner les marques de son choix à la pointe du couteau : virgules, losanges, spirales.
Voilà une jolie galette, un peu mince, qui ne demande qu’à être glissée au chaud pour prendre du volume et de la couleur. Le temps de cuisson? Quarante-cinq minutes à 190 degrés, chaleur tombante, mais on l’interrompt au bout de trente minutes pour un badigeon de sirop, «afin de lui donner sa brillance et d’améliorer sa tenue», explique François Wolfisberg. Un parfum gourmand s’échappe déjà, prometteur: notre galette est divinement gonflée, quoique encore pâlichonne… Quinze minutes supplémentaires ajouteront à son éclat et à son teint doré.
«Ces dernières années, on en a confectionné avec de nouveaux parfums, pour changer», signale l’artisan carougeois. Par exemple? «Pomme-cannelle, pistache ou pépites de chocolat, mais ça a marché moyennement. Du coup, la clientèle préférant les classiques, on n’en refera pas cette année…»

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): Thierry Parel

Pithiviers ou pas?

C’est une tradition récente en Suisse. Le 6 janvier, date de l’Épiphanie ou célébration de la venue des Rois mages, n’est marqué que depuis les années cinquante. On doit l’idée à un certain Max Währen: en 1952, ce spécialiste du pain s’associe à l’École professionnelle Richemont pour concevoir une recette et la faire connaître dans tout le pays. Sa couronne de pâte briochée va connaître un joli succès. Entre-temps, un gâteau concurrent fait son apparition dans les années 1980: la galette feuilletée venue de France, ou pithiviers, du nom de la commune éponyme du Loiret, garnie de frangipane. Si la Suisse allemande est fidèle à la couronne, les Romands lui préfèrent souvent la galette. On estime qu’il se vend 2 millions de ces deux spécialités par an.

L’artisan: François Wolfisberg

C’est une des adresses cultes des Genevois. La petite boulangerie ouverte en 1961 par François Wolfisberg père place du Temple, à Carouge, s’est considérablement développée. Un demi-siècle plus tard, on s’y bouscule toujours pour les formidables pains au levain, à fermentation lente, mais aussi les viennoiseries, les standards pâtissiers et les créations maison, le chocolat ou les glaces. La modeste enseigne des débuts s’est agrandie, prolongée par un tea-room et sa terrasse; trois autres points de vente ont suivi, à Genève et à Rolle. La restauration représente aujourd’hui près de 20% du chiffre d’affaires, dont plusieurs tables prestigieuses de la région. Formé dans les palaces de Gstaad, Saint-Moritz et Locarno, François Wolfisberg a repris l’entreprise familiale en 1996. Auréolé de nombreuses distinctions – de la Coupe d’Europe de boulangerie aux salons de Bulle et Courtemelon –, secondé par son épouse Élisabeth, il a quelque soixante collaborateurs, dont une dizaine d’apprentis, prenant très à cœur la formation des jeunes.
+ D’infos www.wolfisberg.org