Reportage outre-sarine
Des endives bios pour soutenir la réinsertion des personnes en rupture

La récolte de la racine d’endive bat son plein dans le Seeland bernois. À Gampelen, le domaine agricole de la Fondation Tannenhof, qui accueille des personnes en réinsertion, en a fait une spécialité.

Des endives bios pour soutenir la réinsertion des personnes en rupture

Dans les champs détrempés situés à quelques encablures de Gampelen (BE), il ne reste bientôt plus qu’elles. Reconnaissables de loin grâce à leur feuillage vert et blanc, les racines d’endives dévolues au forçage sont récoltées rangée après rangée. Dans les sols plutôt légers et sablonneux du Seeland, ces pivots sont arrivés à maturité à la fin septembre. Leur croissance s’est achevée avec l’arrivée de l’automne, après avoir stocké suffisamment d’éléments nutritifs pendant toute la période de végétation. «Désormais, la difficulté est d’avoir des fenêtres météorologiques assez longues pour que le sol ressuie et qu’on puisse à nouveau faire rentrer l’arracheuse dans les parcelles, commente Lukas de Rougemont, soucieux de préserver l’état des sols du domaine de Tannenhof, qu’il gère depuis 2011. Le mois d’octobre a été très pluvieux, il est tombé une fois et demie plus de précipitations que d’habitude et les parcelles sont vraiment grasses.»
Pendant ce temps, on s’active dans la ferme. Du début du mois de novembre jusqu’à la fin avril, des milliers de racines sont chaque jour mises en caisse avant d’être forcées. Mais ici, contrairement aux autres grandes endiveries du pays, le travail est entièrement manuel. La Fondation Tannenhof accueille en effet une huitantaine de résidents, des personnes en rupture sociale, dont une partie travaille quotidiennement sur l’exploitation agricole et maraîchère. «Ici, la production d’endives est une longue tradition, explique Lukas de Rougemont. Elle demande de la main-d’œuvre en hiver, lorsque les travaux des champs sont achevés. Or un des objectifs de notre fondation est la réinsertion de nos résidents par le travail.»

Gare aux pathogènes
Une équipe est donc affectée à la taille des racines fraîchement sorties de terre, qui sont disposées dans de grands bacs superposés, avant d’être envoyées au forçage. Là, dans une salle obscure où règne une température de 17°C, les pivots baignent dans un flux d’eau en circulation permanente. «Avec notre reconversion au bio en 2016, nous avons dû repenser notre installation de forçage et la moderniser, afin de mieux maîtriser les facteurs de production et les éventuelles sources de contamination.» Désormais une pompe fait tourner en cycle fermé quelques milliers de litres d’eau dont la température est contrôlée en temps réel. Dans une telle atmosphère, et en l’absence de traitements préventifs ou curatifs, les maladies bactériennes comme l’erwina et les champignons – phytophthora ou sclerotina – auraient tôt fait de causer de gros dégâts. «Notre seule arme, c’est de livrer au forçage une récolte parfaitement saine. Car nous n’avons plus aucune prise sur la santé des endives une fois qu’elles arrivent ici.»

Forçage plus long en bio
S’il n’a pas eu pour conséquence des baisses de rendement – ils se situent toujours autour de 35 tonnes/hectare –, le passage au bio a cependant fait perdre en productivité: «Les endives demeurent en forcerie vingt-huit jours au lieu de vingt et un en conventionnel», précise Lukas de Rougemont. En effet, l’eau qui coule dans les bacs où baignent les racines n’est plus enrichie à l’azote. «Nous effectuons des essais alternatifs avec du thé de compost. Mais la croissance prendra toujours plus de temps, et les bourgeons resteront légèrement plus petits qu’en production conventionnelle.»
Au sortir des quatre semaines de forçage, les endives blanchies sont délicatement décrochées de leur racine, avant d’être immédiatement empaquetées, là encore manuellement. Ces opérations occupent quatre à cinq personnes. «Ce genre de travaux, certes répétitifs, mais en lien avec la terre, est bénéfique à la santé mentale et physique de nos résidents. La production d’aliments destinés à la grande distribution est exigeante, et a quelque chose de gratifiant pour eux.»
Ces dernières années, le domaine de Tannenhof a élargi sa gamme de variétés d’endives, de façon à limiter le risque agronomique. «Si le forçage se passe désormais relativement bien, se félicite Lukas de Rougemont, nous pouvons encore améliorer notre efficacité aux champs, en luttant mieux contre les adventices, défi majeur du producteur bio!»

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Bon à savoir

Le canton de Vaud est aujourd’hui le principal producteur d’endives du pays, avec 50% des volumes, l’autre moitié étant cultivée principalement en Suisse orientale et une petite partie dans le Seeland et le Plateau central. Mais c’est dans le canton de Genève que les premières endives ont été plantées en 1909. Les maigres quantités ont alors été vendues à un prix si bas que cela a mené à l’arrêt de la production. Cette dernière a néanmoins repris discrètement dans les années 1960 à grand renfort de travail manuel. Désormais, la part des endives suisses couvre environ 75% de la consommation indigène. Le marché est ouvert à la libre concurrence jusqu’à la fin du mois d’octobre. De novembre à avril, il est soumis à de stricts quotas d’importation.

En chiffres

  • 143 hectares de surface agricole utile dont 3,5 d’endives, 17 d’autres légumes à feuilles et de garde, 2 de fruits et le reste en grandes cultures et prairies.
  • 20 sortes de légumes produites en plein champ et en tunnel.
  • 1 atelier d’engraissement de 120 bovins à l’herbe.

+ d’infos www.stiftung-tannenhof.ch