Décryptage
Des rangées d’arbres en plein champ qui animent sols et paysages

Alors que l’agroforesterie intéresse de plus en plus de professionnels en Suisse romande, les projets lancés il y a dix ans par des pionniers commencent à montrer leur pleine dimension paysagère.

Des rangées d’arbres en plein champ qui animent sols et paysages

Sur cette parcelle de 7 hectares doucement renflée d’où la vue balaie le Jura, les plaines du Gros-de-Vaud et les Alpes, l’œil est immédiatement attiré par les longues lignes d’arbres encore sveltes, mais déjà hauts, qui se déploient d’un bout à l’autre du champ au-dessus des légumineuses. L’effet est saisissant: le paysage rural auquel on est accoutumé, avec ses cultures, ses haies et ses bocages bien séparés, est ici réinterprété – et prend une nouvelle dimension. On est à Arnex-sur-Orbe (VD), sur les terres d’un pionnier de l’agroforesterie dans le canton de Vaud.

Un défi relevé avec passion
«J’ai planté 250 arbres en 2011 après avoir fait mes recherches par moi-même dans des livres et sur internet, raconte Nicolas Bovet, propriétaire du terrain. Des noyers, des noyers hybrides, des noyers noirs et aussi des merisiers, des cormiers, des érables, deux ou trois tilleuls et quelques chênes… L’idée était d’amener plus de biodiversité dans mes cultures et de favoriser la séquestration du carbone dans mes sols.» Parallèlement à cette nouvelle orientation, le patron du Domaine de la Maison Rose (30 hectares de grandes cultures et 1,7 hectare de vigne dont il commercialise lui-même la vendange) est passé aux semis directs; depuis l’année dernière, il a en outre entrepris de convertir l’exploitation au label Bio Bourgeon. Un défi que cet agriculteur relève avec passion, lui qui gère son domaine seul, avec des aides ponctuelles – et depuis peu le soutien d’un apprenti de 3e année terminant sa formation chez lui.

Car l’aventure agroforestière dans laquelle il s’est lancé n’est pas une sinécure: 250 arbres plantés en ligne, avec un écart de 27 mètres («la dimension de la machine à traiter que j’utilisais alors»), auxquels s’ajoutaient 150 arbres sur une autre parcelle, amputés de deux rangées depuis lors… Même s’il s’est tourné vers des essences destinées à une valorisation finale en tant que bois d’œuvre et pas vers des hautes tiges dont il récolterait les fruits pour en faire du jus, le boulot n’a pas manqué durant ces dix dernières années.

D’abord parce qu’entre les maladies comme le chancre qui a frappé les cormiers, les mauvais traitements dus aux chevreuils ou même aux cerfs, la survie d’un jeune arbre est tout sauf garantie. «Au total, j’ai dû en remplacer entre 15 et 20%, évalue Nicolas Bovet. Mais après quelques années, ça devient plus difficile, d’autant qu’il se crée un problème de différence de taille avec les arbres replantés.»

L’importance de la taille
Ensuite, les bandes de deux mètres de large accueillant les arbres nécessitent elles-mêmes un peu d’entretien. La sous-soleuse s’est révélée indispensable pour inciter les racines des noyers à plonger, histoire de limiter la concurrence hydrique avec les cultures toutes proches; sur cet étroit ruban de prairie naturelle au milieu du champ, il faut aussi maîtriser le brome, qui a tendance à y prendre ses aises. Surtout, comme le paysan a opté pour du bois d’œuvre, la taille des jeunes troncs prend une importance cruciale. Trois fois par été, dès le mois de mai, il se cale donc sur la lune descendante et sort l’échenilloir pour traquer les yeux qui, à terme, péjoreraient la valeur du bois. «Les merisiers, surtout, forment beaucoup de petites branches, note-t-il. Les premières années, la tâche est vite effectuée; ensuite, elle prend plus de temps, avant de se simplifier à nouveau lorsque les troncs atteignent une certaine hauteur. Ils vont alors se développer en largeur et favoriser les branches de la couronne.»

Et produire des noix? «Ce n’est pas ce que je recherche avec ces noyers-là, sourit Nicolas Bovet. En revanche, j’ai aussi aménagé un verger de noyers dans le cadre du projet de développement d’une filière de la noix vaudoise et de la Broye fribourgeoise.»

D’ici quelques saisons, le projet agroforestier du Domaine de la Maison Rose aura pris encore plus d’ampleur. Son impact paysager risque alors d’être carrément majestueux. Et vers 2050, certains arbres seront prêts à la coupe. «De mon vivant, je vais surtout voir le travail que ça occasionne, estime l’agriculteur. Dans cinq ou dix ans, par exemple, il faudra sans doute gérer une concurrence racinaire plus forte avec les cultures. Mais on voit déjà maintenant une augmentation du taux de matière organique du sol, par l’ajout de BRF (ndlr: bois raméal fragmenté) et grâce aux autres mesures qu’on a prises. On va dans la bonne direction», conclut-il.

+ D’infos www.agroforesterie.ch

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Thierry Porchet

Questions à...

Johanna Schoop, responsable du Projet ressource Agro4esterie et de la Plateforme romande d’agroforesterie

 

Où en est l’agroforesterie en terre romande?
Agridea s’y intéresse depuis six ans avec le projet Netzwerk Agroforst; cette année, il est remplacé par le Projet ressource Agro4esterie,
prévu pour durer jusqu’en 2025 et visant à soutenir concrètement les exploitations qui souhaitent se lancer. Il est financé par l’OFAG à hauteur de 80%, par les quatre cantons participants (Vaud, Genève, Jura et Neuchâtel) et bénéficie aussi de divers soutiens. Actuellement, la phase de postulation touche à sa fin et les premiers audits ont commencé. On veut voir ce qui marche ou pas, et les expériences à l’étranger ne sont pas transposables telles quelles chez nous.

À quoi prêter attention avant de se lancer dans un projet agroforestier?
D’abord être convaincu et avoir une idée précise de ce que l’on compte faire. Connaître la nature du sol, sa profondeur et sa perméabilité est aussi indispensable. Ensuite, piqueter aussi exactement que possible, pour se faire une idée de l’impact paysager du projet et vérifier que le travail sur la parcelle reste ergonomique. Et se renseigner auprès des services de vulgarisation quant aux aspects légaux de la plantation d’arbres dans son canton.

Et quels bénéfices escompter?

L’augmentation de la biodiversité, un meilleur potentiel de stockage du carbone dans le sol, une diminution de l’évapotranspiration et une protection contre l’érosion… L’arbre va aussi récupérer l’eau et les nutriments en profondeur, les mettant à disposition des cultures. Et en diversifiant le revenu des exploitations, l’agroforesterie accroît leur résilience.